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L'IMPROBABLE DESTIN D'UNE ROSE DES SABLES

L'HISTOIRE DE ZOÉ CARDELACE

Préface
Pour vous, Oh mes sœurs et frères non-lecteurs, j'ai décidé de regrouper tous les chapitres de l'histoire de Zoé dans une page dédiée. Dans la mesure ou le juge vient de mourir et qu'elle a enfin assouvi sa vengeance, j'ai estimé qu'il était temps de le faire. Ainsi, vous avez la possibilité de lire son histoire sans avoir l'esprit encombré par mes diatribes et autres crachas de venin et encore moins par ma poésie des caniveaux. Je libère ma Zoé de toutes ses chaines dans cette page. Je vous invite à bien tout relire car, me connaissant, il est fort probable que je rajoute quelques détails et autres photographies illustratives. Ce qui a été griffonné sur un coin de table mérite à présent d'avoir sa place au panthéon de mes écrits. Et je vous confie cela en toute humilité, Oh mes petits cafards moisis et pourrissant. 
Je rassure là et encore mes millions de fan qui s'ignorent, l'histoire va continuer dans mes prochaines chroniques et je créerai probablement une autre page qui sera la suite tout simplement. Comme je vous le confiais, les protagonistes eux-mêmes m'ont supplié de continuer d'écrire leurs histoires. En fait, je ne fais que les écouter, les observer et ensuite je raconte ce que j'ai perçu. Parfois ils me reprennent et alors il ne s'agit pas de corriger, mais de préciser un peu plus ce qu'ils font et pourquoi. Après tout, ce sont leurs vies, c'est à moi de faire attention. Je suis leur créateur mais leurs existences leur appartiennent. Eux aussi ont droit au libre arbitre et c'est précisément la source de mon inspiration...
Comprenez là, Oh mes jeunes apôtres, qu'il en va de même pour Dieu et nos misérables vies. Un jour, je vous apprendrai à le prier sans église ni religion et vous entendrez alors toute la différence entre votre servitude et la libre conscience. Car c'est bien de conscience dont il est question, Oh mes vilains gnomes aveugles, le libre arbitre mesure votre capacité intrinsèque à ressentir le bien. Car vous savez au fond de vous même que vous faites mal... Une voix que vous ignorez, que vous n'écoutez pas, vous le dit toujours. Sur cette dernière pensée théologique-au-philosophique, je vous souhaite une bonne lecture et vous embrasse tendrement sur la fesse droite Oh! Mes délicates demoiselles et sur la couille gauche, Oh! mes indélicats crapauds aux orties... 



Introduction
Zoé, comme elle était mignonne, dans ses petits souliers taïwanais, toute fraîche et parfumée. Elle tenait sa bougie fièrement devant ses yeux, regardant les mouvements de la flamme et s'amusant à la faire vaciller en soufflant avec prudence pour qu'elle ne s’éteigne pas. Le vent, qui passait par là, lui demanda pourquoi elle ne voulait pas que la lumière disparaisse de devant ses yeux, mais l'enfant ne lui répondit pas, trop concentrée. Vexé, il voulut éteindre la bougie, mais la petite lui lança un tel regard qu'il s'interrompit de surprise. La justice était rendue, ce serait la pendaison. Zoé fondit en larme, le vent se mit à rire, la bougie tomba et la cire se fixa. 
_"Je soufflerai pour balancer ton père!" lui lança-t-il avant de tourbillonner de plaisir et de disparaître dans un courant d'air froid et lugubre. Zoé pleurait, seule maintenant dans la cours. Elle pleurait et grelottait. Elle ne savait pas quoi faire ni ou aller et personne ne lui connaissait d'autre famille. Les refuges pour enfant n'acceptent que les orphelins, elle allait devoir attendre un peu. Juste encore une nuit et quelques heures de patience et de tristesse avant de pouvoir profiter de la chaleur d'un feu et d'un bon potage. Bientôt on viendra pour elle et on essuiera ses larmes froides, mais personne ne réparera l'offense ni n'effacera le chagrin d'une bougie éteinte pour toujours et abandonnée contre le pavé d'une ville. Zoé quitta la place des verdicts et alla dans une grange ou elle avait l'habitude d'aller avec son père. Là, vivaient un vieil âne et deux souris alcooliques qui fumaient la paille. Il s'agirait de ne pas oublier le chamane indien, dans son petit bateau à ramer comme un furet. Elles ont encore gerbé dans les draps, elles ont du faire un cauchemar, une huître furieuse devait les attaquer avec une bouteille d'eau de mer sans glaçon et sans pastis... Aucune culture ces batraciennes de la lune, et encore moins de savoir vivre chère guenon occidentale au jus de citron. Le lutin vient encore de frapper un grand coup, son histoire va faire des envieux. Il savait ce qu'était devenue Zoé... D'abord, elle a changé de nom pour se faire appeler Chloé, elle trouvait ce prénom plus charmant, ensuite... Le vent l'a saisie en plein vol et ensuite elle a retrouvé le juge de son père. Elle était si belle, l'âne s'en était bien occupée, qu'elle charma le vieux
magistrat marié sans aucune difficulté. Il allait pourtant à l'église tous les dimanches faire semblant de prier pour expier des pêchés qu'il n'estimait pas avoir commis, devant le code pénal, relativement anal, ce bon contribuable. C'était sans compter sur le pouvoir de séduction de la jeune et belle Chloé, sur le charme de la détermination. Même usé, aucun tronc ne résiste à l'humidité chaude d'une clairière... C'est même à la sortie d'une de ces hypocrites messes que Chloé en profita pour planter ces griffes dans le cerveau primitif du vieux mâle distributeur de sentences. Prétextant une foulure à la cheville à la descente des marches, elle lui présenta une cuisse de vingt ans si désirable que l'ignoble corbeau en oublia sa famille, en fait sa vieille femme aigrie à l'énorme arrière train. Elle se présenta comme étudiante en droit et il ne manqua pas de lui proposer son aide, qu'elle ne manqua pas d'accepter. Comme elle s'y attendait, il l'invita à venir lui présenter ses travaux un jour ou il était seul dans sa somptueuse demeure en sortie de village. Le croulant se laissait séduire encore plus facilement que prévu, s'était presque décevant, elle espérait un peu plus de résistance, de quoi planter sa tentation plus profondément. À se dévoiler trop vite, les hommes restent insaisissables car trop superficiels et Chloé le savait. Elle était déjà diplômée en psychologie et poursuivait en réalité des études de médecines, on ne sait vraiment bien donner la mort qu'en connaissant bien la vie et le corps qui l'abrite. Elle était douée, même plus, mue par sa soif de justice, car ce n'était pas la vengeance qui la motivait, mais le rétablissement de la vérité. 
À ses yeux, son père était un héros qui avait volé pour la nourrir et en était mort par la faute d'un juge acariâtre qui avait écouté les réquisitions de l'avocat général, défendeur du marchand blessé à la jambe et de la société bien pensante et aveugle surtout. Rétablir la justice, ce n'était pas se venger, mais punir. Elle n'avait pas eu besoin de s'occuper de l'épicier qui avait refusé de faire crédit à son père, un accident de voiture devait l'emporter lui et sa famille quelques mois après l'exécution. Parfois la vie a une façon bien singulière de rétablir les équilibres. 
Elle se rappellera toujours les derniers mots que son père a prononcés avant que la trappe ne s'ouvre: "Pardonnes moi ma fille, j'ai échoué à te rendre heureuse." Ces mots résonnaient encore entre ses tempes comme s'ils venaient d'être prononcés et elle refusait que son père se sente coupable d'être une victime du monde moderne et surtout d'être un antisocial forcené. Souvent il la mettait en garde contre les dangers du conformisme et l'exhortait, déjà toute petite, à penser par elle-même. Il lui disait que Montaigne avait déjà tout compris à son époque et qu'éduquer les enfants n'était pas les élever, qu'il fallait les accompagner et non pas les tirer bêtement vers une direction improbable, une "voie sans issue", comme il disait. Il voulait que sa fille soit heureuse, mais indépendante et il le paya le prix fort. Elle ne comprenait que trop bien à quel point on l'avait jugé lui et non pas son crime, à quel point ce qu'il représentait effrayait les castes supérieures et pourquoi il devait être éliminé. Elle savait que son père était un anarchiste révolutionnaire et que ce faisant il était une menace pour la société et ses bourgeois. D'ailleurs, après sa mort, le vent du changement qu'il avait insufflé ne servit qu'à le balancer un peu plus fort au bout de la corde. La résignation est la pire ennemie du courage comme la solitude l'est de la volonté... Son père lui avait toujours dit que l'intelligence était la chose la plus importante pour devenir adulte et elle l'était. Il lui avait également appris à conserver son esprit d'enfant et son imagination, "ce n'est que comme ça que tu t'épanouiras Zoé", disait-il. En fait, il voulait qu'elle est l'esprit libre car il estimait que c'était dans "l'imagination et la création que l'homme pouvait caresser la vraie liberté", c'est ce qu'il lui avait appris et elle l'aimait pour ça. Dans un sens, elle était fière que le crime de son père est été qualifié de "vol à main armée", c'est l' "avec intention de donner la mort" qu'elle ne supportait pas, son père n'était pas un tueur, c'était un pauvre et elle allait tuer pour que justice soit faite. 
Elle avait l'intention de finir par le procureur, mais le bougre avait sombré dans l'alcool à en devenir plus malade que son père, qui était un gros buveur de bières et de RHUM!!! Alors, elle avait décidé que, comme pour le marchand, la vie se chargerait de faire le ménage. Les spectres des condamnés sont bien plus furieux et rancuniers... Il ne restait donc plus que ce magistrat vicieux à exécuter. Elle était un peu plus jeune que ses deux filles et elle savait que bien des fantasmes ont des racines incestueuses et pédophiles, surtout chez les vieux. Ce serait un jeu d'enfant, un jeu de... petites filles. Vas, ma belle et tendre colombe, vas rendre cette justice que tu espères depuis si longtemps. 
                                                                                Feuille Qui Fume 
    

Chapitre I
Depuis les grandes famines de 2057, consécutives à un bouleversement climatique sans précédent et les révoltes meurtrières qui s'en suivirent, les juges avaient presque tous les pouvoirs sur les "AREA VERTES", ou zones de campagne, préservées de la glaciation et réapparues progressivement au fur et à mesure que les cendres volcaniques dans l'atmosphère retombaient au sol. Cela faisait pourtant plus de 60 ans que les trois méga éruptions avaient eu lieu, mais on pouvait encore trouver des pierres volcaniques en quantité dans les champs et les prairies des AREA. L'hiver nucléaire n'avait rien arrangé à l'affaire et bien des endroits étaient définitivement proscrits, comme certaines zones de l'océan par exemple. 
Zoé n'avait bien-sûre pas connu cette époque terrible ou des centaines de millions de personnes trouvèrent la mort et ou les "guerres de la faim", comme elles furent appelées, provoquèrent l'instauration d'un nouvel ordre mondial, mais les dictatures militaires consécutives continuaient de gouverner et d'imposer des lois martiales injustes depuis ce temps. Celles-ci rendaient notamment passible de la peine de mort tout vol de nourriture, quel qu’en soit la justification. Pour ce crime, aucune circonstance atténuante n'était admise, surtout si on était révolutionnaire. À cause de ce crime, elle était devenue orpheline et avait connu l'enfer des orphelinats de l'armée dans une zone urbaine dévastée mais qui lui offrit la possibilité de faire ses études de médecine. En l’occurrence, la dictature militaire avait réhabilité une faculté de médecine quasiment conservée et ayant encore des laboratoires exploitables dans la zone ou elle grandit. Progressivement, c'est même une véritable cité universitaire qui revit le jour. Ce qui lui permis notamment, également, de poursuivre des études de psychologie au préalable. 
Elle avait été repérée très vite comme une génie à la mémoire fulgurante et avait eu le droit à un traitement de faveur qui n'avait rien eu à voir avec son nom, pourtant célèbre. Mais cela elle l'ignorait...
      
15 ans après la pendaison du père de Zoé...

L'après-midi était chaude et les bourrasques de vent rafraîchissantes étaient rares. Chloé, de son nom d'emprunt, avait choisi une tenue légère et relativement dénudée. Elle quitta sa chambre de bonne, ou elle avait décidé de s'installer provisoirement, par la porte extérieure. Celle-ci s'ouvrait sur un escalier métallique descendant directement vers les garages correspondants. 
Chloé prit son vélo et partit en direction de la maison du juge. Elle pédalait nonchalamment, un panier accroché au guidon, profitant de cette belle journée d'été avant de rejoindre son passé, sa destinée. Mais elle aurait tout aussi bien pu aller se promener dans la forêt voisine et c'est ce qu'elle voulait que les villageois croient. C'est pourquoi elle emprunta l'itinéraire passant par le centre du patelin, afin qu'un maximum de monde la voit partir en direction des champs et du sous-bois. Elle n'avait pas vraiment de plan, son père lui avait appris à improviser et c'est ce qu'elle affectionnait, la surprise. Par chance, elle ne croisa aucun militaire et ne fut, par conséquent, pas ralenti par un quelconque contrôle. Ses faux papiers étaient en règles, mais elle préférait éviter d'avoir à le vérifier. Sans doute sont-ils occupés à la frontière de la zone avec les hommes-loups, pensa-t-elle alors. 
C'était le surnom qu'on donnait aux êtres humains retournés à l'état 
sauvage à la suite des éruptions et des désastres qu'elles provoquèrent. Ces "animains", de leur nom savant, peuplaient les secteurs abandonnés par les survivants et attaquaient régulièrement les zones protégées pour chercher de la nourriture. C'étaient les zones urbaines ou "AREA GRISES" qui étaient le plus souvent leurs cibles, mais il arrivait parfois que des meutes arrivent jusqu'aux "AREA VERTES" et tentent d'y pénétrer. 
Les zones urbaines, qui garantissaient également la production énergétique, n'étaient en définitive que des parcelles de villes, repeuplées et sécurisées. Les plus importantes avaient la charge des centrales qui avaient résisté aux cataclysmes. Ces centrales, au charbon pour la plupart, même si certaines centrales hydrauliques fonctionnaient encore, étaient devenues de vraies forteresses. Les armes aussi avaient survécu à la grande glaciation et le pouvoir savait les utiliser.   
Chloé voulait remplir son panier avant de rejoindre la somptueuse demeure du distributeur de sentences, comme le nommait son défunt père, car elle voulait avoir un alibi si les choses tournaient mal et que, son crime découvert plus vite que prévu, on la soupçonne. Un joli bouquet de fleurs de saison ferait parfaitement l'affaire, surtout s'il est accompagné de champignons. Elle espérait bien en trouver quelques-uns, en tout cas suffisamment pour justifier la préparation d'une omelette si on lui posait des questions. L'important, c'était qu'elle réussisse à garder son calme en toute circonstance. L'idée qu'elle allait bientôt pouvoir assouvir sa vengeance la rendait légèrement fébrile et elle redoutait de perdre son sang froid. Elle arriva enfin au niveau des sous-bois.  
Alors qu'elle commençait sa cueillette et pénétrait dans la forêt, elle entendit des rires d'enfants...

Chloé n'y prêta d'abord pas attention,trop concentrée qu'elle était sur sa recherche de champignons. Elle pensait que c'étaient, sans doute, les gamins de la colonie de vacances voisine qui étaient de sortie. Elle ne voyait donc aucune raison de se méfier et, en effet, il s'agissait d'un jeu organisé dans les bois. Tant mieux, pensa-t-elle, ça renforcera mon alibi si besoin. Elle n'avait, cependant, pas spécialement envie de croiser un de ces marmots pendant qu'elle remplissait son panier ou qu'elle confectionnait son bouquet. Elle savait que, même inopinée, n'importe qu'elle rencontre lui ferait perdre du temps et elle ne voulait pas être retardée.
_"Madame...?" 
Chloé s'interrompit,surprise et se retourna. Une fillette se tenait devant elle, les mains tendues et pleines de champignons en tout genre. 
_"C'est pour vous." Dit la petite timidement, tendant un peu plus ses bras vers Chloé.
_"Oh, merci, mais tu sais, ils ne sont pas tous comestibles" Dit Chloé, qui n'y connaissait rien en champignons, en s'accroupissant pour se mettre au niveau de l'enfant et recueillir cette si délicate attention. "Tu fais partie de la colo?" Demanda-telle enfin.
_"Non, dit la petite, je suis en vacance chez mes grands-parents et mon papy m'a autorisée à venir jouer dans les bois pour l'après-midi." Elle s'assit. "Quand je t'ai vue, j'ai eu envie de t'aider. Tu as l'air gentille et j'aime bien chercher les champignons."
Il était déjà 14h00 et Chloé savait qu'elle devait faire au plus vite si elle voulait avoir le temps de s'occuper de l'assassin de son père. Mais cette gamine était si mignonne, si fragile, si fraîche aussi dans ses vêtements d'été, qu'elle ne se sentait pas la force d'abréger promptement cet instant particulier. Et puis, la prudence lui commandait d'en savoir un peu plus sur cette gamine, elle avait le sentiment de l'avoir aperçue à la messe, le jour ou elle avait séduit le juge au bas des marches de l'église. Il lui semblait l'avoir vue tenant la main de sa grand-mère, l'énorme épouse du magistrat. 
_"Après, je voulais faire un bouquet de fleurs. Est-ce que tu voudras m'aider aussi?" Demanda Chloé à la fillette, à présent envahie d'un terrible doute et de plus en plus sûre de l'avoir déjà vue quelque part et en particulier le jour de la messe.
_"Bien-sûre!" lui répondit la petite, ses yeux s'illuminant d'espièglerie.
_"Bon, pour l'instant, il faut qu'on s'occupe de ces champignons, on doit les trier." Argua la cueilleuse.     
Après avoir pris son panier qu'elle posa devant elles, elle s'assit également et se présenta: 
_"Je m'appelle Chloé, et toi?"
_"Morgane" Dit la petite. "C'est lesquels qui sont bons?" Interrogea-t-elle, peu préoccupée par les présentations.
_"Et bien, je crois qu'il n'y a malheureusement que celui-là qui soit bon." Chloé avait repéré et reconnu un bolet comestible et le prit dans sa main pour le sélectionner et le déposer dans le panier piètrement garni. "Je suis ravie de faire ta connaissance." Dit-elle en tendant sa main.
_"Moi aussi!", scanda Morgane qui serra la main de Chloé, amusée et ravie elle aussi de faire sa connaissance et surtout d'avoir quelqu'un avec qui passer l'après-midi. C'était comme si elle venait de se faire une copine. "On se reverra?" Demanda-t-elle d'ailleurs, alors qu'elle venait juste de la rencontrer, pour prévoir.
_"J'espère." Répondit Chloé, sous le charme de la gamine.
_"Ça te fait pas beaucoup de champignons dis-donc." Remarqua Morgane un peu navrée.
_"C'est pas grave, on va en trouver d'autres." Elle fit une grimace.
Les deux copines se regardèrent et éclatèrent de rire. Chloé se leva alors pour chercher son paquet de cigarettes dans son sac. Elle en prit une et se l'alluma avant de se rasseoir.  
_"Tu fumes?" S'inquiéta Morgane.
_"Un peu." Lui répondit Chloé. Les cigarettes étaient rares et chères et elle avait eu de la chance d'en trouver. "Bon, on s'occupe de ces champignons?" Dit-elle pour faire diversion et changer de sujet, tout en expirant une taffe. 
_"Mon papy, lui, il fume la pipe." Dit la gamine innocemment en se relevant pour commencer la recherche. "J'en ai vu d'autres par là." Elle tendit son bras en direction d'une pente dans la forêt. 
Il n'y avait presque plus de doutes possibles. Chloé avait remarqué que le juge avait allumé une pipe en sortant de l'église. Quel porc prétentieux! Il envoie sa petite fille jouer dans les bois pour être seul avec moi et avoir le temps de me baiser. Se fit-elle comme réflexion. 
Mais il ne faut pas prendre vos désirs pour de la réalité, monsieur le président, pensa-t-elle ensuite avec une grande satisfaction.
_"Montres-moi l'endroit ou tu les a vu." Demanda Chloé qui avait finalement décidé de prendre son temps. Elle avait maintenant en tête d'autres plans et Morgane en faisait partie. En apprenant à mieux connaître la gamine, son idée était de pouvoir tout simplement se rapprocher du juge et d'apprendre ce dont elle avait besoin pour commettre un crime parfait.
On entendait toujours, non loin, les rires et cris des gamins de la colonie. Ils devaient probablement jouer au niveau du vieux parcours du cœur. La zone que lui avait indiquée Morgane les éloignaient un peu de l'endroit, en les enfonçant plus profondément dans la forêt. Chloé décida alors d'accrocher son vélo à un arbre et de prendre son sac en plus du panier, on ne sait jamais, pensa-t-elle. Elle rejoignit ensuite la fillette en tachant de ne pas trop se griffer aux ronces éparses.
Quand elle arriva, elle ne put que constater qu'en effet, il y avait un nid assez fourni de jolies cèpes de saison.     

_"Avec ça, je vais pouvoir me faire une super omelette!" s'exclama Chloé, tout en frottant le dessus des cheveux de Morgane. 
Elle avait une belle chevelure, assez longue pour son âge, raide et bien peignée. Les reflets du soleil à travers les branchages lui donnait une belle couleur châtain clair. On aurait dit une petite princesse, innocente et pourtant déjà très futée, partie à la cueillette aux champignons. 
_"J'aimerais bien y goûter à ton omelette." Dit Morgane." Et je sais ou il y en a d'autres si tu veux. Et je pourrai te faire voire mon secret aussi." Proposa-t-elle ensuite, espérant que sa nouvelle et seule copine accepterait.
_"Tu as l'air de bien connaître la forêt dis moi." Observa Chloé tout en commençant à remplir son panier. Elle n'avait pas vraiment fait attention à la dernière phrase de la gamine.
_"Ça oui! Je viens souvent me promener avec ma mère, elle, elle connait tous les bons coins." Répondit, en mentant légèrement, Morgane, qui s'appliquait à aider sa copine. "Si tu veux je pourrais te montrer le plus gros arbres de la forêt, c'est un très vieux chêne d'au moins deux cents ans. Tu te rends compte?!" Continua-t-elle. "Ce n'est pas trop loin d'ici... je crois." Elle n'était plus tout à fait sûre d'elle d'un coup. Et si Chloé n'aimait pas son secret... Elle chassa vite ces pensées.
_"Ce serait avec plaisir ma puce, mais pas aujourd'hui, je suis désolée. Après il faut que j'aille acheter des œufs pour ce soir et on doit encore faire mon bouquet, tu te rappelles?" Répondit Chloé. "Mais je te promet qu'on ira une prochaine fois." Concéda-t-elle, ne ressentant que trop bien la déception soudaine de l'enfant. Elle était sensible à la solitude de la gamine car elle lui rappelait elle quand elle était petite. Elle avait tant de fois souffert de se sentir seul à l'orphelinat... 
_"On pourrait cuisiner l'omelette chez mon papy, il a une cuisine immense avec plein de trucs accrochés partout! En plus il y aura ma maman ce soir, s'il te plait." Proposa Morgane, sortant Chloé de ses souvenirs, le regard illuminé et suppliant, n'attendant qu'une réponse positive pour s’enflammer définitivement.
Quel porc! Quel enculé de porc! Pensait de plus en plus fort Chloé qui ne pouvait que contenir sa rage contre le juge. Que pouvait-elle bien répondre, comment pouvait-elle se sortir de ce guêpier à son avantage?
_"En plus, il y a plein d’œufs chez mon papy, il élève des poules." lâcha malignement et subrepticement Morgane qui sentait l'hésitation chez sa copine, plus âgée, mais elle n'en avait cure. Elle savait comment réussir à faire céder les adultes, c'était de démolir leurs excuses avant même qu'ils les disent, ne leur laissant plus que le choix du oui et de la concession. 
_"T'inquiètes pas, ils reçoivent beaucoup d'invités, je le sais, c'est ma mère qui me l'a dit et en plus elle sera là." Insista Morgane, dans sa stratégie de déstabilisation, aussi intelligente qu'elle en avait l'air.
_"Tu ne me laisses pas beaucoup le choix dis-donc." S'amusa Chloé qui avait bien compris le manège de la gamine. "D'accord, si ton papy et ta mamie veulent bien, alors je viendrais avec toi et on fera une super omelette. ça te va?" Accepta-t-elle, voyant finalement là une occasion de faire un état des lieux et de mieux connaître son ennemi avant de se venger. 
_"Merci, tu es gentille." Répondit Morgane qui serra Chloé dans ses bras par les hanches, collant son visage contre son ventre et semblant ne plus vouloir la lâcher. C'était un vrai câlin qui la gêna presque. Elle n'avait pas l'habitude de recevoir de telles effusions de sentiments. 
_"Bon, on y va? Il va nous falloir beaucoup plus de champignons si on veut que tout le monde est à manger." Dit Chloé en souriant et tenant le visage de Morgane entre ses mains. Elle était définitivement séduite par cette spontanéité et cette sincérité. 
Elles eurent un échange de regards intense et complice et se remirent à leur cueillette de plus belle. Une nouvelle amitié naissait. C'était inattendue, mais jamais rien ne se passe comme on l'aurait voulu et Chloé ne le savait que trop bien, cela faisait partie des paroles que son père lui répétait souvent. Elle improviserait, voilà tout. Elles ne mirent finalement pas longtemps à remplir le panier et purent s'atteler à la confection de deux bouquets, car Morgane voulait en faire un aussi pour sa mère. L'après-midi fut si agréable qu'elles ne virent pas le temps passer. C'est finalement la fin du jeu de la colo qui leur indiqua qu'il arrivait à sa fin. 
_"Ma mamie va s'inquiéter, je crois, il faut que je rentre tout de suite." Regretta Morgane qui aurait voulu que le temps s'arrête et que cet après-midi ne finisse jamais. "Tu as remarqué comme le temps passe vite quand on s'amuse et est très long quand on s'ennuie?" S’enquerra-t-elle tout en commençant à se diriger vers l'orée de la forêt.
_"Oui, et c'est malheureusement toujours comme ça." Répondit Chloé en la suivant. "Mais attends, j'ai un porte-bagages sur mon vélo, je vais te déposer, ce sera plus rapide." Suggéra-t-elle d'un ton espiègle.  
_"Bonne idée, et en plus comme ça je pourrai te montrer ou habitent mes grands-parents!" s'exclama Morgane qui n'avait pas oublié son invitation. 
Mais Chloé n'avait pas l’intention de se défiler, au contraire, c'était une bonne occasion d'en apprendre un peu plus et ainsi d'éviter de se laisser submerger par les émotions au moment décisif. Ne plus se contrôler était la meilleur façon de commettre des erreurs et elle le savait bien. Son meurtre devait être commis de sang-froid, droit dans les yeux et sans pitié. Elle détacha son vélo et aida Morgane à s'installer.
_"Prête?" Demanda Chloé.
_"Prête!" Répondit la gamine. "Mon papy habite la grande maison à la sortie du village, par là sur la gauche." Rajouta Morgane en tendant son bouquet pour indiquer la direction à prendre. 
Il n'y avait plus de doute possible, elle était bien la petite-fille du juge qui avait condamné son père à la pendaison. La maison indiquée par Morgane était exactement celle qu'il lui avait décrite ce fameux dimanche. "Vous verrez, c'est facile à trouver, c'est un ancien corps de ferme." Lui avait-il expliquée alors. 
Elle emprunta le chemin qui descendait vers la sortie du village, entre deux champs, l'un de maïs, sur leur droite et l'autre de blé, sur leur gauche. La luminosité et la chaleur avaient légèrement baissées et toute la campagne semblait respirer un peu mieux. C'est vrai qu'à l'ombre des arbres il y a une fraîcheur naturelle qui vous entoure et elles n'avaient pas vraiment souffert de la chaleur. L'air fut plus étouffant quand elles sortirent du sous-bois, mais moins qu'au début de leur cueillette, ce qui rendit l'effort de pédalage moins pénible pour Chloé. Elle pesait son poids la petite, tout de même. 
_"Accroches-toi bien, ça descend." Prévint Chloé. 
_"Vas-y à fond!" Lui cria Morgane les deux mains bien accrochées à la selle. Chloé pouvait même sentir ses deux pouces sous ses fesses.
_"D'accord, c'est partie!" Et elles s'élancèrent aussi vite que possible. On pouvait entendre les cris mêlant joie, peur et amusement de la fillette de l'autre côté des champs, à tel point qu'un groupe de perdrix s'envola, visiblement dérangée par le bruit soudain. Une seule de ses volailles se vendrait à prix d'or sur le marché noir ou coûterait la vie, pensa alors Chloé, tout en tâchant de contrôler leur descente.
Au bas de la pente, le chemin débouchait sur la route principale qu'il suffisait de suivre sur cinq cents mètres pour arriver à l'imposante bâtisse. Il était déjà dix-sept heure quand Chloé déposa Morgane devant la grille. C'était en effet la dernière demeure du village. Après, il y avait des champs à perte de vue, parsemés d’îlots d'arbres, avec la forêt sur la gauche qui disparaissait en pente derrière un vallon, jusqu'à une rivière en contre-bas. Cette zone de campagne était une des plus grandes du pays et on en voyait pas les limites. De l'autre côté s'étendait le village, avec son inévitable clocher qu'on pouvait apercevoir au dessus des toits ainsi que sa grande pointe de la maison de la justice, en face de la place des verdicts. On devinait également la caserne militaire, complètement de l'autre côté. Sur la droite, cette fois-ci, il y avait les champs qu'elles venaient de traverser à toute vitesse, mais on ne voyait pas les sous-bois de la forêt ou elles s'étaient rencontrées, ils étaient cachés par les maïs et la côte. 
Cette forêt, sans doute la plus ancienne connue, conservait des arbres qui avaient résisté aux changements climatiques et son cœur sauvage. C'est sans conteste l'endroit rêvé pour passer des vacances d'été à la campagne pensait Chloé, quand on en a les moyens et les autorisations, bien-sûre. Les gamins de la colo étaient des privilégiés et ils n'en étaient probablement pas conscients, ce qui était sans doute mieux ainsi, songea-t-elle.  
_"Viens, je vais te présenter." Dit Morgane tout en ouvrant le battant du portail.
Chloé eut un  moment d'hésitation. Elle serra son guidon sans pouvoir avancer, comme paralysée, tétanisée à l'idée de revoir cet immonde bâtard et de faire la connaissance de sa femme et sa fille. 
_"Attends, tu es sûre que c'est une bonne idée? Je ne voudrais pas déranger tes grands-parents ni ta mère. Après tout, ils ne me connaissent pas et ils ne savent pas que tu m'as invitée." Apostropha-t-elle, espérant bien éviter comme ça un souper embarrassant, même si la raison lui disait d'y aller.
_"T'inquiètes pas, ils sont gentils et ils ont l'habitude de recevoir des gens à l'improviste. Et ma mère n'est pas encore rentrée du travail." Répondit Morgane qui attrapa la main de Chloé pour l'emmener.
Chloé céda, tout en précisant bien qu'elle devrait repasser par chez elle pour se doucher et se changer avant le repas. Elle ne pourrait donc pas rester trop longtemps. Elle demanda également à Morgane de ne pas insister si ces grands-parents ne voulaient pas qu'elle vienne ce soir. Après tout, ils n'avaient peut-être pas envie de manger une omelette aux champignons et avaient prévu autre chose. La petite acquiesça non sans une moue dubitative et tira Chloé dans la cours intérieure. Le corps de ferme se dressait au bout d'un chemin longé de par-terre de fleurs. Sur la droite, derrière une clôture de buissons fruitiers, on devinait un potager. Sur la gauche, une grange avait été aménagée en garage ouvert. Deux voitures y étaient rangées, mais il y avait de la place pour au moins quatre véhicules. Chloé remarqua qu'il y avait également un vélo d'enfant.
_"Tu aurais du prendre ton vélo." Fit-elle la réflexion.
_"On arrive pas à remettre la chaîne, j'ai déraillé l'autre jour." Répondit Morgane.
Chloé posa son vélo à côté et reprit la main tendue de la petite. Elles marchaient vers la maison quand la grand-mère de l'enfant se précipita dans leur direction.
_"Mais ou étais-tu?!" Criait-elle, la porte encore à peine ouverte. Elle trottinait aussi vite qu'elle pouvait, cette grosse dondon, tant sa masse était imposante et sa force aléatoire. "Mais ou étais-tu! Ou est-ce que tu as bien pu aller? Je me suis fait un sang d'encre et ton grand-père était incapable de me dire ou tu étais!" Continuait-elle de s'exclamer. C'était comme si elle n'avait pas remarqué la présence de Chloé.
_"J'étais dans la forêt et papy est un menteur!" Hurla Morgane, si fort que la vieille s'arrêta interdite. "Et j'étais avec Chloé!" Hurla-t-elle encore en montrant son amie dont elle avait lâché la main. "On voulait vous faire une surprise en ramenant des champignons." lança-t-elle encore, moins fort, la voix chevrotante et les larmes aux yeux. Elle ne supportait pas l'injustice que l'inquiétude de sa grand-mère représentait et Chloé ne le ressentait que trop bien.
_"Ne vous inquiétez pas, madame, elle était avec moi et c'est de ma faute si on a pas vu le temps passer. Ne soyez pas trop en colère après Morgane, c'est vrai, regardez, nous avons ramené des champignons." Chloé montra alors le panier rempli à ras-bord de bolets et de cèpes, presque rassurée que la mamie se soit fait du souci. 
_"C'est papy qui m'a dit que je pouvais aller me promener dans la forêt." Rajouta Morgane bien décidé à rétablir la vérité et surtout pas d'accord pour se faire disputer pour une faute qu'elle n'avait pas commise. "Pourquoi il t'a dit qu'il savait pas ou j'étais? Hein?!" Clama-t-elle encore.
_"Allez, calmes toi." Lui dit Chloé en la prenant par l'épaule et en la secouant légèrement. Elle ne voulait surtout pas la voir fondre en larmes.
_"Toutes mes excuses mademoiselle, je n'avais pas fait attention à vous, merci d'avoir ramener notre petite-fille." Elle prit la main de Chloé pour la serrer. "Je me présente, je suis madame Dinousillet. Je suis vraiment désolée pour cette effusion." Dit la vieille qui se calmait enfin, soulagée que rien de grave ne soit arrivé. "Alors vous avez ramené des champignons?" Demanda-t-elle innocemment, comme pour détendre l'atmosphère et montrer à Morgane qu'elle avait écouté malgré son emportement et ses inquiétudes.
_"Oui, c'était pour faire une omelette ce soir et on a même fait deux bouquets!" Répondit Morgane avant même que Chloé n'est pu dire quoi que ce soit, en brandissant fièrement celui qu'elle avait fait pour sa mère. "Et celui-là est pour maman quand elle rentrera!" Insista-t-elle, ne voulant pas que l'injustice soit oubliée. 
_"Oui en effet, bonjour madame, je suis mademoiselle Santois, mais je préfère que vous m'appeliez Chloé." L'interrompit Chloé qui sentait bien que Morgane était désappointée et voulant lâcher la main de l'imposante bonne-femme. 
_"Il est ou papy?" Demanda l'enfant.
_"Dans son bureau, je pense." Répondit instinctivement sa grand-mère.
Sans réfléchir, soudainement, Morgane courut alors en direction de la demeure et s'engouffra par la porte d'entrée. On entendait plus que ses souliers cogner contre le sol carrelé. Elle en avait oublier son bouquet, que Chloé tenait incrédule.
_"Tenez" Dit-elle en le donnant à madame Dinousillet, tout aussi surprise qu'elle. "Elle a un sacré tempérament, dites-moi." Souligna-t-elle.
_"Oh oui! Elle va me rendre folle!" Reconnut l'ancienne en récupérant les fleurs. "Je vais les mettre dans un vase, elles sont superbes." rajouta-t-elle.  
_"Bon, je crois que je vais vous laisser. Je suis vraiment navrée pour tout ces désagréments." S'excusa Chloé en reprenant son vélo.
_"Revenez pour dîner, je vous en prie, vous pourrez faire l'omelette que vous avez prévue avec Morgane. En plus, nous avons des œufs frais et sa mère vient aussi, vous ferez sa connaissance." Dit la mamie. "Laissez moi votre panier, je vais nettoyer ces champignons pour vous et vous n'aurez plus qu'à les cuisiner avec Morgane. Vous voulez bien?" Réclama-t-elle finalement.     
Chloé, un peu décontenancée, savait déjà la plupart des informations que lui disait la grand-mère, mais elle fit mine de ne pas être au courant. Elle accepta l'invitation, non pas parce que mémé lui demandait mais parce qu'elle en avait fait la promesse à Morgane.
_"Dites à Morgane que je serais là pour le souper. À tout l'heure, alors..." Dit finalement Chloé en prenant le chemin du retour.
_"À tout à l'heure Mademoiselle. Vous êtes vraiment charmante." Répondit la grand-mère qui, elle, se dirigea vers sa maison.
Chloé rentra donc à sa chambre, un peu déçue de ne pas avoir pu dire au revoir à sa copine, mais ravie d'imaginer la scène qu'elle devait faire vivre à son grand-père qui ignorait encore qu'elle avait fait la connaissance de sa petite-fille et que c'était la raison pour laquelle elle n'était pas venue à leur rendez-vous. Il va avoir une belle surprise en me voyant tout à l'heure! Ce vieux cochon! Pensa-t-elle. C'était parfait, elle avait un peu moins de deux heures pour se préparer, cela lui laissait largement le temps de réfléchir à une nouvelle stratégie. Il y avait cependant une inconnue, la mère de Morgane...
Après s'être douchée, changée, avoir prit le temps de se reposer un peu et en profiter pour réfléchir, Chloé reprit son vélo et partit en direction de la maison des Dinousillet. La chaleur était moins pesante et elle avait choisi de porter un jean avec un t-shirt de couleur claire, suffisamment décolleté pour mettre en valeur sa poitrine, mais pas assez pour être provoquant, et un léger gilet.
Elle opta, cette fois-ci, pour le chemin le plus court et descendit la route qui bordait le village au lieu de passer par le centre du patelin. Elle évita néanmoins la place des verdicts, ou sa bougie s'était éteinte il y a quinze ans déjà et la maison de la justice, longea le champs de maïs, passa devant le chemin qu'elle avait emprunté avec Morgane et arriva finalement devant les imposantes grilles.
Les deux battants étaient ouverts et Chloé remarqua tout de suite qu'un troisième véhicule était garé. La mère de Morgane doit être arrivée, pensa-t-elle. Elle décida de rentrer et entreprit de ranger son vélo ou elle l'avait mis auparavant. À peine fut-elle visible depuis la demeure que Morgane se précipita vers elle pour la serrer dans ses bras, ne lui laissant qu'à peine le temps de le poser. 
_"Et bien" Dit Chloé un peu surprise. "On dirait que tu ne m'as pas vu depuis dix ans. Tout va bien ma puce?"  demanda-t-elle en s'accroupissant, devinant une légère fébrilité.
_"On va attendre un peu là." Répondit Morgane en chuchotant presque. "Maman est en train de disputer papy parce qu'il m'a laissé partir seule en forêt, à cause du danger et tout ça." Rajouta-t-elle amusée.
_"Est-ce qu'on fait toujours l'omelette? Du coup..." S'inquiéta Chloé tout en se relevant.
_"Oui, oui, t'inquiètes pas, les champignons sont prêts et on t'attendait. C'est juste que je préfère attendre un peu dehors. Tu es très belle comme ça." la complimenta Morgane tout en répondant à la question. 
_"Merci ma puce, tu es mignonne et toi aussi tu es très belle." Lui rendit-elle son compliment. 
_"Bon je vais aller dire à mamie que tu es là et voir si tu peux rentrer, d'accord?" La prévint-elle.
_"D'accord, je t'attend là." Accepta Chloé. Elle s'alluma une clope.
Il va falloir improviser et la jouer fine se faisait-elle comme réflexion, sa mère n'a pas l'air d'être facile et je ne sais pas ce qu'à pu dire ce vieil enculé pour s'en sortir. On verra bien, ce sera instructif de toute façon, conclut-elle. Elle soupira sa taffe. 
Elle n'eut pas à attendre longtemps avant que l'énorme grand-mère ne vienne l'accueillir accompagnée de Morgane. Une jeune femme apparut derrière elles, sur le pas de la porte et se dirigea aussi vers elles, il s'agissait de la mère de la petite.
_"Bonjour... Chloé, je crois. Je suis enchantée de vous rencontrer, je suis la mère de Morgane. Elle m'a racontée votre après-midi et je vous remercie de l'avoir ramenée, en un seul morceaux, si j'ose dire." Dit-elle en tendant la main vers Chloé, avant de poursuivre:
_"Je sais qu'elle connait très bien le coin, mais je ne peux pas m'empêcher de me faire du soucis. Avec Morgane, il faut s'attendre à tout. Mais venez, entrez donc, je me présente, je m'appelle Clémence." Dit-elle courtoisement.
_"Bonjour Madame..." 
_"Allez viens, on va faire l'omelette." Dit Morgane en tirant Chloé par la main et ne lui laissant pas le temps de finir de répondre. "Tu parleras avec maman après..." Elle ne savait que trop bien que les conversations d'adultes étaient ennuyeuses. 
_"Doucement Morgane." L'interrompit sa grand-mère. 
Alors que toute quatre se dirigeaient maintenant vers le corps de ferme, le silence s'installant, la mère de Morgane rajouta, comme pour se justifier et préciser:
_"Ne vous inquiétez surtout pas Chloé, ça m'arrive souvent de me disputer avec mon père. Je crois que Morgane vous l'a dit. Il n'y a rien contre vous en particulier, soyez-en sûre, c'est juste que je ne veux pas que Morgane sorte seule, vous comprenez, avec tout ces animains qui pourraient rôder?" Son ton était incertain et Chloé sentit tout de suite que la mère de Morgane ne lui disait pas toute la vérité. D'autant que jamais aucun homme-loup n'avait été vu dans cette Area verte. Tout cela ressemblait plus à de fausses excuses qu'autre chose...   
_"Oui maman, elle comprend, je lui ai expliqué." S'irrita Morgane, visiblement agacée par la situation et ne laissant toujours pas le temps de répondre à Chloé. 
Elles entrèrent enfin dans la maison. La mastodonte fermait le pas. La porte d'entrée donnait sur une immense pièce aménagée en salon salle-à-manger, le vestibule étant délimité par une marche qui permettait d'y accéder. En haut de celle-ci, retirant sa pipe de sa bouche et expirant une légère bouffée de fumée, le juge se tenait impassible, pour accueillir leur invitée. Quand il vit Chloé, il fit semblant de ne pas la reconnaître, mais elle perçut la surprise dans ses yeux. 
_"Bonjour mademoiselle. Nous vous attendions." Dit-il avec une légère insistance que seule Chloé pouvait comprendre, voir même identifier. "C'est donc avec vous que Morgane a passé l'après-midi." Renchérit-il avec aplomb. "Je suis ravi que tout ce soit bien passé." Et il tendit sa main. 
_"Oui, en effet, bonjour Monsieur. Chloé." Dit-elle avec le même aplomb et une très légère provocation dans la voix que même ce vieux cochon de juge n'aurait pu percevoir. 
_"Vous prendrez bien un rafraîchissement avant de vous mettre à la cuisine?" Suggéra-t-il.
_"Avec plaisir..." répondit Chloé sans pouvoir finir sa phrase.
_"Je vais amener les verres!" s'exclama Morgane.
_"Je viens avec toi". Lui dit Clémence. Et les voilà partie toutes deux dans la cuisine. 
_"Et bien Je vais vous conduire. Suivez-moi, nous allons allez sur la terrasse, ce sera plus agréable." Invita la grosse Dinousillet.
Chloé la suivit à travers le salon, jusqu'à une porte-fenêtre qui ouvrait sur la terrasse et un immense terrain qui rappelait les vergers d'autrefois. Le juge les suivait en fermant la marche. C'est-ça, profites-en pour me mater le cul vieux vicieux, se dit Chloé, tout en remarquant la richesse de l'intérieur de la demeure. Les murs étaient en pierres apparentes, avec de superbes poutres verticales les maintenant. Toute la charpente était visible, ce qui rendait à la pièce ses allures de ferme et conservait l'impression d'ancienneté. La hauteur sous plafond était impressionnante et une énorme poutre centrale semblait maintenir le tout en place. De grandes fenêtres permettaient à la lumière du jour de pénétrer à toute heure, ce qui accentuait le sentiment de profondeur. Enfin, donnant sur le salon, une porte d'époque laissait entrevoir une magnifique cuisine encore équipée de son vieux four à pains.    
_"Vous avez vraiment une très belle maison." Constata Chloé à l'attention du juge. 
_"Merci mademoiselle." Répondit-il. "Ce fut au prix de quelques années de travaux, mais le résultat est..." Il prit un temps de réflexion. "Satisfaisant". Finit-il par estimer en regardant ses boiseries, toujours sa pipe à la main. 
_"Appelez moi Chloé." L'invita-t-elle. 
_"Je vais tâcher." Dit-il en souriant et sans condescendance. 
À l'inverse de son énorme épouse, ce distributeur de sentences était sec et à peine plus grand que Chloé. Toujours élégamment vêtu, sa posture droite et rigide laissait deviner une sévérité naturelle que sa courtoisie masquait à peine. Les rides de son visage suggéraient qu'il n'avait pas du sourire souvent dans sa vie et la supériorité de son regard montrait qu'il avait l'habitude de se faire obéir. Il semblerait que seule votre fille vous tienne tête, monsieur le juge. Pensa Chloé. Elle s'étonnait d'ailleurs qu'un tel personnage est pu appeler une de ses filles Clémence. Il a du appeler l'autre Punition, s'amusa-t-elle à imaginer. 
_"Je vous en prie, installez-vous ou il vous conviendra." Proposa poliment le magistrat. 
Toi, tu aimes t'écouter parler, songea Chloé. Elle choisit de s'asseoir du côté du jardin pour profiter des rayons du soleil couchant. Le juge s'installa en bout de table, tandis que madame prit place à côté de Chloé. Morgane et sa mère Clémence ne tardèrent pas à arriver, elles par la porte de la cuisine donnant sur la terrasse, avec des verres et une citronnade bien fraîche. La soirée s'annonçait sous de bons hospices. 
_"Tu veux que je t'apportes un cognac papa?" Demanda Clémence, comme pour installer la conversation.
_"J'en prendrai bien un aussi, si ça ne vous ennuie pas." S’immisça Chloé qui n'en avait jamais bu.
_"Ne te déranges pas, je vais y aller." Dit le juge en se levant. "Servez-vous le temps que je revienne." Et il se dirigea vers le salon et le bar.
La grand-mère s'entreprit alors de verser la citronnade. Le vieux frustré, toujours aussi droit et sec, revint avec deux verres appropriés et une bouteille poussiéreuse qui en disait long sur la qualité du produit qu'il ne manqua pas de vanter. Il fit le service, tendit son verre à Chloé et lui demanda ce qu'elle faisait dans la vie, tout en se rasseyant. Jouant son jeu mais toujours dans sa propre stratégie, elle répondit innocemment qu'elle faisait des études de droit pour devenir avocate et voulait se spécialiser dans le droit pénal. Sentant que la conversation se stérilisait, elle prit une cigarette dans son sac et se l'alluma.
_"Vas chercher un cendrier Morgane s'il te plait." Lui demanda sa grand-mère.
_"Après on s'occupe de l'omelette?" S'inquiéta Morgane qui voulait, elle aussi, profiter un peu de sa copine.
_"Promis." Lui répondit Chloé.
_"Mais vous nous laisserez tranquille pendant qu'on la prépare, d'accord?!" Vérifia-t-elle auprès de sa famille. 
_"Oui, promis aussi." La rassura sa mère. "Vous nous ferez la surprise comme ça." Et Morgane ramena un cendrier.
Chloé, sensible à l'impatience de la gamine, ne prit pas le temps de finir sa cigarette qu'elle écrasa et remit dans son paquet, mais ne manqua pas de complimenter le cognac. Elle prit d'ailleurs son verre avant de suivre Morgane dans la cuisine ou elles s'engouffrèrent. Comme l'avait promis l'énorme Dinousillet, les champignons étaient prêts et lavés, il n'y avait plus qu'à les couper et les cuisiner. Une barquette avec douze œufs frais était posée à côté. Morgane ne manqua pas de préciser que c'était elle qui les avait ramenés du poulailler. Le plan de travail était immense, à l'image de toute la bâtisse et en particulier de cette cuisine. Morgane attendait les instructions de la chef la tête dressée vers Chloé, le regard plein d'admiration. 
Chloé commença par aller chercher une chaise de cuisine afin que sa commis soit à la bonne hauteur pour cuisiner. Elle prit ensuite le saladier ou était les champignons, une planche à découper et un couteau, qu'elle plaça devant elle. Elle allait devoir tout improviser...
_"On va commencer par couper les champignons et les faire revenir à la poil pour qu'ils perdent leur eau et garde leur saveur naturelle. Tu vas voire." Et Chloé s'entreprit de montrer à Morgane comment faire la découpe. "Ni trop gros, ni trop fin, c'est le secret." Dit-elle avec un clin d’œil. "On va mettre un tout petit peu d'oignon aussi, tu sais ou ils sont?" Demanda-t-elle, soucieuse de maintenir l'illusion qu'elle savait cuisiner et ne voulant surtout pas décevoir son amie.
_"Là" Répondit Morgane en montrant de la tête un panier dans l'angle du plan de travail.
_"Il y a de l’échalote, c'est encore mieux." Constata la chef.
Après avoir mis à revenir les champignons dans deux poils tant il y en avait, sans avoir oublier de saler, poivrer et aromatiser d'un peu de thym, il était tant pour nos deux cuisinières de casser les œufs.
_"Tu verras à la fin, on aura plus besoin que d'une seule poil, tellement les champignons vont réduire." Prévint Chloé. "On ne va utiliser que six œufs, sinon ça va faire beaucoup trop." Estima-t-elle enfin, absolument pas sûre d'elle. 
C'est bien-sûre Morgane qui se chargea de briser les œufs, très délicatement d'ailleurs, et de les verser dans le saladier prévu à cet effet. Chloé s'occupa de les remuer et rajouta simplement un peu de sel. Une fois les champignons réduits et réunis dans une seul poil, elle versa le liquide jaune, surtout sans remuer. 
_"Il n'y a plus qu'à attendre et surveiller la cuisson. Tiens, passes-moi une spatule s'il te plait." Conclut la chef d'un soir. 
C'était assez inattendu, mais Chloé se sentait bien et en avait presque oublié le pourquoi elle était là. Sans doute que le cognac aidait, mais elle était détendue et passait un bon moment en compagnie de ces gens qu'elle découvrait, le juge mis à part, évidemment. Pour ce repas et pour son amie, elle ferait abstraction de ses souffrances, sa colère et sa soif de justice. Pour cette fois seulement, elle oublierait tout ses griefs.
_"Il va falloir mettre la table, c'est bientôt prêt." Dit Chloé en direction de sa jeune commis. 
_"Elle est déjà mise, regardes." Dit Morgane en montrant la table de la salle à manger à travers la porte ouverte.
Chloé ne l'avait pas remarquer en entrant, ni en traversant le salon, mais en effet, la table était somptueusement dressée. 
_"C'est la bonne qui l'a mise avant de partir." Précisa la gamine innocemment. "Elle a même fait une grosse salade de pomme de terre pour accompagner l'omelette. Elle est très bonne tu vas voire, je l'ai aidée à la faire et je l'ai même goûtée." Rajouta-t-elle fièrement.
_"On va voire ça." Répondit Chloé avec malice, tout en se faisant la réflexion que ça pétait dans le fric ici et ne se retenant qu'in-extremis de la partager avec Morgane. "Vas dire à tout le monde que c'est presque prêt, qu'ils s'installent." Émit-elle seulement comme souhait.
Quand tous se furent installer à table, la grand-mère fit le service de la salade, Morgane celui de l'omelette, en faisant attention de ne pas en renverser, et le juge celui du vin. Clémence et Chloé étaient... les invités. Le vieux magistrat ne manqua pas, comme pour le cognac, de venter le cru qu'il avait sélectionner pour l'occasion. Il remplit le verre de Chloé et lui lança alors un regard réprobateur qui en disait long sur son désappointement, pour ce rendez-vous manqué sûrement et sans doute aussi pour l'altercation que cela lui coûta avec sa fille et Morgane. Le regard qu'elle lui rendit en réponse en disait long, lui, sur sa satisfaction et son indifférence quant aux désagréments subis. Il n'était pas question qu'elle se laisse intimider par ce vieux bourgeois imbus de sa personne et trop habitué à ce qu'on lui obéisse. C'était assez étonnant, d'ailleurs, de constater à quel point cet homme, que le pouvoir avait rendu méchant et hautain, contrastait avec le reste de sa famille, pour ce qu'elle en connaissait.
L'omelette était réussie et tous se régalèrent, surtout Chloé, qui n'avait, en fait, jamais mangé de champignons, ni bu de vin, ni saucer avec du pain et encore moins essayé de cognac. Elle avait cuisiné en improvisant, c'est ça le secret. Elle ne le montra pas, mais elle n'imaginait pas qu'on puisse vivre ainsi, dans l'opulence et le luxe, dans une telle certitude que les lendemains seront heureux.    
Pour quelqu'un, comme elle, qui venait des zones grises, un tel repas aurait été comme un rêve éveillé, un honneur, une trêve dans son combat pour la vie. Chloé le savait, mais elle n'était pas de ces admiratrices serviles et dociles. Il est vrai que ses études de médecine lui permettait d'avoir un niveau de vie bien supérieur à bon nombre de ses concitoyens de la cité onze, ou elle suivait ses études en réalité, mais elle ne connaissait que trop bien le prix de la nourriture et ce que la faim pouvait conduire les hommes à faire. Son intelligence et ses déterminations l'avaient sauvée de la misère et lui avaient permis de se retrouver ici, en face du bourreau qui détermina le désastre de son enfance.
Au milieu des conversations de convenances, visant à faire connaissance superficiellement et à aborder ensuite des sujets climatiques ou culinaires, Chloé réussit, comme elle le souhaitait, à interroger le juge sur son sentiment concernant la peine de mort. Cela ne parut pas incongru, car elle s'était présentée comme étant une étudiante en droit voulant se spécialiser dans le pénal. Elle ne recueillait qu'une opinion finalement. La réponse du garant de la justice fut sans équivoque et la promotion qu'il fit de cette peine ne la conforta qu'un peu plus dans sa décision de mettre fin aux jours de ce fasciste inavoué. Mais elle avait peu de temps, elle n'avait obtenue qu'un laissez-passer de douze jours et il ne lui en restait plus que cinq avant de devoir repartir.
Le dîner se termina sans encombre, même si Clémence ne put s'empêcher d'exprimer son désaccord avec son père en soulignant l'inutile sévérité d'une telle peine. Mamie était restée étonnamment silencieuse. C'est, comme souvent, l'argument de la loi qui clôtura la conversation. Si une loi est injuste, il faut lui désobéir, se dit Chloé, mais elle ne renchérit pas. L'heure du couvre-feu approchait et elle allait bientôt devoir prendre congé, il était par conséquent frivole de partir sur une provocation. D'autant que cela risquait de la faire passer pour une rebelle et elle savait derrière quels barreaux ils finissaient et surtout pour combien de temps, c'est elle qui constatait les décès.
_"Il va être l'heure d'aller au lit." Dit Clémence à sa fille. "Dit au revoir à Chloé." 
_"Je peux la raccompagner jusqu'à son vélo, s'il te plait." Supplia Morgane.
_"D'accord, mais pas trop longtemps." Concéda sa mère.
_"Je suis ravie d'avoir fait votre connaissance, au revoir mademoiselle, je veux dire Chloé. J'espère qu'on aura l'occasion de se revoir." Dit la grosse grand-mère avant d'aller s'appliquer à débarrasser la table.
_"Au revoir Madame." Répondit poliment Chloé.
_"Attends, je vais t'aider maman." Se proposa Clémence. "Au revoir Chloé, j'ai été ravie également." La salua-t-elle.
Avant que Chloé ne parte, le juge insista pour lui signer un sauf-conduit afin qu'elle soit tranquille, mais surtout pour lui montrer l'étendue de son pouvoir et de sa sympathie. 
_"Avec cela vous n'aurez pas d'ennuis s'il y a des contrôle dans le village. À bientôt j'espère." La salua-t-il à son tour avec un léger sourire.  
Chloé prit le papier et sortit, accompagnée de Morgane, avec une reconnaissance de façade. Arrivées au niveau des grilles, elles s'embrassèrent et se promirent de se revoir dès le lendemain, pour aller découvrir le vieux chêne et... un secret.
(à suivre...) 
Feuille Qui Fume   
     




Chapitre II
Des sirènes lointaines la réveillèrent tôt dans la matinée, mais elle ne réussit pas à se rendormir. Elle était trop excitée et impatiente à l'idée de pouvoir montrer son secret à Chloé. Elle ne se leva pourtant pas tout de suite, elle attendait toujours que la bonne arrive avant de sortir de son lit. Son grand-père était déjà parti et sa grand-mère écoutait le récepteur d'informations, une sorte de poste radio à fréquence unique, installé dans une pièce dédiée. Elle ne comprenait pas ce qui ce disait, mais cela devait être important, car elle pouvait tout de même percevoir que le volume était plus fort que d'habitude.
Quand la bonne arriva enfin, Morgane bondit, enfila ses vêtements et descendit à la cuisine ou l'attendait déjà une belle assiette de salade de pommes de terre qui restait de la veille. Il faut dire qu'elles en avaient fait une belle quantité.
_"Bonjour nénette, merci." Dit-elle à la domestique en s'asseyant pour déjeuner. Elle s'appelait en réalité Annette, mais Morgane n'aimait pas trop ce prénom. 
_"Bonjour mademoiselle." Répondit la bonne en déposant un verre de lait devant l'assiette creuse. "Comment allez-vous ce matin?"
_"Très bien! Aujourd'hui je retourne dans la forêt avec Chloé. Je vais lui montrer le vieux chêne." 
_"Vous avez de la chance il va encore faire beau toute la journée. La préparation de l'omelette s'est-elle bien passée hier?"
_"Oui. On a fait une omelette délicieuse, on s'est régalé. C'est même Chloé qui l'a terminée. Elle est gourmande." S'amusa Morgane.
Tandis qu'elle mangeait ses patates, sa grand-mère entra dans la cuisine l'air inquiète. 
_"Bonjour Morgane." Dit-elle en embrassant ses cheveux. "Bonjour Annette."
_"Bonjour madame. Les nouvelles sont-elles bonnes? Vous avez l'air préoccupée." Observa Annette.
_Morgane, ma chérie, tu veux bien nous excuser deux secondes, finit ton déjeuner, d'accord?" Requerra sa grand-mère tout en invitant la bonne à la suivre dans le salon. 
_"Oui mamie." S'exaspéra la gamine et la grosse dondon ferma la porte. 
_"Les braconniers ont attaqué le mur nord de la zone dans la nuit." Continua-t-elle en tâchant de murmurer. "Ils ne disent pas grand
chose de plus, mais trois de nos militaires ont trouvé la mort et il y a des blessés. Il semblerait qu'une brèche ait été faite, mais l'assaut a été repoussé." 
_"Que la terre nous protège, que la terre nous protège." Désespéra la servante qui utilisait toujours cette expression quand elle était angoissée. 
_"Ils disaient aussi que le juge était sur place, je suppose que mon mari a du s'y rendre pour l'exécution des prisonniers. C'est lui qui doit prononcer les sentences." Chuchota encore l'énorme maîtresse de maison. "Bon, retournons à la cuisine, je ne veux pas que Morgane s'inquiète aussi." Elle rouvrit la porte et entra la première.
_"Servez moi un verre de citronnade, Annette, je vous prie." Lança-t-elle innocemment en s'asseyant en face de Morgane qui avait presque terminé. Mais nénette lui en avait trop mis...
_"C'est quoi un braconnier mamie?" Interrogea Morgane fièrement. Elle avait écouté à la porte mais n'avait pas tout saisi, sa grand-mère n'avait pas parlé assez fort et le bois était épais. 
_"C'est quelqu'un qui vit dans les déserts de cendres et qui nous attaque pour voler notre nourriture." Répondit sa grand-mère, prise au dépourvu. "Les braconniers n'avaient encore jamais attaqué notre zone, c'est pour ça que je suis un peu inquiète."
_"Je pourrai quand même aller me promener en forêt avec Chloé?" S'inquiéta Morgane. C'était en fait sa seule préoccupation et elle savait que sa grand-mère était peureuse.
_"Oui, ne t'en fait pas, l'incident s'est passé loin d'ici." Soupira la mastodonte. "Papy ne rentrera, d'ailleurs, sûrement pas ce soir." Rajouta-t-elle, mais Morgane s'en fichait. Elle était fâchée après son grand-père et n'avait pas digéré l'injustice de la veille.
La matinée s'écoula trop lentement au goût de Morgane, qui, malgré le nettoyage des cages, trouvait que le temps ne passait pas assez vite. Elle s'ennuyait et se demandait ce que pouvait faire sa copine.
_"Je m'ennuie..." Dit-elle en direction de nénette, la tête sur les mains et les coudes sur la table de la cuisine.
_"Mademoiselle s'est levée bien tôt aujourd'hui." Lui répondit la bonne.
_"J'arrivais pas à dormir et les sirènes d'alarme m'ont réveillée en plus." Réagit-elle en se redressant sur sa chaise avant de finalement laisser retomber son visage entre ses mains. "Je m'ennuie, c'est long d'attendre..." déplora-t-elle.
_"Je dois aller chercher un jambon à l'épicerie du village, allez donc demander à votre grand-mère si vous pouvez m'accompagner." Proposa la bonne qui avait bien compris que c'était à elle de trouver une occupation à la gamine.
À peine avait-elle fini sa phrase que Morgane était déjà partie rejoindre sa grand-mère au fond du jardin. Elle sourit, amuser par la fougue et l'énergie de la petite. Enfin elle n'était plus petite, elle avait dix ans!
La vieille Dinousillet s'occupait de leur chèvre et trayait son lait quand Morgane arriva. Elle accepta que sa grande petite-fille parte avec la bonne, non sans recommandations et Morgane repartit aussi vite qu'elle était venue. Elle va me rendre folle, pensait la grosse sexagénaire.
Bien-sûre, la jeune décadaire ne s'en rendait pas compte, mais ce que possédait son grand-père, une grande maison, des poules, une chèvre, des véhicules et un potager, était un privilège extrêmement rare que seuls les juges et quelques hauts gradés militaires avaient. Elle était née sous une bonne étoile, voilà tout. 
Le lait, les œufs, des carottes ou des tomates, permettaient d'acquérir beaucoup d'autres denrées essentielles à l'alimentation auprès des épiceries, comme le sel par exemple. Il y avait toujours un système monétaire, mais l'argent avait perdu bien de sa valeur et ne servait que rarement à l'achat de nourriture. Les bons alimentaires avaient remplacé les billets de banque quant aux pièces de cuivre, de bronze, d'argent ou d'or, frappée par l'armée, elles ne servaient qu'à maintenir un semblant de cohésion sociale et de hiérarchie entre les hommes. En fait elles étaient utilisées pour tout ce qui ne concernait pas l'alimentation, même si elles servaient parfois à acheter des bons alimentaires justement. 
Les juges avaient le pouvoir de signer de tels bons, selon une limite bien définie qui correspondait aux résultats des cultures, et selon un accord prédéterminé avec les épiciers, qui, après les militaires et les magistrats, étaient sans doute les hommes les plus puissants. Ils étaient les seuls à avoir les autorisations à se rendre dans les grandes fermes agricoles des zones de campagne, contrôlées par les militaires, évidemment, qui regroupaient l'ensemble des productions animales et végétales du secteur. Ils ramenaient ensuite leur stock en convois armés vers leurs magasins, qui ressemblaient à de vraies prisons et se chargeaient de la vente des produits. Ils étaient également les seuls à posséder les équipements utiles à la conservation des denrées et les seuls à recevoir l'énergie nécessaire à leur bon fonctionnement. Ainsi, toute la chaîne de production et de distribution était supervisée, même si le contrôle de la production était plus délicat du fait des ouvriers agricoles travaillant dans les fermes, susceptibles d'alimenter le marché noir. La charrue n'avait pas remplacée les machines, bien au contraire, elles étaient de plus en plus performantes et autonomes, mais la présence humaine était encore indispensable. 
_"Vous êtes prête mademoiselle?" Demanda Annette.
_"Prête, allons-y!" S'exclama Morgane qui n'avait qu'un seul espoir, rencontrer Chloé dans le village et lui faire la surprise.
Elles prirent le véhicule familial et se rendirent à l'épicerie du patelin. Celle-ci était située en plein centre, non loin de la ou s'était installée Chloé, mais Morgane l'ignorait. Les rares voitures encore en circulation possédaient des moteurs hybrides qui fonctionnaient à l'huile végétale, laquelle coûtait extrêmement chère, même pour les juges. Elles se garèrent en face du magasin, de l'autre côté de la place de l'église terrienne, seule religion autorisée, et se dirigèrent vers l'entrée.
_"Est-ce que je peux t'attendre dehors, nénette, s'il te plait?" Demanda Morgane, toujours la même idée en tête. "S'il te plait..." Insista-t-elle, sentant une réponse négative arriver.
_"Si mademoiselle le souhaite, mais qu'elle reste devant pour que je puisse la voire." Concéda la bonne trop gentille. 
Elle avait une affection particulière pour Morgane qui lui rappelait sa fille, morte au même âge d'une infection pulmonaire incurable. La médecine avait énormément perdu de son efficacité et de son pouvoir sur les gens. D'autant que nombre des technologies modernes actuelles, indispensables à ses soins, étaient devenues l'exclusivité de l'armée et que tout le secteur pharmaceutique était également sous contrôle militaire. Les plantes utiles à la confection des médicaments étaient cultivées sous d'immenses serres surveillées et tous les pharmaciens étaient des soldats. La redistribution des médicaments à la population ne se faisait qu'au compte goûte et Annette n'avait pas réussi à s'en procurer, tandis que son enfant agonisait. Elle s'était alors, en désespoir de cause, tourner vers son employeur, le juge, qu'elle savait sans compassion, mais celui-ci refusa de lui octroyer un bon pour des médicaments, malgré ses supplications. Il était resté froid et rigide en disant que ces bons étaient à usage personnel et n'en dévia pas, l'obligeant même à rester à son service. Il en avait le pouvoir et le pouvoir rend les hommes cruels. Elle n'avait pas eu le choix que d'accepter. Elle n'avait pas eu, non plus, les moyens de faire venir un médecin, car elle avait gardé le peu qu'elle possédait pour offrir à sa fille un enterrement décent. Sa croyance était si profonde, qu'il n'était pas question, pour elle, que sa progéniture ne retournasse pas à la terre protectrice. Elle n'avait parlé de cette histoire à personne, même son énorme maîtresse de maison l'ignorait. 

Morgane scrutait la place en espérant reconnaître son amie ou au moins son vélo poser quelque part, mais elle ne voyait rien. Il n'y avait presque personne dans les rues et beaucoup d'enseignes étaient closes, ce qui l'inquiéta. Était-ce à cause de l'attaque des braconniers? En tout cas, ce n'était pas habituel. L'ambiance lugubre qui émanait de ce village et en particulier de cette place quasiment déserte, prit Morgane à la gorge, à tel point qu'elle se précipita dans l'épicerie pour rejoindre la domestique. Elle ne verrait pas Chloé ce matin, cela commençait à ne faire aucun doute. Quand elle entra, elle remarqua tout de suite la présence du militaire derrière la porte. À part ce garde manger, l'épicier et Annette, il n'y avait personne d'autre dans le magasin. Probablement que le petit commis qu'elle aimait bien travaillait dans l'arrière boutique. L'épicier, lui, lui faisait peur avec son air agressif et supérieur. En plus, il boitait...
_"Vous n'avez pas vu votre amie?" Demanda Annette qui avait deviné pourquoi Morgane voulait attendre à l'extérieur. 
_"Non, il n'y a personne dans le village, ça fait même peur." Chuchota Morgane qui ne voulait pas être entendue. 
L'apprentis qu'elle aimait bien parce qu'il était gentil et qui n'était pas le fils de l'épicier, ne tarda pas à arriver avec un énorme jambon sur l'épaule. Morgane en avait déjà vu un, mais c'était toujours impressionnant.
_"Il va vous le mettre dans la voiture." Dit l'épicier tout en présentant le bon devant le lecteur approprié, avant de le ranger dans le coffre fort derrière le comptoir. "Ces bons valent une fortune vous savez." précisa-t-il, comme pour justifier de telles mesures de protection. 
_"Bonjour Jean-Jean!" S'écria Morgane, pour se faire remarquer.
_"Bonjour mademoiselle." Salua le commis, qui l'avait reconnue, tout en se dirigeant vers la porte que le garde légumes ouvrit. Il s'appelait en réalité Jean-Luc, mais Morgane avait le chic pour trouver des surnoms à tout le monde.
Le jambon déposé, elles remercièrent l'employé et prirent le chemin du retour. Annette eut bien du mal à le transporter jusqu'au sellier. Il allait bientôt être l'heure du repas, Morgane était soulagée, sa copine Chloé n'allait pas tarder à arriver et elles allaient pouvoir aller se promener. C'est long d'attendre quand on a un secret à dévoiler.
                                      Feuille Qui Fume
Chloé accueillit avec moins d'appréhension les alarmes du village, même si elles la réveillèrent en sursaut. Elle ne tenta pas de se rendormir, il était déjà presque cinq heure du matin et il fallait qu'elle se renseigne sur ce qui se passait. Elle ne voulait surtout pas être prise au dépourvu et appréhender au mieux la situation. Il était extrêmement rare que les sirènes retentissent et encore plus dans des zones de campagnes, particulièrement surveillées et protégées, elle devait donc en savoir plus sur ce qui était arrivé. Elle n'eut pas le temps de finir de se préparer que les sirènes retentirent de nouveau, ce qui signifiait que les militaires fouillaient le village. Le message que les hauts-parleurs transmirent ensuite était sans équivoque et demandait à la population de se présenter immédiatement au point de contrôle le plus proche. 
Chloé termina de s'habiller et se rendit sans précipitation au point de contrôle nord du village, le plus proche de là ou elle séjournait. Un blindé armé barrait l'unique route d'accès, elle n'en avait encore jamais vu de déployé, cela devait forcément être important. On ne percevait néanmoins aucune nervosité chez les porteurs d'uniformes, tandis que les gens, eux, étaient visiblement angoissés. Chloé ne l'était pas, au contraire, elle espérait même que ce soit suffisamment grave pour justifier un bouclage de toute la zone. Cela lui permettrait d'avoir plus de temps pour réorganiser sa vengeance. Profitant de sa chance, si on peut dire, elle ne présenta que le laissez-passer que le juge lui avait fait et eut même l’arrogance de demander au militaire qui la contrôlait ce qui se passait. Le matricule 21453, aucun militaire n'avait de nom, s'interrompit.
_"Mademoiselle, vous venez de violer l'article 2 du code des procédures, vous interdisant formellement d'adresser la parole aux représentants de l'autorité, vous êtes donc en infraction, veuillez me suivre." L'enjoignit-il.
Il la menotta et l'emmena alors sous la tente dressé en bordure de route à côté du blindé. Chloé savait que la sentence pouvait être sévère mais ne montra aucun signe d'inquiétude. Son cœur battait pourtant la chamade. Le matricule 21453 présenta le laissez-passer au gradé assis derrière une table de fortune et lui décrit l'incident. 
_"Retirez lui les menottes, immédiatement!" Ordonna le commandant, semblait-il, mais Chloé n'y connaissait quasiment rien en terme de grades militaires. "Veuillez nous excuser mademoiselle, mais c'est la procédure et la population doit penser que vous avez été réprimée pour votre infraction." Lui précisa-t-il.
_"Merci alors." Ne sut-elle que répondre.
_"L'information est secrète, mais sachez simplement qu'il y a eu une attaque de braconniers cette nuit au niveau du mur nord et nous vérifions qu'aucun d'entre eux n'a pu s'introduire pendant que nous repoussions leur assaut. Vous ne reverrez pas le juge avant demain, il y aura des exécutions contre le mur aujourd'hui, si vous voulez y assister." Concéda le gradé d'un ton grave avant d'ordonner: "matricule 21453, reconduisez mademoiselle au poste de contrôle et laissez la partir. Au revoir mademoiselle Santois." Conclut-il en direction de Chloé, avec un léger signe de tête et lui rendant son document. 
_"Merci, au revoir." Dit-elle, laissant agir à fond ses charmes, rassurée et sûre à présent que la zone serait bouclée pour au moins deux jours. Elle suivit ensuite le matricule et quitta la tente.
_"Ne ressortez pas de chez vous avant la prochaine sirène." L'enjoignit-il avant de la laisser partir.
_"Vous avez eu beaucoup de chance..." Lui susurra une jeune-femme qui venait d'être contrôlée. Elle l'accompagna jusqu'à une rue qui retournait vers le centre. "Mon conjoint est ouvrier agricole, est-ce que la ferme a été attaquée?" S'enquerra-t-elle en la stoppant. "S'il vous plait, je suis sûre que vous savez quelque chose." Insista-t-elle presque suppliante, alors que Chloé reprenait sa marche sans répondre.
_"Pas ici." Lâcha-t-elle, tandis que la femme tentait de la retenir par le bras. Elle savait que les caméras du village surveillaient les moindres comportements suspects et s'étonnait même que son interlocutrice n'y fasse pas plus attention.
_"Venez chez moi alors, j'habite juste là, je vous en prie, j'ai du café et même un peu de sucre." L’exhorta l'inconnue.
Chloé l'accompagna jusqu'à une cours intérieure qui débouchait sur trois paliers. Des cordes à linge reliaient chaque petite maison entre elles, qui formaient une sorte de U, mais peu de vêtements y étaient suspendus.
_"Suivez-moi, c'est par ici." La guida la jeune-femme.
Une fois à l'intérieur du domicile, Chloé expliqua ce qu'elle savait tout de suite, pour rassurer la propriétaire des lieux, inquiète. Celle-ci, apparemment soulagée, commença à préparer le café et se présenta enfin. Elle se nommait Émilie.
_"Vous avez un joli prénom." Lui dit Chloé qui se présenta également.
_"Chloé est tout à fait charmant aussi." Répondit Émilie avec un sourire. "Mais je vous en prie, asseyez-vous. Bonne terre! je manque à toutes mes obligations." Se reprocha-t-elle. Elle s'assit également, le temps que le café chauffe. "Je suis très heureuse de faire votre connaissance, je n'ai pas beaucoup l'occasion de parler avec quelqu'un vous savez. Il y a peu de monde dans le village à cette période de l'année." Poursuivit-elle. "Je vous présenterai mon fils, quand il rentrera après la prochaine sirène je pense, mais je vais faire le service." Elle se releva, relativement nerveuse.
_"Vous croyez que le village va être bouclée longtemps?" Demanda simplement Chloé qui préjugeait qu'Émilie connaissait bien les procédures en vigueur dans l'Area.
_"Au moins deux ou trois jours, je pense, le temps qu'ils fassent un nettoyage complet des secteurs nord." Répondit-elle d'un ton mêlant agacement et inquiétude. "Tenez, il est bien chaud et j'ai mis du sucre." Lui dit-elle en posant la tasse sur la table.
_"Merci beaucoup, ça faisait longtemps que je n'avais pas bu de café, c'est tellement dur d'en trouver, vous permettez que je fume?" S'enquerra Chloé. 
_"Vous avez des cigarettes!" S'exclama Émilie.
_"Vous en voulez une?" Lui proposa son invité inattendue.
_"Avec plaisir, oui, s'il vous plait." La remercia-t-elle.
_"Tu peux me tutoyer." Dit Chloé en tendant des allumettes. 
Elle savait que plus elle rencontrerait de personnes plus ses chances de passer inaperçue s'amoindriraient, mais elle ne voyait pas comment elle pouvait partir sans avoir fait la connaissance du fils d'Émilie. Elle apprit, en attendant, qu'ils vivaient à VZC44 (village de zone de campagne 44) depuis sept ans, à la suite d'une promotion de Keith, son conjoint, qui travaillait maintenant sur les tireuses de lait à la ferme centrale.
_"C'est grâce à ça que j'ai du sucre." Reconnut Émilie, qui continua en expliquant comment les militaires offraient certains privilèges aux ouvriers performants. "Le café, je le troc au marché noir ou à l'épicerie quand ils en ont. Mais des cigarettes, t'as eu de la chance d'en trouver ici." Son ton était devenu presque admiratif.   
Chloé écoutait plus qu'elle ne parlait et restait par conséquent relativement évasive et imperceptible, mais on se souviendrait de son visage, quoi qu'il en soit et elle en avait parfaitement conscience. Les circonstances de sa rencontre avec Émilie étaient, en l’occurrence, suffisamment marquantes pour qu'elle se souvienne d'elle et c'est ce qu'elle voulait éviter justement. Néanmoins, Zoé avait le pressentiment qu'elle n'avait pas besoin de se méfier outre mesure et pouvait donc attendre l'arrivée du fils d'Émilie, qui ne manqua pas d'insister pour qu'elle reste l'attendre. Les sirènes retentirent enfin. Le message militaire qui s'en suivit officialisa ce qu'elles savaient déjà, à savoir qu'une attaque de braconniers au niveau du mur nord avaient été repoussée dans la nuit et que des recherches se poursuivaient dans les secteurs concernés.
_"Mon fils ne devrait plus tarder maintenant, le temps qu'il revienne de la forêt et il sera là. Si tu n'es pas trop pressée, tu pourrais même rester avec nous pour le repas, il aura sûrement attrapé quelque-chose." L'invita Émilie.
_"Il sait chasser?" Demanda Chloé intriguée. 
_"Oh oui et très bien. C'est son père qui lui a appris. Mais maintenant, il fabrique les pièges bien mieux et il sait se servir de son lance-pierre comme personne. C'est très rare qu'il revienne bredouille. Tu verras, je suis sûre qu'il va revenir avec une prise." Émilie regarda à la fenêtre pour le guetter, elle semblait tout de même un peu nerveuse, voir angoissée. "Les militaires devraient avoir bientôt quitté le village." Rajouta-t-elle comme pour se rassurer.
_"Je suppose qu'il est prudent, il a quel âge?" Interrogea Chloé.
_"Quatorze ans cette année, en novembre." Lui répondit Émilie.
_"Il doit savoir ce qu'il fait, ne t'inquiètes pas."
_"Il fait toujours très attention, mais c'est tout de même extrêmement risqué. Il voulait profiter de l'agitation matinale pour aller relever ses pièges et nous avons besoin de ce qu'il attrape de toute façon." Regretta sa mère. 
L'âge n'avait aucune espèce d'importance, elles le savaient toutes les deux, si le fils d'Émilie se faisait prendre, c'était la peine de mort assurée. L'instinct de survie, la faim et l'appât du gain conduisent les hommes à braver bien des dangers et à prendre des risques inconsidérés, l'amour aussi, parfois. Chloé repensa aux perdrix qu'elle avait vu la veille et à la réflexion qu'elle s'était faite alors. Elle ne comprenait que trop bien pourquoi un gosse de treize ans devait aller chasser au péril de sa vie et cela la révoltait. 
_"J'espère qu'il n'a pas été trop prêt de la caserne." Supputa Émilie toujours un œil vers la fenêtre.
_"Tu vas réussir à m'inquiéter aussi avec tes histoires." lui répondit Chloé d'un ton jovial, pour détendre l'atmosphère. "Je vais aller voir dehors si les troupes sont parties, je reviens." Déclara-t-elle finalement, n'en pouvant plus d'être dans l'expectative. 
Sans qu'Émilie est pu dire quoi que ce soit, Chloé s'était déjà engouffrée par la porte, laissant son café encore fumant et à peine bu. Trois matricules étaient encore en faction à l'intersection et Chloé remarqua même qu'une femme en faisait partie, ce qui n'était pas si fréquent. La sirène ayant retenti, elle n'était donc pas en infraction et pouvait aller parler aux soldats. Son idée était de faire diversion, car, sans savoir vraiment pourquoi, elle sentait que le gamin attendait que cette faction soit partie pour rentrer chez lui. En plus, cela lui permettrait de savoir une bonne fois pour toute si la zone allait être bouclée et surtout pour combien de temps. 
_"La zone restera bouclée jusqu'à la journée du troc. À présent veuillez circuler mademoiselle." La pria le matricule 5674, la seule femme du groupe justement, en faisant de léger mouvement avec son arme. 
Tous les troufions étaient équipés d'un fusil à double canon, doté d'une baïonnette de titane, capable d'exploser un rocher de la taille d'un homme quand il était utilisé avec ses munitions explosives. Ils avaient également une matraque à décharges électriques accrochée à la ceinture. Autant dire que leurs forces dissuasives étaient particulièrement visibles et qu'elles rapprochaient du zéro leur degré de tolérance et d'intelligence. Une telle supériorité de façade conduisait inévitablement à des excès de confiance et baissait la vigilance générale. Chloé, dont l'intelligence surpassait largement les fusils, savait exactement comment tirer à son avantage un tel comportement. Il faut dire que ces études la conduisait à côtoyer les militaires régulièrement, même si c'était dans une Area grise, ce qui facilitait ses appréhensions. Elle n'eut besoin que d'essayer de poser une autre question pour qu'ils décident de la contrôler et elle put ainsi représenter son laissez-passer. Immédiatement, ou presque, les trois matricules révisèrent leur attitude et laissèrent Chloé les interroger. Elle apprit ainsi que leur ordre de retrait devait arriver très prochainement. Elle les remercia de la plus longue façon qu'il soit possible de faire et repartit en direction de la demeure d’Émilie.
Elle n'eut pas le temps de frapper à la porte qu'un garçon lui ouvrit et l'invita à entrer. 
_"Vous avez assuré madame." lui dit-il simplement, en refermant la porte.
_"Tu es vraiment très doué." Répondit Chloé admirative. "Je ne t'ai absolument pas vu. Tu peux me tutoyer tu sais."
_"Je te présente mon fils Daryl." Dit fièrement Émilie, l'arrêtant dans sa course vers son sac avec le bras. "Vraiment merci pour ta diversion, il m'a raconté, c'était du grand art apparemment." Elle le lâcha.
_"Tu parles, c'était trop facile, un jeu d'enfant si j'ose dire." S'amusa Chloé, satisfaite et rassurée. 
_"Tiens, c'est pour toi." Offrit Daryl en lui tendant un écureuil et inclinant la tête.
Outre ce petit rongeur, Il avait réussi à ramener une perdrix, un pigeon et deux épis de maïs qu'il avait dérobé dans le champs, ce qui était extrêmement dangereux, mais s'avérait très payant quand on avait la chance de son côté. Émilie réitéra son invitation en insistant encore davantage pour que Chloé accepte de rester, mais c'est Daryl qui réussit à la faire céder. Il faut dire qu'il avait un argument de poids, puisqu'il avait les outils qu'elle cherchait. Elle voulait profiter de la matinée pour aller voir si elle pouvait les trouver au "trouveur", mais Daryl avait une vraie collection de clefs et de pinces et elle trouva vite ce dont elle avait besoin.
"Le trouveur" était une sorte d'enseigne, majoritairement contrôlé par l'armée et par les indépendants pour le reste, implantée dans tous les endroits habités de toutes les zones. C'était en fait des quincailleries qui proposaient tout ce qui n'était pas comestible et dont le stock dépendait des productions, des créations et des découvertes de chaque Area. C'est le plus souvent dans ces magasins que les pièces de monnaie servaient. Mais c'est la nourriture qui ouvrait tous les coffres... Ou la gratitude, mais trop rarement. C'est grâce à ce sentiment que Chloé avait eu ses cigarettes au trouveur de son secteur, dans la zone grise 132 et en particulier la cité 11 ou elle vivait en réalité. Elle avait réussi à sauver le fils de son quincaillier en l'opérant de l’appendicite, avec une anesthésie de fortune à base d'héroïne et deux scalpels. Une fois l'opération terminée et réussie, le père, fou de joie que son fils soit sauvé, avait donner à Chloé une cartouche de cigarettes pour la remercier. La valeur d'un tel cadeau était inestimable, tant le tabac était rare et chère. Il l'était bien plus que le chanvre indien, légalisé, mais que beaucoup cultivait clandestinement à cause du contrôle absolu du circuit légal par les militaires et leur interdiction de la production privée. 
Cette plante était devenue indispensable à l'économie, du fait de tout ce qu'elle permettait de fabriquer, des vêtements aux cordes, en passant par l'huile de cuisine. Sa culture permettait également de ré-enrichir les sols des zones désertiques en cours de "réappropriation", selon les termes des autorités, et les immenses champs qui en résultaient étaient mieux surveillés que les centrales énergétiques. Il n'était pas question pour une dictature de laisser une telle ressource libre de droit ou libre d'accès. 
De la même manière et dans la même logique, tout ce qui permettait aux hommes d'oublier leur misérable condition et existence était légal et supervisé par les militaires. Par exemple, des opiumeries étaient ouvertes dans toutes les zones proches des cultures de pavot et dans les grandes agglomérations. Une rumeur voulait que les morts par overdose qui n'étaient pas réclamés servent à alimenter les fourneaux des grandes forges, bien plus au nord, au niveau de la frontière avec la calotte glacière, qui recouvrait prêt de la moitié de la planète. 
Nombres de peines condamnaient aux travaux forcés, dans les forges ou dans les mines, on appelait cela le retour au monde souterrain. peu en revenaient et n'étaient jamais indemnes. Les traitements inhumains et la torture avaient plus que survécu aux grandes catastrophes du siècle dernier, c'est uniquement le visage des prisons qui avait changé. 
Aujourd'hui, en 2126, on ne pouvait pas vraiment admettre que l'homme ait évolué, bien au contraire, la violence et la mort étaient omniprésentes.
Émilie proposa à Chloé de lui cuisiner l'écureuil et de le conserver bien cuit jusqu'à la journée du troc, ce qu'elle accepta volontiers. Tandis que le pigeon et les maïs cuisaient, Chloé finit son café, tiède, et fit la connaissance de Daryl, le fils chasseur. Il était l'unique enfant du couple, car, malgré les recommandations du gouvernement, Émilie et Keith n'avaient pas les moyens de faire vivre un deuxième enfant. Il avait un tempérament d'aventurier et était un bricoleur hors-pair qui réparait bien des objets. C'était un enfant de la campagne, habitué aux grands espaces et débrouillard. Sa mère reconnut qu'ils avaient eu de la chance que le père de Daryl ait été promu dans une Area verte aussi vaste et surtout possédant une forêt. 
Ça sentait bon et toutes ses odeurs de nourriture avait donné faim à Chloé qui ne manqua pas de complimenter Émilie. Elle savait préparer avec peu d'ingrédients d'excellents plats, elle tenait ça de sa mère disait-elle. C'était enfin prêt. Émilie sortit un gros pain et c'est Daryl qui coupa les tranches. Mais c'est elle qui s'occupa du pigeon. Ils se régalèrent et n'en laissèrent pas une miette. Émilie récupéra la carcasse afin de la nettoyer, elle confectionnait des colliers avec les os pour les troquer. Elle ne travaillait pas et n'avait donc aucune autre source de revenue que ses propres confections qui allaient des colliers d'os aux sandales en chanvre en passant par sa cuisine, évidemment. Si les restaurants n'étaient pas interdits, elle aurait pu en tenir un sans problème et aurait sans aucun doute eu une notoriété incroyable.
_"On t'aurait appelée la grande chef Émilie!" S'exclama Chloé qui se lâchait un peu, mais il était temps qu'elle parte si elle voulait pouvoir se préparer. "J'ai passé un merveilleux moment en votre compagnie et je suis ravi de te connaître." Dit-elle en se levant, à l'attention de Daryl.
_"Moi aussi, et encore merci pour tout à l'heure." Lui rendit-il.
_"N'oublies pas de venir récupérer ton écureuil. Tu peux passer quand tu veux je devrais être là. C'était vraiment un plaisir de te rencontrer et tu nous as rendu un fier service." Insista Émilie. "Et merci pour les cigarettes." 
_"Merci pour l'herbe." Répondit Chloé. 
Outre les outils qu'elle cherchait et le rongeur, Chloé avait réussi a échangé quelques cigarettes contre de l'herbe qu'ils faisaient pousser, clandestinement bien-sûre, dans une clairière que seul Daryl semblait connaître, au cœur de la forêt. C'est ce qui permettait notamment à Émilie d'avoir de la matière première pour ses confections, puisque tout était récupéré sur la plante. Elle fabriquait même de petites clopes roulées avec les feuilles, mais ce n'était pas la même saveur que le tabac. 
Bref, Chloé finit par prendre congé avec la promesse d'un écureuil cuisiné aux petits oignons, des outils et un sachet d'herbe. Pas mal en une matinée, pensa-t-elle et en plus j'ai super bien mangé. Et elle repartit tout en légèreté, belle et séduisante, comme un pétale de lotus dansant sous la brise et venant caresser l'eau calme d'une marre. Quand on a une telle force de caractère, on peut avoir le goût du risque.             
         Feuille Qui Fume
Morgane eut une belle tranche de jambon avec du pain et de la salade de patates qu'il fallait terminer. Nénette lui avait servie un verre de citronnade bien fraîche.
_"Ou est mamie?" S'enquerra-t-elle.
_"Votre grand-mère est partie voir les exécutions de cette après-midi, au mur nord, vous savez." Lui répondit la bonne un peu embarrassée. "Elle ne rentrera que ce soir." Et je devrai encore attendre son retour, pensa-t-elle sans le dire, relativement agacée. "Mademoiselle devrait prendre son temps pour déjeuner, sinon elle aura du mal à digérer." Lui suggéra-t-elle finalement.
Malgré les recommandations avisées de la servante, Morgane ne mit pas longtemps à finir son repas et rendit une belle assiette vide. Elle quitta la table, non sans avoir aidé à débarrasser, et alla guetter les grilles depuis la fenêtre du vestibule. Elle était un peu inquiète à cause des sirènes du matin et espérait que Chloé n'avait pas eu d'ennui. Elle aurait tellement voulu la croiser dans le village. Elle posa son visage sur ces mains et attendit fermement.
Chloé prit le temps de repasser par chez elle pour se rouler un
petit pétard d'herbe avant d'aller chez les Dinousillet. Elle avait, par chance, des feuilles à rouler, faites en chanvre justement, qu'elle utilisait la plupart du temps pour rouler le tabac qu'elle récupérait de ses mégots de cigarettes. Elle se doutait que les événements de la matinée auraient chamboulé bien des programmes et ne fit donc aucun plan. Elle apprendrait ce qu'elle avait besoin de savoir auprès de Morgane. Une fois qu'elle eut fini de fumer, elle descendit et enfourcha son vélo, sans oublier les outils, direction la maison du juge. Ça faisait longtemps qu'elle ne s'était pas senti aussi détendue, aussi certaine de réussir ce qu'elle avait entrepris. Néanmoins, elle espérait que Morgane soit toujours autorisée à sortir, sinon sa surprise allait tomber un peu à l'eau...
Morgane commençait à désespérer quand enfin le battant droit des grilles s'entre-ouvrit, laissant apparaître la roue avant du vélo de Chloé. Presque comme un réflexe, elle bondit et se dirigea vers la porte d'entrée.
_"Mademoiselle n'oublie rien?" Lui demanda la bonne alors qu'elle était pour s'engouffrer dehors. Morgane s'interrompit et s'exclama alors, amusée:
_"Mes chaussures!" Et elle courut les chercher. 
En entrant, Chloé avait tout de suite remarqué l'absence de véhicule sous la grange. Elle rangeait son vélo quand Morgane arriva en courant pour se précipiter dans ses bras. Le sourire de la gamine resplendissait de bonheur.
_"T'en as mis du temps." Lui reprocha-t-elle, espiègle au possible.
_"Attends, t'es lourde ma parole." Lui dit Chloé en la reposant au sol. "C'est parce que je voulais te faire une surprise." Elle sortit alors de son sac les deux clefs et la pince qu'elle avait sélectionné chez Daryl. "C'est..."
_"On va réparer mon vélo!" S'enchanta Morgane en enlevant les mots de la bouche de Chloé. Elle avait tout de suite deviné. "T'as trouvé les bonnes clefs, incroyable! Mais comment t'as fait?" Lui demanda-t-elle émerveillée.
_"Je les ai dénichées au trouveur contre un coupon pour des fruits." Répondit Chloé avec aplomb. Elle avait horreur, au plus profond d'elle, de mentir, mais ne voulait pas prendre le risque de mettre en danger Émilie et son fils. Après tout, même si elle inspirait confiance, elle ne connaissait pas Morgane depuis suffisamment longtemps.  
_"On aurait pu se voir. On était juste en face avec nénette pour prendre un jambon, énorme en plus et je t'ai guettée. Mais je t'ai pas vue." Dit Morgane un peu navré, mais intriguée aussi. 
_"On a du se croiser." Mentit-elle. 
Chloé n'avait rien trouver d'autre à répondre sur le coup, prise au dépourvue par la remarque de Morgane, mais sa réponse sembla satisfaire la gamine. Et elles se mirent à la réparation du vélo. Chloé, bien meilleure bricoleuse que sa beauté et sa fragilité apparente pouvait le faire croire, ne mit pas longtemps à remettre la chaîne du vélo sur ses rails, il n'y avait bientôt plus qu'à l'essayer. 
Le temps de prévenir la gouvernante et les voilà parties toutes les deux en direction de la forêt. Morgane fit d'abord quelques allés-retours afin de vérifier que la réparation tenait et elle emmena ensuite sa copine par un autre chemin, qui évitait la côte en plus. Elle filait à bonne allure, en vérifiant que Chloé suivait de temps en temps, car elle était un peu inquiète. Elle espérait que les militaires n'avaient pas fouillé la forêt ce matin et que son secret n'avait pas été découvert. Il sait ou se cacher de toute façon pensait-elle tout en pédalant de plus belle. Elles arrivèrent enfin à l'orée du sous-bois. Il n'y avait aucun chemin, juste le vestige rouillé de ce qui devait être un poteau en métal, un panneau quelconque de l'ancienne civilisation. Elles accrochèrent leur vélo ensemble contre un arbre et pénétrèrent dans la forêt.
_"Suis moi." Dit simplement Morgane.
_"Vas doucement. Qu'est-ce qui t'angoisse à ce point?" La questionna Chloé, qui avait perçu sa nervosité et qui, contrairement à elle, avait besoin de se baisser pour avancer entre les branchages.
_"Suis moi..." La voix de Morgane était fébrile. "Voilà le chêne!" S'exclama-t-elle victorieusement et elle courut dans sa direction. "C'est l'arbre dont je t'avais parlé!" Cria-t-elle à Chloé après avoir cogné le tronc pour arrêter sa course. 
_"Ce tronc est gigantesque." Reconnut Chloé qui arrivait seulement. "C'est à peine croyable." Elle reprit un peu son souffle avant de poursuivre: "Tu connais mieux la forêt que je ne le pensais. C'était ça ton secret?"
_"Non on y va là, mais tu dois me promettre d'abord que tu ne le diras à personne. D'accord?" Vérifia la grande petite.
_"C'est promis." Jura Chloé, soudain intriguée.

Elle suivit Morgane sans posée de question sur une distance qui lui parut interminable. Elles arrivèrent finalement au niveau d'une ruine de ce qui devait être une maison. Morgane fit halte.
_"J'espère que tu sais comment retrouver les vélos." S'enquerra quand même Chloé.
_"T'inquiètes, je viens ici souvent." La rassura Morgane. "Maintenant ne fait plus de bruit. Restes ici." Et elle alla en direction de la ruine en marchant prudemment. Chloé ne la lâchait pas des yeux. Tandis que Morgane s'approchait des restes d'un mur, Elle entendit un bruit sur sa gauche. Elle tourna la tête et le hurlement qu'elle poussa alors fit s'enfuir ce qu'elle vit en direction de la ruine et de Morgane. Certaine du danger, elle allait se précipiter vers l'enfant mais s'interrompit soudainement...
L'homme-loup qu'elle venait de voir était recroquevillé, tremblant, derrière Morgane qui tachait de le détendre en lui parlant calmement. Ce que vit alors Chloé était inimaginable et elle ne l'oublierait jamais. L'homme-loup regardait Morgane, docile, et elle lui caressait la crinière. 
_"Il voulait me protéger, tu peux venir." L'invita Morgane qui se mit à rire. "Je te présente mon secret." Dit-elle fièrement.
Chloé qui était tombée à la renverse se redressa et s'approcha doucement, à peine rassurée. C'était bien la première fois qu'elle se retrouvait prise au dépourvu à ce point, confrontée à ce qu'elle n'aurait jamais pu prévoir.
_"Je l'ai appelé Farid, comme mon père." Le présenta Morgane. 
Elle sortit alors du petit sac qu'elle avait emmené un fromage de chèvre, que sa grand-mère confectionnait, et le tendit à l'animain. Il le prit et commença à le manger en portant des morceaux à sa bouche avec une main et le tenant de l'autre. Pendant qu'il se nourrissait, Morgane raconta comment son père était mort assassiné dans la zone urbaine ou elle vivait. C'était pourtant une zone ultra sécurisée car possédant une centrale énergétique et mitoyenne de cette Area, mais on ne saurait tout contrôler. En l’occurrence, le père de Morgane avait été victime d'un meurtre prémédité par l'un de ses collègues. 
-"Ils étaient ingénieurs à la centrale tous les deux et un jour, comme ça, il a tué mon père." Finit d'expliquer Morgane, visiblement émue et ignorante des détails. "J'étais toute petite, j'avais six ans, mais je m'en rappelle bien." Quelques larmes coulèrent de ses yeux qu'elle essuya vite avec ses mains.
_"Tu sais, moi, j'ai perdu mon père à huit ans et je n'ai jamais connu ma mère." Lui avoua Chloé, compatissante. "Tu as eu raison de lui donner le prénom de ton père, c'est ta façon de t'en rappeler." Ajouta-telle avant de demander: "Est-ce que tu crois que je peux m'approcher?" 
Chloé voulait surtout que Morgane pense à autre chose et oublie sa tristesse, mais n'était pas spécialement pressée d'avancer vers l'homme-loup. 
_"Viens, il est gentil, je lui ai même appris des mots." La rassura Morgane. Et, contre toute attente, Chloé put entendre une sorte de "bonjour" et "peur" sortir de la bouche de l'animain. 
_"Il ne voulait pas t'effrayer." Traduisit la gamine qui, en effet, avait apprivoisé un homme-loup et réussissait à le comprendre. Du point de vue de la science, cet exploit représentait une avancée majeure dans les recherches sur cette espèce, mais c'était un secret, bien caché au fond d'une immense, profonde et vieille forêt.
         (à suivre)
 Feuille Qui Fume



Chapitre III
Farid, comme Morgane l'avait appelé, ne montra aucun signe de réticence quand Chloé s'approcha, au contraire, il semblait prêt à s'enfuir à tout moment et recula légèrement. Elle lui tendit la main en signe de non-agressivité et espérait qu'il sente ainsi qu'elle n'était pas motivée par de mauvaises intentions et n'était donc pas une menace. Elle garda sa main tendue tout en s'approchant de Morgane et non de lui puis resta immobile. Au bout de quelques instants, la bête se rapprocha et vint renifler les doigts de Chloé.
Il ressemblait à l'animain des affiches d'avertissement placardées dans sa cité, en moins méchant. Les attaques y étaient rares mais les égouts étaient réputés infestés et l'ancienne ville interdite le théâtre d'affrontements fréquents. Les vestiges de cette cité perdue de l'ancienne civilisation était une source inestimable de produits de consommation utiles, comme les vêtements par exemple, et était exploité par la compagnie "Le Trouveur" qui finançait les recherches 
et les fouilles. Mais le mur de protection séparant cette mégapole en ruine de la cité 11 était ancien et franchissable, ce qui attirait les animains et provoquait des incidents mortels. Les militaires ne sécurisaient pas toutes les sorties et les groupes de fouilles n'étaient armés que de haches et de pioches, une trop faible protection en cas d'attaque. La ville interdite était probablement la zone la plus dangereuse de l'Area grise mais beaucoup s'y rendait dans l'espoir de trouver quelque chose à revendre sur le marché noir. Peu en revenait vivant cependant. Une rumeur disait qu'une guilde de voleurs et d'assassins régnait dans les secteurs inexplorés et réussissait à commercer avec la zone de campagne 52, une petite Area verte isolée mais riche en nourriture, située à l'opposé ouest de la cité 11 ou vivait Chloé, de l'autre côté de la ville interdite. Mais personne n'en avait la preuve. Certains disaient même que l'armée autorisait cette guilde parce qu'elle lui fournissait des nouveaux nés pour élever de nouveaux matricules. 
Morgane ne put s'empêcher de rire quand Farid commença à lécher les doigts de Chloé, qui, du coup, s'autorisa à le caresser doucement. C'est alors que l'animain se redressa sur ses membres inférieurs en poussant des grognements de satisfaction et exécuta une sorte de démonstration de force en feignant de griffer et frapper une proie imaginaire au sol. Il les regarda en interrompant son mime et s'élança vers les arbres, aussi rapide et souple qu'une panthère, avant de disparaître. Morgane ne put qu'exprimer son désarroi devant une telle attitude, car c'était la première fois qu'elle le voyait avoir cette réaction. Elles se retrouvèrent donc seules.
_"Je suis sûre qu'il va revenir..." Rassura la gamine qui n'était absolument sûre de rien en vérité. 
_"Tu sais que nous prenons d'énormes risques, toutes les deux." Insista Chloé qui avait pourtant un tempérament plutôt téméraire mais qui n'était pas du tout apaisée. "Comment as-tu fait pour le rencontrer et surtout l'apprivoiser?" Interrogea-t-elle, curieuse et fascinée. 
Après qu'elle eut déclaré toute son admiration devant un tel apprivoisement, en évitant soigneusement d'évoquer ses études de médecine et tout l'intérêt qu'une telle découverte comportait, Chloé écouta Morgane lui raconter comment elle avait rencontrer l'animain. 
-"Si tu descends encore, vers la rivière par là, tu arrives au niveau du mur." Décrit-elle. "C'est là que je l'ai trouvé, on aurait dit qu'il était mort. Il avait un gros bout de bois planté dans le pied et il ne bougeait plus." Continua-t-elle. "Tu sais, en fait la forêt continue après le mur et la rivière passe dessous à travers d'énormes barreaux. Je pense qu'il a du sauter d'une branche ou quelque chose comme ça. Je me rappelle que quand je me suis approchée de lui pour voir s'il était encore vivant, il n'a fait qu'un mouvement avec sa tête. Alors je lui ai retiré la branche du pied. Il a hurlé, mais après il m'a laissé lui nettoyer la plaie dans la rivière. Depuis il reste ici et il m'attend. Je lui ai appris plein de trucs, mais il ne revient pas." Observa-t-elle un peu déçue. "C'était l'année dernière, tu te rends compte, il n'a pas bouger tout ce temps." Finit-elle en scrutant les alentours.
_"C'est juste incroyable, il t'a attendue et il n'a jamais été découvert."S'étonna Chloé. 
_"Non, quand il se cache tu peux pas le trouver, c'est impossible et il peut arriver à côté de toi sans faire aucun bruit." Lui expliqua Morgane.
_"Ah ça oui, je te le confirme." Insista-t-elle.
_"Mais là, je ne sais pas ce qu'il est parti faire." S'inquiéta la gamine. 
Les rayons du soleil filtraient à travers les branches, donnant à la litière des reflets dorés. La forêt était silencieuse, sinon le bruissement des feuilles dansant sous la brise et la ruine, comme inondée de lumière, semblait presque irréelle. Tandis qu'elles observaient les arbres dans la direction que Farid avait prise pour disparaître ensuite, elles le virent revenir au loin, chargé d'une masse qu'elles n'auraient pu définir.
_"Je te l'avais dit qu'il reviendrait!" S'exclama Morgane en tapant dans ses mains et en sautillant sur place. 
_"Mais qu'est-ce qu'il porte?" Demanda simplement Chloé qui essayait de mieux identifier la charge, qu'elle commençait néanmoins à appréhender, par des mouvements de tête. 
Elle n'eut pas longtemps à attendre, car les déplacements de Farid étaient rapides et précis, pour apprécier à quel point sa
sollicitude les mettait dans l’embarras. En effet, il venait de déposer un énorme cerf à leurs pieds. Chloé pouvait deviner que l'animal avait été égorgé il y a peu de temps, quasiment d'une oreille à l'autre, presque décapité, tant la tête était détachée du reste du corps, mais aucune autre blessure n'était apparente. Farid exécutait une espèce de danse autour du cadavre de la bête lorsque Morgane s'écria:
_"Mais qu'est-ce que tu as fait Farid!?"
L'Homme-loup cessa immédiatement ses cabrioles et, regardant Chloé droit dans les yeux dit:
_"Pou... Toi..." Et, de façon surprenante, il retourna se blottir contre Morgane, comme s'il craignait d'avoir commis une faute. 
Ce qui était étonnant, c'est que ce n'était pas elle mais justement Morgane qui s'était exclamée. L'animain regardait la gamine, accroupi, attendant une approbation ou une réprobation de sa part. Il ne regarda Chloé que pour répéter: "Pou... Toi..." Comme il venait de le faire et redirigea son regard tout de suite vers l'enfant. 
_"Quel comportement incroyable!" Dit Chloé, tout en s'accroupissant presque par réflexe et déjà dans l'analyse. "On dirait qu'il me fait un cadeau pour te faire plaisir à toi, comme s'il avait perçu que c'était important pour toi de me faire plaisir à moi, comme s'il avait deviné que tu voulais m'offrir quelque chose, ou, du moins, me faire une surprise. Il n'a pas conscience d'être une surprise à lui tout seul, tu vois ce que je veux dire?" Commenta Chloé. "L'ennui c'est que ce présent est un énorme cerf de 300 kg et qu'on ne sait pas quoi en faire. À côté de ça, ce serait dommage de perdre une telle mine d'or à l'approche de la journée du troc." Reconnut-elle. "Tu sais, je crois que tu devrai lui dire un mot gentil, un mot pour le récompenser et le rassurer aussi." Lui conseilla-t-elle enfin.
Morgane était fébrile et n'arrêtait pas de regarder l'animal mort. Elle semblait même en colère. Mais Chloé réussit à la calmer en lui expliquant, notamment, que cela faisait parti de l'instinct de chasse de Farid et qu'il ne fallait pas s'alarmer, que c'était sa meilleur façon de lui montrer sa gratitude. 
_"N'oublie pas que c'est à toi qu'il veut faire plaisir avant tout." Lui répéta-t-elle alors.
Morgane se blottit un instant dans ses bras, non sans provoquer un grognement, et finit par féliciter Farid qui n'attendait que cela pour exprimer sa joie. Il tapa dans ses mains avant de grimper sur un des murs en ruine et s'immobiliser, comme pour faire le guet. Cette dernière attitude attira plus particulièrement l'attention de Chloé qui y voyait là un réflexe humain et non animal et cela était très déconcertant. Au delà des quelques mots qu'il connaissait, ce comportement démontrait le lien entre l'homme et cette bête. C'était une thèse qu'elle défendait avec quelques collègues, dont un très vieil ami, à son université de médecine. Si seulement elle pouvait y emmener ce spécimen, cela ferait grandement avancer la science, mais risquerait de le tuer. Comment pourrait-elle seulement faire part de sa découverte et de ses conclusions? C'est Morgane qui la sortit de ses pensées en demandant ce qu'elles allaient faire du cerf, la ramenant ainsi à une question pratique et compliquée.
_"T'as vu comment il lui a presque coupé la tête!" L’interpella Morgane qui semblait avoir dépassé ses appréhensions et son dégoût.
_"Ça oui, il a une force incroyable. Je connais quelqu'un au village qui pourrait peut-être nous aider avec ce cadeau que nous à fait ton animain." Elle employa le possessif à dessein, car il ne faisait aucun doute que cette bête appartenait à Morgane et qu'elle ferait tout pour la protéger et la rendre heureuse, jusqu'à sacrifier sa vie sans même hésiter, s'il le fallait.
Farid ne bougeait pas sinon pour regarder ce que faisait sa maîtresse, à l’affût de sa moindre sollicitation. Chloé n'en revenait toujours pas de ce qu'elle voyait, elle était plus qu'impressionnée, elle était captivée, éblouie, troublée. Elle ne pouvait que perdre son incrédulité de départ, mais pas sa surprise. _"C'est qui?" Demanda Morgane.
_"Hein?... Oh, c'est un garçon du village, qui sait très bien chasser lui aussi." Répondit Chloé, de nouveau partie dans ses réflexions. "Tu le connais peut-être." 
Chloé ne voulait cependant pas mettre Daryl et sa mère dans l'embarras, mais elle ne voyait pas d'autre solution. Il allait falloir que Morgane accepte de ne rien dire et comprenne parfaitement tous les dangers inhérents à une telle situation. Que ce soit pour le cerf ou pour Farid, réussir à garder le silence était la clef de voûte de leur sécurité.
_"Il a quel âge?" Questionna la gamine.
_"Je crois qu'il a treize ans. Écoute Morgane..." Et Chloé tâcha de bien lui faire comprendre à quel point il allait être important qu'elle ne dise rien à personne, pas même à sa mère, à quel point leurs secrets respectifs ne devaient être divulgués sous aucun prétexte et pourquoi. Elle voulait absolument que Morgane entende l'importance vitale de son silence et qu'elle lui faisait confiance.
_"Est-ce qu'on est bien d'accords toutes les deux, je peux te faire confiance?" Réclama-t-elle enfin.
_"Oui tu peux." Répondit Morgane d'un ton presque inquiet, ce qui ne manqua pas de faire réagir Farid qui vint immédiatement prêt de Morgane. Il n'avait plus de réticence à l'égard de Chloé ce qui semblait signifier qu'elle était acceptée. En tout cas, elle n'était plus considérée comme un danger potentiel. 
_"Il faut que tu me le promettes, comme tu me l'as demandée au chêne." Insista quand même Chloé, bien consciente d'impressionnée la gamine. 
_"C'est promis." Dit Morgane d'un ton nettement plus ferme et clairement décidé. 
_"Bien, il s'appelle Daryl et je sais qu'il chasse beaucoup dans la forêt. Je suis certaine qu'il saurait vider ce cerf et le découper pour qu'on puisse le transporter. En plus, la journée du troc est proche et si j'ai bien compris, tout ce qui est proposé ce jour là, même ce cerf, est ou devient légal définitivement. Bon, rassures ton Farid, je vais essayer de l'appeler." Requerra Chloé, qui, sans vraiment pouvoir l'expliquer, sentait que le gamin n'était pas loin, voir les avait suivies. Son extraordinaire intelligence et sa capacité d'analyse lui permettait souvent de prévoir qu'elle sera le comportement des gens et elle avait bien vu que Daryl était curieux par nature et qu'elle l'intriguait. Elle supposait donc qu'il était dans les parages, mais s'étonnait en même temps que Farid n'est rien senti. Il fallait qu'elle en ait le cœur net.
_"Attends moi là, je vais m'éloigner un peu avant de crier son nom." Elle marcha une trentaine de mètres et grimpa au sommet d'une petite butte pour être plus facilement visible. Elle scanda alors "Daryl" aussi fort qu'elle le pouvait. Farid réagit aussitôt et malgré les recommandations de Morgane et son insistance, vint se poster au pied de Chloé en une fraction de seconde. Chloé était de plus en plus impressionnée par le comportement de cet homme-loup. Il ressemblait plus à un orque hirsute et chevelu qu'à un loup, mais cette expression d'homme-loup venait de l'ancienne civilisation. 
Elle avait appris au cours de ses études que, durant la révolution Russe de 1917, de telles mutations avaient commencées à être observées chez des enfants livrés à eux même et qu'ils avaient été affublés de cette affreuse expression d'enfants-loups. Ces hommes-loups seraient donc le résultat d'une mutation complète de l'homme retournant à l'état sauvage. Mais ce qui était incroyable, c'est que cette transformation semblait ne pas être irréversible, contrairement à ce que disaient ses manuels de cours. Encore un endoctrinement masqué sous couvert de connaissances historiques, pensa-t-elle alors. 
Farid, qui n'était plus qu'à un petit mètre de Chloé, lui prit la main et la posa sur sa crinière, semblant vouloir recevoir des caresses et se mit à la regarder fixement. C'était comme s'il attendait de savoir ce qu'il devait faire. Elle lui dit simplement
de ne pas bouger et il se fixa, sans omettre de tourner sa tête vers Morgane qui ne bougeait pas. Elle cria de nouveau le nom du gamin et attendit presqu'aussi fixement que l'animain. C'est alors qu'on put entendre au loin un: "Je suis là, dites à l'homme-loup de ne pas bouger, j'arrive." C'était bien la voix de Daryl, encore une fois Chloé ne s'était pas trompée. Farid, contre toute attente, ne fit aucun mouvement intempestif, sinon de tourner sa tête en direction du bruit. Au bout de quelques instants, Chloé put deviner une silhouette s'approcher d'eux.
_"Re-bonjour madame, bonjour toi, bonjour Morgane." Dit Daryl en caressant l'animain qui ronronnait presque.
_"Comment tu connais mon animain et comment tu connais mon nom?!" S'exclama Morgane, clairement agacée de ne pas tout comprendre.
_"Bah t'es la petite fille du juge, tout le monde le sait au village. Un jour on s'est même parlé à l'épicerie, tu venais cherché des patates et nous on échangeait un pigeon contre du sel et un peu de beurre, tu ne te souviens pas?" Lui expliqua et lui rappela Daryl.
_"Si, je m'en souviens." répondit-elle sur le même ton énervé. "Et pour mon animain?!"
_"Bah... Il m'a boulotté un lièvre et deux écureuils avant que je réussisse à le piéger en le faisant tomber dans un trou. En plus il abîmait mes collets. J'avais pas le choix. Tu n'étais pas là, je veux dire pas chez ton grand-père, alors je l'ai apprivoisé. Maintenant, il chasse pour moi." Répondit Daryl fièrement. "Je ne pouvais pas savoir qu'il était à toi. Ouah! Pas possible, il a tué un cerf, un cerf, c'est... C'est, génial!" 
_"C'est surtout pour ça que je t'ai appelé." L'interrompit Chloé, un peu amusée par la tournure des événements. "Tu crois que tu peux t'en occuper?" S'enquerra-t-elle.
_"Bien-sûre, vous allez voir." Répondit Daryl. Et il sortit de son cabas un imposant couteau, dentelé d'un côté, et commença à ouvrir l'animal par le bas. Il ne mit pas longtemps à l'ouvrir en deux.
_"Attends une seconde Daryl, s'il te plait, avant de continuer." L'enjoignit Chloé. Il s'arrêta. "Morgane, viens contre moi et ne regardes pas, d'accord." Ordonna-t-elle. La gamine s'exécuta aussitôt, sans demander son reste. "Tu peux poursuivre, vas-y." Dit-elle en faisant un signe de tête. Farid se rapprocha alors de Daryl, comme attendant quelque chose. 
_"C'est comme vider un chien." Dit-il sans réfléchir, ce qui provoqua un beurk de réprobation du côté du visage enfouit de Morgane et forcément un sourire de son côté. Chloé, elle, continuait de l'observer tout en tenant la tête de Morgane contre son ventre. Elle ne broncha pas, surtout qu'elle avait déjà mangé du chien. Quand Daryl eut fini de sortir les abats du cerf, il les lança en direction de Farid qui n'attendait que ça en fait et qui commença à les dévorer. 
_"Ne regardes surtout pas." Exigea Chloé en serrant un peu plus Morgane.
_"Je fais toujours ça quand on chasse ensemble." Expliqua Daryl qui continuait de dépecer la bête. Il avait sorti de son sac une petite hache et s'apprêtait à détacher la tête, absolument pas impressionné par la tâche et même précis, remarqua Chloé qui connaissait bien l'anatomie des mammifères.
_"À chaque fois il se régale." Poursuivit-il. "Quand je l'ai sorti du trou, la première fois, il s'est enfui tout de suite. Mais en fait il fuyait pas, il était parti me chercher un lièvre, j'en revenais pas. Je l'ai vidé et quand je suis parti, j'ai vu qu'il mangeait les restes alors depuis je lui donne à chaque fois qu'on attrape un truc ensemble. J'l'aime bien, il est pas méchant en fait." Fit-il comme réflexion tout en détachant la peau magnifique de l'animal.
_"Bah non il est pas méchant." Dit une voix étouffée du côté du ventre de Chloé qui comprenait mieux maintenant pourquoi Farid avait amené ce cerf et pourquoi il ne s'était pas alarmé à l'approche de Daryl, avant qu'elle l'appelle et même pourquoi il n'avait pas tué Daryl sur le coup lors de leur première rencontre. Grâce à Morgane, l'animain ne considérait plus les enfants comme une menace et les laissait l'approcher.
_"T'as quand même eu beaucoup de chance." Lui signala Chloé.
_"Ça je l'sais, j'vous l'dis madame, au début j'avais carrément peur qu'il me mange, mais comme il bougeait pas, j'l'ai aidé à sortir en mettant une grosse branche morte dans le trou. C'est là qu'il est parti d'un coup et qu'il m'a ramené le lièvre. Depuis je viens souvent chasser avec lui, on s'amuse bien." Continua-t-il de raconter.
_"Appelles moi Chloé, je te l'ai déjà dit ce matin." S'agaça Chloé.
Elle commençait à réviser son opinion de départ en se posant à présent la question de savoir si l'homme-loup était resté dans la forêt tout ce temps par fidélité à Morgane ou finalement, plus logiquement, parce qu'il y trouvait un intérêt nutritif réel grâce à Daryl et sa chasse. Néanmoins, l'attachement à Morgane ne faisait aucun doute et était même prodigieux.
Bien des questions demeuraient en suspend, même si elle en avait beaucoup appris, concernant le comportement des animains et elle regrettait de ne pas avoir le temps de faire une étude approfondie sur le sujet. Cela lui aurait valu au moins un laurier à la chair des médecins de son université, mais cela lui importait peu et elle n'était pas ici pour ça de toute façon. 
L'aplomb et la maturité de Daryl l'impressionnait et elle le complimenta pour sa dextérité dans la découpe de l'animal. Quand le plus dégoûtant fut passé, Chloé laissa Morgane regarder Daryl travailler, ce ne pouvait qu'être instructif et lui proposa son aide. 
_"Passes moi un couteau, à deux on ira plus vite." Décida-t-elle. 
_"Vous savez dépecer les bêtes?" S'étonna Daryl.
_"T'inquiètes pas pour moi, je sais faire plein de choses tu sais." Lui précisa Chloé en lui faisant un clin d’œil.
_"Tenez, prenez celui là, j'en ai un autre. Les bois de ce cerf feront de super manche à couteaux." Considéra-t-il.
_"Je pourrai en avoir un?" Demanda une petite voix, légère, qui observait attentivement, assise non loin, à côté de Farid qui avait, du coup, arrêté son repas et s'était assis lui aussi, quasiment de la même manière que Morgane.
_" Ouais si tu veux, en plus j'ai une lame déjà prête, mais il faut que tu attendes un peu. J'emmènerai les morceaux cette nuit, ce sera moins risqué." Dit Daryl alors qu'ils avaient presque fini.
_"Je viendrai t'aider." Lui dit Chloé. "On se donnera rendez-vous devant chez toi, OK?" Lui dit-elle simplement, sans que ce soit négociable.
_"Si vous voulez, mais vous n'avez pas peur de venir dans la forêt la nuit?" S'inquiéta-t-il. 
Chloé ne répondit que par un regard réprobateur qui en disait long sur son agacement soudain et Daryl n'insista pas.
_"Je t'ai dit de me tutoyer." Dit-elle seulement en le regardant dans les yeux.
_"Et moi, je peux faire quoi?" Toujours cette petite voix légère.
_"Toi, tu vas bien dormir et surtout ne t'inquiéter de rien. D'accord? Et n'oublie pas que tout ça c'est un secret." Lui répondit Chloé, sans que, là encore, quoi que ce soit soit négociable. Surtout qu'elle commençait à connaître Morgane. 
Quand ils eurent terminé, ils accrochèrent les morceaux à une branche avec de la corde fine mais très solide qu'avait Daryl et que confectionnait sa mère. Ils se séparèrent ensuite, Chloé convenant au préalable de se retrouver la nuit tombée devant chez lui. Ils laissèrent également Farid qui se mit à gémir quand Morgane s'éloigna avec Chloé. 
_"Il fait toujours ça quand je part." Dit Morgane en prenant la main de sa copine.
Quand elles arrivèrent enfin au niveau des vélos, Morgane connaissait en effet très bien le chemin, la gamine demanda quand est-ce qu'elles allaient se revoir, d'une voix triste et chevrotante.
_"On ne pourra malheureusement pas se voir demain ma puce, j'ai autre chose à faire, mais je te promet d'être là pour la journée du troc." Lui répondit Chloé un peu désolé. 
Morgane acquiesça non sans faire la moue, et elles prirent ensuite le chemin du retour. Quand elles arrivèrent enfin à la grille, Chloé remarqua qu'il n'y avait toujours aucune voiture de garée et se dit qu'au moins elle ne verrait pas l'imposante grand-mère venir exprimer son inquiétude, d'autant qu'elle avait les mains encore tachées de sang. Morgane la rassura en lui promettant encore de ne rien dire, sans même qu'elle eut besoin de le lui demander et lui fit un bisou sur la joue avant d'aller ranger son vélo. Chloé la regarda s'éloigner et ne ferma la grille que quand Morgane disparue derrière la porte d'entrée. Il était temps maintenant pour elle de rentrer aussi, de se laver, se changer et de se préparer pour la nuit. 
(à suivre)
Chloé prit soin de rentrer discrètement, car la découpe du cerf l'avait quelque peu tachée et elle ne voulait pas attirer l'attention. Elle n'avait aucun doute sur le fait que Daryl en avait fait autant et ne s'inquiétait donc pas pour lui. Même si elle lui faisait complètement confiance, c'était plutôt Morgane qui la préoccupait, car les enfants sont toujours imprévisibles et elle ne savait pas ce que la gamine allait raconter de sa promenade. Elle décida de ne pas trop s'en faire néanmoins, persuadée que, de toute façon, Morgane ne trahirait pas Farid et que, ce faisant, elle ne devrait pas parler du cerf, même par inadvertance.
Elle se doucha, n'utilisant qu'un morceau de savon et lava ses vêtements par la même occasion. Pour la nuit, elle avait choisie une tenue sombre, tout en regrettant de ne posséder aucun haut noir et avait mis deux bougies de côté. Elle n'avait pas très faim, ce qui tombait bien puisqu'elle n'avait presqu'aucune nourriture, mais mangea tout de même un œuf sur le plat et une carotte crue, denrées que lui avait offertes la grosse Dinousillet le soir ou elle était venue souper chez eux. Elle en profita également pour finir son pain avant qu'il ne devienne complètement rassi. Quand elle eut fini ce léger repas, elle décida de dormir un peu, en attendant que l'obscurité envahisse le village et qu'elle puisse ce rendre chez Émilie. Elle avait bien encore deux bonnes heures devant elle, c'était donc parfait pour faire une sieste.
Daryl, comme à son habitude, passa d'abord par sa clairière secrète pour vérifier si les plans d'herbe allaient bien. Celle-ci étant située non loin de la rivière, il en profita pour les arroser. Maintenant que je la connais un peu, je devrais demander à Morgane si elle peut m'apporter du guano de poules se dit-il tout en amenant l'eau grâce à une outre qu'il laissait sur place. C'était un engrais naturelle tout à fait efficace. L'homme-loup l'avait suivi et l'observait à distance, intrigué par ses comportements sophistiqués et cohérents. Daryl avait senti sa présence et feignait de ne ne pas l'avoir remarqué, ce qui était une sorte de jeu entre eux puisque l'animain arrivait toujours à l'attraper sans qu'il réussisse à le voir venir. Mais aujourd'hui, il était bien décidé à ne pas se laisser surprendre. Une vraie complicité s'était installée entre eux au fil du temps. Jamais Farid n'aurait survécu sans Daryl et jamais Daryl n'aurait ramener autant de gibier sans Farid. Il n'en restait pas moins que l'homme-loup était dangereux, mais il ne faisait aucun doute qu'il ne ferait aucun mal aux deux gamins. Cette confiance réciproque, soulignée par une reconnaissance inconsciente, était aussi inattendue qu'inestimable. C'est ce qui expliquait probablement pourquoi l'animain n'était pas parti depuis tout ce temps, cela et l'abondance de nourriture.
Morgane, encore toute excitée par l'après-midi qu'elle venait de vivre, décida d'aller jouer dans le jardin en attendant que sa grand-mère rentre, l'esprit à l'aventure. Annette ne put que constater la saleté de ses vêtements mais ne fit pas de remarque tant elle était contente de voire la gamine aussi heureuse. Quand la grosse Dinousillet rentra enfin, Morgane avait mangé et ce qu'elle avait porté l'après-midi séchait déjà. À peine pénétrée dans la maison, la mastodonte enjoignit la bonne à la suivre dans la pièce ou se situait le poste émetteur. Peu de personne en possédait. Morgane suivit discrètement, curieuse et voulant savoir ce qui se tramait. Encore une fois elle ne comprit pas tout, mais entendit tout de même que le couvre-feu était avancée et qu'Annette allait devoir dormir ici. Elle avait sa chambre certes, mais c'était très rare qu'elle l'utilise.
_"Il semblerait qu'un braconnier ait réussi à franchir les barrages et les postes contrôles. Ils vont refouiller le village et aussi la forêt je crois. Vous allez devoir rester avec nous pour la nuit, j'en suis navrée. Ce sont les directives des militaires et de mon mari." Annonça la matriarche à sa servante. 
_"Que la Terre nous protège... Que... Très bien madame, je dormirai ici alors." Se résigna Annette.  
Morgane ne prit pas le temps de tout écouter et s'éloigna de la porte devinant la fin de la conversation. Elle eut une sueur froide et l'angoisse la saisit quand elle réalisa ce qui pourrait arriver à Chloé et Farid si l'une se faisait prendre et l'autre était découvert. Elle monta dans sa chambre et réfléchit à ce qu'elle pouvait faire pour prévenir sa copine, mais rien ne lui vint en tête. Elle ne céda pourtant pas à la panique et ne montra pas son inquiétude quand sa grand-mère l'appela pour lui annoncer qu'Annette allait dormir ici. Elle feignit la surprise et demanda innocemment pourquoi. Contre toute attente, c'est nénette qui lui répondit sans ambages, lui révélant ce qu'elle avait déjà perçu et compris auparavant, tout en tâchant de se montrer rassurante. Sa grand-mère ajouta simplement que comme la zone était bouclée, elle ne reverrait sa mère que le jour de la "journée du troc", toujours plus inquiète et grave, mais Morgane la connaissait bien et avait l'habitude. Elle retourna dans sa chambre et se coucha quand sa grand-mère vint la border pour lui dire bonne nuit, pleine d'appréhension, comme toujours. Il n'était pas si tard que cela, mais Morgane avait fait mine d'être fatiguée pour pouvoir réfléchir seule dans sa chambre. Elle se redressa presqu'aussitôt après que sa mamie eut refermée sa porte de chambre et tâcha d'envisager toutes les possibilités.
Annette alla se coucher peut de temps après Morgane, après avoir servi le repas à la maîtresse de maison et rangé la cuisine. Sa chambre était au bout du couloir de l'étage, séparée de celle de Morgane par la salle de bain.
La grosse Dinousillet mangea dans le salon et débarrassa son assiette  avant de retourner dans la pièce du poste radio, recueillir les dernières nouvelles. Mais il n'y avait aucun nouveau message. Elle attendit un peu, parfois des lectures du livre de la Terre était diffusées et même, mais très rarement, de la musique. Il n'y avait néanmoins pas vraiment d'animateur radio et probablement que les évènements récents avaient mobilisé tout le personnel disponible. À moins que cette interruption ne soit volontaire... En tout état de cause il n'y avait rien à écouter et la grand-mère retourna dans le salon faire un peu de couture. Elle alla se coucher peu de temps après. Sa chambre était une pièce immense et somptueuse installée dans une autre aile de la demeure. La nuit était tombée et c'est bientôt l'obscurité qui envahit toute la bâtisse.      
Ce sont les sirènes du village qui sortirent Chloé de sa torpeur brusquement. Cela signifiait que le couvre-feu était en vigueur et qu'il était interdit de sortir. Elle allait devoir redoubler de prudence, d'autant qu'elle ignorait la raison de ces mesures coercitives soudaines. Pourquoi le couvre-feu était-il avancé à ce point, si loin du mur nord? Elle espérait que Daryl n'avait pas eu d'ennui. Elle se prépara et vérifia son sac. Son laissez-passer n'était plus valide mais elle décida de le garder avec elle comme une précaution supplémentaire. Il n'y avait plus qu'à attendre que la nuit tombe complètement. Par chance, le village n'avait qu'un piètre éclairage et elle avait bien le chemin en tête. Ce n'était finalement pas si éloigné de la ou elle séjournait. Elle décida de se fumer un petit joint et repensa à cette journée incroyable qu'elle venait de vivre, à commencer par sa rencontre avec l'homme-loup de Morgane. Décidément la vie réserve bien des surprises se dit-elle tout en expirant sa taffe, j'aurai fait la connaissance de trois personnes extraordinaires aujourd'hui... Elle n'était pas au bout de ses surprises. 
(à suivre)

Chapitre IV
DÉSERT DE SANG
_"Qu'est-ce qu'on fait maintenant?"
_"On a pas le choix, il faut fuir. Replions-nous! Tous au désert!" Fut-il ordonné. 
_"Mais... et pour les prisonniers? Segnus?! On ne peut quand même pas les abandonner, tu sais ce qu'ils vont leur faire!" Le combat faisait rage et il leur était difficile de communiquer.
_"On a pas le choix, on meurt là! On a réussi à ouvrir leur mur, c'était l'objectif, maintenant on se replie. Je les connais aussi bien que toi, mais on a pas le choix, tu comprends. Allez viens, on ne peut rien faire sinon se faire tuer."
Soudain, deux gigantesques spots éclairèrent les fuyards et les tirs redoublèrent. Au milieu du vacarmes des rafales et des déflagrations des balles explosives, ils purent nettement discerner deux tirs de canons. Les deux violentes explosions qui s'en suivirent emportèrent bons nombres des braconniers dans leur fuite. Les corps décharnés et les membres arrachées par le souffle des morts retombaient sur les blessés, les inondant d'un sang chaud et épais. On pouvait entendre des cris horribles de douleur percer l'obscurité.
_"Cessez le feu et coupez l'éclairage!" Ordonna un officier posté au sommet du mur de l'Area. "Nous avons mis les braconniers en déroute! C'est la victoire!" Scanda-t-il encore.
_"Occupez-vous des blessés et repliez-vous jusqu'au campement! On reviendra pour nos morts!" Hurla Segnus. "Tu vois, ils nous ont massacrés, regardes!... Et tu voulais qu'on donne un nouvel assaut?! Est-ce que tu comprends maintenant! Allez viens m'aider à porter nos blessés." Exigea-t-il.
_"Que la grande éruption les emporte." Répondit Agnar d'un ton sec et hargneux. Il le suivit la haine au ventre.
L'horreur était indescriptible et même à la lumière des étoiles on pouvait deviner des corps agonisants au milieu des cadavres et des organes sanglants éparpillés autour des deux cratères d'obus. Certains n'avaient plus de jambes, d'autres un bras, d'autres encore avaient leurs boyaux qui leur sortaient du ventre et hurlaient de cris qu'Agnar n'oublierait jamais. 
_"Il faut tuer ceux que nous ne pouvons pas transporter et qui vont mourir." Lui dit Segnus d'un ton ferme et résigné, l'arme à la main.
_"Je sais..." Répliqua Agnar en sortant son revolver.
Bien trop de détonations déchirèrent la nuit avant qu'un lourd silence vienne recouvrir d'un drap lugubre ceux qui hurlaient encore il y a quelques instants.
_"On reviendra pour eux, ne t'en fais pas... Nous les rendrons au désert." Assura Segnus en prenant le bras de son ami. "Allez, allons-y." Il dut le tirer pour qu'il se décide enfin à bouger.
Ils marchèrent ainsi jusqu'au campement, chacun un blessé sur le dos. Quand ils arrivèrent enfin, Agnar fut surpris du nombre de mutilés qu'il y avait. Il fut surpris plus encore du nombre de morts. Mais l'assaut était une réussite du point de vue du but qu'ils s'étaient fixé.
_"Quand aurons-nous le temps de pleurer nos morts?" S'écria Véline en regardant Segnus dans les yeux. Ses yeux étaient emplis de larmes et elle tenait encore fermement le pistolet qu'elle avait du, elle aussi, utiliser pour mettre fin aux souffrances de ses compagnons. Elle pensait là en particulier à Civis, son amour depuis l'enfance, qu'elle supposait mort pour ne pas l'avoir retrouvé parmi les survivants. 
_"Quand nous aurons rejoint la forêt sauvage. Tu le sais, nous prendrons ce temps, mais pour l'heure, ce que nous devons faire est vital pour nous tous. Ça aussi tu le sais, ne te laisses pas submerger par la colère Véline. Nous avons tous perdu des êtres chers et je connaissais Civis aussi bien que toi. Je sais ce que tu ressent et c'est en réussissant à gagner la forêt que nous honorerons le mieux la mémoire de nos compagnons." Insista Segnus d'un ton autoritaire.
_"Ça n'est pas suffisant!" Hurla-t-elle en s'écroulant de chagrin.
_"La mort engendre la mort." Dit-il. Et Segnus la serra dans ses bras avec une telle affection qu'elle se laissa aller et fondit en larme contre son épaule. 
_"Ou est ma sœur?" Interrogea Agnar, remarquant soudain son absence.
_"Elle n'était pas avec nous et on ne l'a pas vue..." L'informa un autre membre survivant de la bataille.
_"Ou est ma sœur?!" Gronda-t-il, comme n'ayant pas entendu la réponse. Il parcourut le campement à sa recherche, fébrile et déterminé. 
_" Aszuna?! Aszuna?! Réponds si tu m'entends! Aszuna?!" Scandait-il, désespéré à l'idée qu'il ait pu lui arriver quoi que ce soit. "Aszuna?!" Il ne reçut aucune réponse.
Personne ne semblait l'avoir vu, pas même au cours des affrontements. Le campement ressemblait plus à un éparpillement de feux autour desquels quelques tentes rudimentaires avaient été dressées. Partout des groupes s'occupaient de blessés. Aucun n'avait vu Aszuna et elle ne comptait pas parmi les blessés non plus. Quand Agnar eut fini de fouiller le camp, criant le nom de sa sœur aussi fort qu'il le pouvait, il décida de retourner sur le lieu des explosions. Il fallait qu'il sache ce qui lui était arrivée... Il bondit hors de la lumière des feux et fila aussi vite qu'il en était capable. 
_"Ne fais pas ça, attend, reviens!" Clama Segnus quand il vit son ami s'éclipser. Il courut derrière lui pour le rattraper mais l'obscurité était telle qu'il avait déjà disparu. Quand il arriva enfin au niveau des cratères, il l'appela en tâchant de ne pas trop élever la voix. Agnar apparut derrière lui, aussi silencieux qu'un félin, le visage ensanglanté et parfaitement désabusé.
_"C'est horrible." Émit-il uniquement.
_"Agnar! Putain! Me refait jamais ça, con, j'ai failli crevé." Lâcha Segnus en tournant la tête et manquant de perdre l'équilibre.
_"Ils sont tous morts." Agnar tomba à genoux, les mains enfoncées dans le sable sombre du désert. "Il a fallu que je retourne des têtes pour voir leur visage et je ne savais même pas ou était leur corps." Des larmes se mirent à couler sans qu'il puisse les retenir.
"Là-bas, le sable est gorgé de sang, il y a des membres dispersés partout, c'est horrible, horrible..." Il se mit à pleurer.
Segnus, qui s'était agenouillé, posa sa main sur le dos de son ami sans dire un mot. Tous étaient des frères d'armes et ils les connaissait aussi bien qu'Agnar. L'émotion le saisissait également mais il ne devait pas le montrer, il fallait qu'il soit fort pour deux.
_"Est-ce que tu as trouvé Aszuna?" Finit-il par demander simplement.
_"Non, elle ne fait pas partie des morts. Tu te rends compte que si elle est leur prisonnière, ils vont la torturer, peut-être pire. Elle n'a que quinze ans bordel de merde! Je dois aller la sauver." L'informa Agnar d'un ton décidé.
_"Tu ne réussiras qu'à te faire tuer, réfléchis un peu. Je ne saurais dire pourquoi, mais je suis sûre qu'elle s'en est sortie." Le raisonna son ami.
_"Tout ça pour une brèche... Segnus, il faut qu'on retourne à la cité morte, on trouvera des armes là-bas et on pourra les battre. Relançons une expédition." Réclama-t-il, désespéré.
_"Et tu crois qu'on aura le temps de faire tout ça d'ici demain? Tu sais très bien qu'ils exécutent les prisonniers pour l'exemple. Rappelles-toi la dernière fois, tout nos camarades ont été pendus au mur. Notre diversion a marché tout à l'heure, le mur est ouvert, nous allons pouvoir aller vers le sud et gagner la forêt sauvage. Attends que nous soyons installés et nous retournerons aux ruines. Tous les deux si tu veux. Pour l'instant on ne peut rien faire, sinon en sorte que nos amis ne soient pas morts pour rien. Viens, rentrons, on a besoin de se reposer un peu avant que le jour se lève." L'invita-t-il sans vraiment lui laisser le choix.
Segnus aida Agnar à se relever, son regard était empli de désespoir et de colère. Il avait un fort sentiment d'injustice, mais il se résigna à suivre son ami. Quand ils revinrent au camp, Véline se précipita dans leur direction. Aszuna était aussi son amie d'enfance.
_"Vous l'avez vue?" S'enquerra-t-elle inquiète. Elle ne posa aucune question concernant Civis.
_"Non, elle doit faire partie des prisonniers." Lui répondit Segnus d'un ton pénétré de chagrin. 
_"Par tous les esprits du désert, ils vont la tuer!" S'exclama-t-elle, soudain saisie par l'émotion.
_"Ne dis pas ça. Je connais ma sœur, elle réussira à leur échapper." Assura son frère.
_"J'en suis sûre." Dit Segnus en prenant Agnar par les épaules et le regardant dans les yeux.
_"Si vous avez faim, il y a du serpent au menu." Les informa Véline qui avait encore du mal à réaliser l'ampleur des pertes subies lors de la bataille. "C'est Piotre qui les a cuisinés."
_"Quelle surprise!" Rétorqua Segnus d'un ton ironique.
Piotre était... disons, le cuistot attitré, mais le désert n'offrait pas énormément de diversité dans la nourriture proposée et il n'avait pas plus d'ingrédients pour assaisonner ses plats. Il ne parlait pas beaucoup, parce qu'il avait un problème d'élocution, mais il était d'une gentillesse incroyable. C'était lui que tout le monde venait voir quand il se sentait triste car il avait le don de remonter le moral. Bref, c'était Piotre le cuisinier.
_"Je n'ai pas faim, je vais aller dormir un peu." Dit Agnar d'un ton morne.
_"Tu dois d'abord reprendre des forces." L'exhorta Segnus en l'emmenant vers le feu. Agnar ne chercha même pas à résister et le suivi sans broncher.
_"Tiens, pent s'prend t'nant... bien chaud." L'invita Piotre en lui tendant une gamelle pleine avec un large sourire réconfortant.
Agnar mangea finalement un peu et resta prêt de l'âtre, silencieux et perdu dans ses pensées. Quand le jour se leva enfin, il n'avait pas dormi. Segnus et Véline dormaient eux, l'une allongée à sa gauche et l'autre à sa droite, ils ne l'avaient pas quitté. Il se leva pour aller chercher du bois et alimenter le feu, en tâchant de ne pas faire trop de bruit. En revenant, il regarda Véline. Jamais il ne pourrait lui dire dans quel état il avait retrouvé Civis, mais comment l'empêcher de venir récupérer les corps? Segnus se réveilla et le sortit de ses questions.
_"Nous n'avons presque plus d'eau." Lui annonça-t-il, tout en réactivant le feu, d'un ton absent. 
_"Je suis certain que ta sœur est saine et sauve et qu'elle n'est pas leur prisonnière." Affirma Segnus en se redressant. Il alla aider son ami.
Le désert était calme et les rayons du soleil venaient caresser les dunes en les illuminant de leur chaleur. Le campement s'éclairait, installé à l'abris du vent au creux des collines de sable gris. Tout semblait si paisible et pourtant, bien des souffrances sommeillaient sous les tentes. Agnar n'avait, lui, plus qu'une seule préoccupation, sa sœur.
... (à suivre)

Alors que Daryl s'apprêtait à rentrer, il décida d'emmener une patte arrière du cerf pour gagner du temps. La chargeant sur son épaule, il allait commencer à gravir la pente par laquelle il était arrivée, pensant que l'homme-loup dévorait les abats, quand celui-ci fondit sur lui, le plaquant brusquement au sol et le recouvrant de tout son poids, à quatre pattes au dessus et épiant les alentours. Daryl, parfaitement conscient des capacités perceptives de Farid et lui faisant absolument confiance, n'opposa aucune résistance et ne fit aucun bruit en tombant sinon la chute du morceau de cerf. Il écoutait et regardait lui aussi autour de lui, mais il n'entendait rien, sinon le bruissement des arbres. Il se releva et fit signe à l'animain de ne pas bouger. 
_"Qu'est-ce que tu as senti?" Murmura-t-il. Il avait beau scruter les environs, entièrement aux aguets, il ne percevait rien. "Montres moi" Dit-il simplement à l'animain qui, n'ayant pas compris les mots mais probablement son intention, bondit en direction de la rivière. Daryl avait bien du mal à le suivre, malgré sa dextérité, et se faufilait entre les branchages lorsqu'il entendit des cris perçants. Il ne pouvait s'agir que d'une voix de femme... Il se précipita alors sans réfléchir, se cognant dans les basses branches, pour
arriver aussi vite que possible à l'endroit des cris, car il avait bien compris que l'homme-loup avait attaqué une personne. Quand il arriva enfin, il vit Farid posté près d'un corps inerte, couché sur le côté, le dos lacéré et la tête à moitié enfoncée dans la boue. Une longue chevelure rouge trempait dans la rivière, embrassant les mouvements de l'eau.
_"Viens ici!" Hurla-t-il à l'attention de l'animain qui se précipita immédiatement dans sa direction, adoptant une attitude soumise mais clairement en alerte, montrant la dépouille par des mouvements de gueule. Ses griffes étaient ensanglantées, il ne faisait donc aucun doute que c'était lui qui avait infligé les blessures visibles sur le dos, mais son comportement fébrile laissait à penser qu'il n'avait pas tué sa victime. 
_"Reste près de moi." Dit Daryl fermement mais d'un ton calme en tapotant contre sa jambe. L'homme-loup s'exécuta, toujours aussi nerveux. Malgré son jeune âge, Daryl avait parfaitement conscience que Farid considérait la jeune-femme allongée comme sa proie et l'avait attaquée pour le protéger lui. Il savait qu'il devrait lui montrer qu'il était le dominant s'il voulait pouvoir l'approcher. Son expérience de la chasse l'avait aguerri et affranchi quant aux comportements animaux. D'ailleurs, son appréhension se vérifia quand il tenta de rejoindre le corps étendu. L'homme-loup se redressa soudain devant lui de toute sa hauteur, bien plus de deux mètres, d'un air de défiance. C'est là que tout allait se jouer... 
Daryl ne montra aucune peur, il ne craignait pas Farid qu'il connaissait depuis longtemps, et lui redemanda de venir se mettre à ses pieds avec plus d'insistance mais le même calme. Il fit un pas en avant et regarda l'homme-loup droit dans les yeux en réitérant son ordre. Quelques secondes interminables s'écoulèrent tandis qu'ils campaient tous les deux sur leur position, mais Daryl ne céda pas. 
_"Viens tout de suite ici." Exigea-t-il de nouveau d'un ton clairement menaçant cette fois-ci. Sans broncher, Farid obéit et vint aux pieds de Daryl qui le fustigeait du regard. Il avait réussi à le faire céder, mais continuait de lui montrer sa réprobation pour bien lui faire comprendre que c'était lui qui commandait. Il chercha alors dans son sac une tranche de lard de cerf qu'il avait découper auparavant et lui jeta pour le récompenser de sa soumission. 
Farid se jeta dessus comme un mort de faim, acceptant le présent, et le dévora en une bouchée avant de revenir camper près de Daryl, toujours excité mais redevenu obéissant et non menaçant. Il n'avait plus cette attitude de prédateur provoquant mais avait retrouvé son comportement protecteur et attachant. 
Quand il comprit que Daryl s'intéressait à la créature qu'il avait attaquée, il s'élança dans sa direction et s'accroupit à côté d'elle en exécutant presque les mêmes gestes que ceux qu'il avait fait quand il avait ramener le cerf à Chloé, pour faire plaisir à Morgane.
_"Qui est-elle?" Interrogea Daryl en s'agenouillant près du corps, n'attendant aucune réponse et essayant de redresser la tête précautionneusement pour la retirer de la boue. Les plaies du dos étaient profondes mais ne saignaient presque plus. Quand il dégagea le visage, il put se rendre compte qu'il s'agissait d'une jeune fille à peine plus âgée que lui. "Comme elle est belle!" Ne put-il s'empêcher d'admirer tout haut. 
Elle n'était vêtue que d'un pagne et la peau de bête qui devait recouvrir son corps flottait dans l'eau, juste retenue par son épaule. Daryl la saisit et la jeta non loin, comptant s'en servir pour faire une couche de fortune. Alors qu'il tâchait de placer ses mains sous ses bras pour pouvoir la porter et la traîner hors de l'eau, la jeune-fille gémit et se retourna légèrement, laissant apparaître un sein d'une blancheur qui contrastait à peine avec le bronzage de son visage. Sa couleur crème soulignait une aréole rose foncé qui entourait, telle une robe de velours, son mamelon, dressé par la fraîcheur de la rivière.
_"Comme elle est belle." Se répéta-t-il encore tout haut. Il la tira aussi précautionneusement que possible vers la peau de bête qu'il avait au préalable installée comme une serviette de bain. Troublé et déconcerté, il l'allongea délicatement. La jeune fille gémit de nouveau mais resta inconsciente. Farid ne bougeait pas et l'observait. Il n'avait qu'un vieux chiffon dans son sac, mais il l'utilisa tout de même pour recouvrir les seins de la jeune-fille. Il venait de lui sauver la vie. Néanmoins, il n'avait aucune idée sur la manière dont il allait pouvoir la transporter jusqu'à chez lui, seul endroit ou elle allait pouvoir recevoir les soins dont elle avait absolument besoin. Sa mère saurait désinfecter les plaies et faire des pansements, mais comment la conduire auprès d'elle? 
L'après-midi touchait à sa fin et il fallait qu'il trouve une solution rapidement. En désespoir de cause, il décida d'essayer de réveiller la jeune fille. Il était sûre à sa façon d'être vêtue qu'elle n'était pas de la zone et soupçonnait qu'elle soit une braconnière, mais son instinct lui commandait de l'aider, ses sentiments aussi. Il ne comprenait pas, en voyant cette adolescente si fragile et blessée, pourquoi tant de mal était propagé à leur égard. Il devait faire vite et garda ses réflexions pour plus tard. Il avait bien pensé à aller chercher l'outre qu'il utilisait pour arroser ses pieds de cannabis mais il ne voulait pas la laisser seule avec l'homme-loup, n'étant pas complètement sûre de ses réactions. Farid ne bougeait pourtant toujours pas, restant à l'observer, probablement un peu curieux, et guettait les alentours. Rien ne semblait l'alarmer. 
Daryl, qui n'avait pas vraiment d'autre choix, opta pour ses mains, qu'il positionna en cloche et tâcha de recueillir un maximum d'eau entre celles-ci. Il versa une première fois l'eau fraîche sur le visage de la jeune fille qui ne fît qu'un léger mouvement de tête. Il en était à son quatrième aller-retour Quant elle se réveilla brusquement. Voulant se redresser elle poussa un hurlement de douleur car la peau de bête avait coller à ses plaies à vif. Daryl laissa tomber l'eau qu'il avait dans les mains et tenta de la calmer en s'agenouillant près d'elle et en la saisissant par les épaules pour l'empêcher de faire des mouvements brusques et de se blesser d'avantage.
_"Restes calme tu vas te faire du mal." L'exhorta Daryl d'un ton inquiet mais directif et réconfortant.
L'adolescente n'essaya pas de résister mais se mit à l'interpeller avec un débit de parole impressionnant. Daryl ne comprit pas un mot de ce qu'elle disait, elle parlait une langue complètement différente de la sienne et parlait bien trop vite. Il ne s'était jamais retrouver dans cette situation de ne pas pouvoir se faire comprendre et commença donc par essayer de se présenter.
_"Daryl." Lui dit-il simplement en se tapotant la poitrine avec les doigts. La braconnière dut le comprendre car elle se présenta également.
_"Nouna." Comprit-il de ce qu'elle venait de lui dire. Sa prononciation était vraiment différente de  la sienne et sa fébrilité, ses douleurs, compliquaient encore plus la communication.
_"Écoutes Nouna, il va falloir que tu m'accompagnes jusqu'à chez moi." Poursuivit-il en gestualisant au maximum afin qu'elle comprenne qu'elle devait le suivre. Elle n'avait pas encore aperçu l'homme-loup.
Farid était resté jusque là immobile dans son coin, en observateur, mais le réveil pour le moins bruyant d'Aszuna et ses gestes brusques en direction de Daryl l'énervèrent au point qu'il finit par venir s'interposer entre elle et lui. Il reproduisit plus ou moins les gestes de la jeune fille, c'est à dire gigoter les bras de façon désordonnée, mais grogna au lieu d'hurler. Aszuna eut un mouvement de recul si brusque qu'elle rouvrit une partie de ses plaies, ce qui lui arracha un cri de douleur et ne manqua pas de faire réagir Daryl qui essaya de la rassurer tant bien que mal. Elle était terrorisée et la barrière de la langue ne facilitait pas les choses. 
_"Viens là!" Exigea-t-il de Farid qui s'exécuta presqu'immédiatement, sous les yeux éberlués d'Aszuna qui était paralysée de frayeur et de douleur. "Ne bouges plus." Rajouta-t-il. 
Pour elle, ce que venait de faire Daryl avec l'homme-loup était incroyable car elle ne les avait jamais vu autrement que comme des bêtes sanguinaires contre lesquelles il fallait se défendre. Nombre des siens avaient péri dans des attaques de meutes et elle en avait même vu se faire dévorer vivants. Elle ne comprenait rien à ce que disait Daryl, mais décida d'essayer de l'écouter. Son instinct de survie lui commandait de faire confiance à ce garçon qui semblait vouloir tout faire pour la sauver. 
_"Da... Da..." Dit-elle en tendant les bras vers lui et laissant tomber le chiffon qui couvrait sa poitrine. Elle fit une grimace mais ne cria pas quand il l'aida à se relever. Ses jambes la portaient à peine et elle chancela, la peau de bête, alourdie, lui tirant trop les plaies pour qu'elle puisse tenir debout. Daryl la retint par le bras mais la laissa se rasseoir. C'est alors qu'il eut l'idée de lui donner son t-shirt qu'il retira et lui tendit. Elle avait compris son intention mais il lui était impossible de l'enfiler dans l'état, il fallait décoller sa couche de fortune de ses plaies avant...
Daryl prit alors le chiffon au sol et alla le mouiller à la rivière, espérant ainsi décoller plus facilement les poils de la peau de bête qu'il avait utilisée. Alors qu'il le trempait, il entendit un hurlement strident qui le fit se retourner précipitamment et tomber à la renverse, manquant de s'arroser le derrière. Farid lui même avait bondit sur le côté par réflexe et était venu se repositionner près de Daryl, comme pour lui indiquer qu'il n'y était pour rien. Aszuna s'était littéralement arrachée sa carapace de poils du dos et, pleurant de douleur, tentait d'enfiler le vêtement de Daryl alors qu'elle ressaignait abondamment. Il s'élança pour l'aider et pressa le chiffon humide contre les plaies ouvertes pour stopper le saignement. Malgré sa souffrance, le fait qu'ils ne parlaient pas la même langue et qu'ils ne se connaissaient pas, Aszuna s'amusa de voir le trouble de Daryl quand, l'aidant, son bras avait subrepticement frôlé son sein droit. Elle finit par se relever et réussit à tenir sur ses jambes, maintenant qu'elle était débarrassée de ce poids collant, mais ne pouvait pas marcher sans se soutenir à Daryl. 
Il jeta la peau de bête dans la rivière et indiqua à Farid de partir, ce qu'il ne fit évidemment pas. Au contraire, il les suivit à distance jusqu'à l'orée de la forêt, avant de repartir vers la ruine. C'est là que les choses allaient devenir plus délicates pour notre improbable équipée. Comment réussir à traverser le village sans se faire repérer, avec une jeune-fille le dos ensanglanté et ayant besoin de se soutenir pour marcher, et lui qui était torse nu? Daryl savait très bien qu'ils ne pourraient pas passer par les toits comme il le faisait d'habitude, il devait donc trouver un autre moyen pour leur permettre de rejoindre sa maison.
Aszuna se cramponnait de toutes ses forces à son épaule sans faire le moindre bruit, consciente du danger. C'est pourquoi elle ne résista pas quand Daryl la prit par les hanches en plus de lui tenir le bras pour avancer dans le village. Pas plus qu'elle ne résista quand il fit mine de vouloir l'embrasser en tournant son dos vers un mur, alors qu'il avait cru apercevoir une silhouette au loin. Ils arrivèrent finalement chez lui sans croiser la moindre personne, au contraire, le village avait l'air aussi désert que dans la matinée. Sa diversion servirait néanmoins pour les caméras au cas ou il y aurait le moindre doute. Quand sa mère lui ouvrit, paniquée de ne pas le voir rentrer, elle eut bien du mal à contenir sa surprise en voyant Aszuna chancelante et agrippée au bras de son fils. 
_"Je l'ai trouvée dans la forêt maman, elle est gravement blessée, il faut qu'on la soigne." Dit-il pour toute explication.
_"Vite rentres." Répondit sa mère en l'aidant, avant de refermer la porte. "Allons l'allonger sur le matelas dans la pièce du fond." Décida-t-elle.
_"Voilà, doucement ma belle, ça va aller maintenant, tu es sauvée." Assura Émilie à la jeune-fille qui perdit connaissance en s'asseyant. "Hé là! Attention!" réagit-elle en rattrapant sa tête et l'allongeant sur le côté. Le dos du vêtement était rouge de sang, lequel commençait à sécher.
_"Ramènes moi une petite serviette mouillée, fais bouillir de de l'eau dans la grande casserole et apportes moi aussi une paire de ciseau. Dépêches-toi." Somma-t-elle en direction de Daryl qui était resté sur le pas de la porte. Il s'exécuta aussitôt, n'en revenant pas à quelle point sa mère était réactive, énergique et décidée. Il ne lui connaissait pas une telle force de caractère mais il en était ravi, soulagé même. 
Daryl ramena aussi vite que possible la serviette trempée et la paire de ciseau. Il s'appliqua ensuite à mettre l'eau à bouillir et revint voir ce que faisait sa mère, prêt à obéir à de nouvelles directives. Elles ne tardèrent d'ailleurs pas à arriver.
_"Vas me chercher les bandages qui sont dans le placard de la pièce d'eau et une autre serviette, mais juste humide cette fois, s'il te plait." Lui demanda-t-elle. Il réagit tout de suite. "Ramènes moi aussi ma petite pince à épiler!" Lui demanda-t-elle à distance. 
_"Pas de problème! Elle est ou ta pince?" S'enquerra son fils, comme tout homme qui se respecte et ne sait jamais ou se trouve les affaires. 
_"Dans ma boîte, dans ma chambre. Tu devrais le savoir depuis le temps que tu me l'empruntes dans mon dos." Le renseigna sa mère un peu énervé. 
_"C'est bon je l'ai trouvée..." Lui cria-t-il victorieux.
Il lui rapporta tout ce qu'elle avait requis et alla voir si l'eau était en ébullition. Il attendit encore un peu et la versa dans une bassine qu'il déposa au pied du matelas. Sa mère avait déjà découpé son t-shirt et tâchait de le décoller délicatement.
_"Sort et fermes la porte derrière toi. Profites en pour te laver et te changer, brûles tes vêtements dans le poil de la cuisine." Exigea Émilie.
Daryl était de plus en plus impressionné par l'aplomb de sa mère et l'interrogea juste sur l'état de Nouna avant de refermer la porte. Elle lui répondit simplement que l'adolescente devrait survivre. Elle ignorait encore qu'il s'agissait d'une braconnière et Daryl n'avait pas osé l'en informer car il craignait qu'elle refuse alors qu'Aszuna reste chez eux.
Quand les sirènes du village retentirent, alors qu'il mettait ses vêtements aux feux, un frisson parcouru l'échine de Daryl. N'avait-il pas vu le temps passer ou comme il l'appréhendait le couvre-feu avait-il été avancé? C'est sa mère qui lui donna la réponse quant elle l'appela.
_" Dis moi Daryl, est-ce que tu n'aurais rien oublier de me dire, parce que le couvre feu vient d'être avancé de deux heures?" L'interpella-t-elle, à peine avait-il ouvert la porte.
Il lui raconta alors comment il avait rencontrer la jeune fille au bord de la rivière et comment il avait essayer de la sauver. Il ne parla cependant pas de l'homme-loup. Il lui apprit également qu'il s'agissait probablement d'une braconnière qui s'appelait Nouna, pour ce qu'il avait compris, et qu'il avait décidé de la ramener chez eux. Il lui expliqua aussi la traversée du village et sa crainte pour les caméras, en n'omettant pas de lui dire qu'il n'avait croisé personne, ce qui l'avait arrangé sur le coup, mais qui lui avait semblé étrange.
_"Je comprend mieux maintenant; tu peux refermer la porte, on tâchera de cacher ton amie dans le grenier quand elle ira mieux, en attendant, surveilles les environs." Le pria-t-elle. 
Daryl restait immobile, abasourdi par le sang froid de sa mère, sûre qu'elle serait désappointée, voire furieuse et ne pouvait s'empêcher de regarder le corps dénudée et meurtrie d'Aszuna.

_Tu as entendu ce que je viens de dire Daryl?"
_"Heu... Oui maman." Réagit-il tardivement.
_"Si j'ai besoin de toi je t'appellerai." Lui dit-elle tandis qu'il rabattait la porte.
Ils en avaient oublié de préparer le repas et Daryl se rappela soudain que Chloé devait venir l'aider pour le cerf, ce qu'il avait complètement omis de préciser à sa mère.
_"Maman...?" La sollicita-t-il en tapotant contre le bois.
_"Qu'est-ce que tu veux encore?" S'agaça sa mère en pleine épilation.
_"Juste pour savoir si je prépare quelque chose à manger et... j'ai oublié de te dire que Chloé venait ce soir..." 
_"Quoi?! Et tu as encore d'autres choses à m'apprendre?" Le coupa-t-elle sans colère.
_"Elle ne sait pas pour Nouna, elle vient pour m'aider pour un cerf que j'ai chassé dans la forêt." Poursuivit-il.
_"Bonne terre! Un cerf! Bon, remets de l'eau à chauffer, on va faire ce qu'il nous reste de riz et on mangera l'écureuil que j'ai cuit avec. On offrira la perdrix à Chloé, si tu veux, à la place. J'arrive dès que je peux." Coordonna-t-elle depuis la chambre.  
_"Je m'en occupe." Assura-t-il.
_"Ne crois pas que tu vas échapper à une petite discussion supplémentaire mon cher fils." Le prévint-elle quand même.
_"Non, je sais maman. Je te trouve drôlement courageuse tu sais. Merci pour Nouna." La complimenta et remercia-t-il.
Et chacun s'afféra à sa tâche, concentré mais inquiet quant à la tournure possible des événements. Finalement, Émilie était soulagée de savoir que Chloé allait arriver bientôt, enfin c'est ce qu'elle espérait, son opinion serait la bienvenue et son aide aussi. 
Elle retirait consciencieusement tous les poils des plaies et les nettoyait au fur et à mesure quand Aszuna se réveilla. Son dos la faisait affreusement souffrir et elle ne pouvait pas bouger sans déclencher une douleur insupportable. Elle gémit et tenta malgré tout de se retourner, mais Émilie la retint en la rassurant avec des mots dits d'une voix calme et tendre qu'elle ne comprit pas mais qui l'apaisèrent. Elle était trop faible pour résister à quoi que ce soit de toute façon, mais elle ne sentait aucune hostilité et se laissa déshabiller le tronc et nettoyer par cette femme qui lui rappelait un peu sa mère dans la douceur de ses gestes. Elle essaya de montrer le moins possible sa souffrance à chaque fois que lui étaient touchées ses plaies car elle ne voulait pas gêner sa soignante de fortune. Elle avait soif et faim, elle se sentait si faible, mais comment se faire comprendre? 
_"Amènes moi un verre d'eau et un seau vide s'il te plait Daryl!" Réclama Émilie suffisamment fort pour être entendue et comprise. 
_"Bien maman!"
Au bout de quelques instants, il frappa à la porte et s’apprêtait à l'ouvrir quand il entendit sa mère intervenir:
_"Surtout n'entre pas attend."
Elle entrebâilla la porte et prit ce qu'elle avait demander à son fils.
_"Elle est réveillée?" S'enquerra-t-il quand même.
_"Oui, mais elle est encore trop faible... Tiens, rapportes moi un haut à moi assez large, en chanvre, que j'ai confectionné. S'il te plait." Eut-elle comme lumineuse idée.
_"Tu as fini de la nettoyer?" Insista-t-il, montrant clairement son intérêt pour l'adolescente, ce que sa mère ne manqua évidemment pas de remarquer.
_"Non, pas encore mais comme ça je l'aurais sous la main quand je pourrai la couvrir, vois-tu?" Le provoqua-t-elle gentiment.
_"Le riz est prêt." Rajouta-t-il, cherchant visiblement à gagner du temps.
_"Recouvres-le pour conserver la chaleur, pour l'instant je dois m'occuper de Nouna." Persista Émilie, résistant à l'incruste flagrante de Daryl. 
_"Je te ramène ton haut tout de suite." Céda-t-il. 
Émilie referma la porte, posa le seau près d'elle, et se rassit à côté de sa patiente. Elle lui montra le verre d'eau pour lui indiquer qu'elle pourrait boire et l'aida à se redresser. Aszuna, qui avait compris ce que voulait lui expliquer Émilie, poussa un léger cri de douleur en s'asseyant, mais réussit à se maintenir. Elle prit le verre et but doucement. Elle n'avait jamais autant apprécier de se désaltérer, dans son cas présent, de se réhydrater.
_"Voilà ma belle, ça fait du bien hein?" Lui chuchota Émilie en lui caressant le front et lui repositionnant une mèche de cheveux derrière l'oreille. Elle reprit le verre vide, le reposa près du seau et invita Nouna à se rallonger pour qu'elle puisse continuer à lui nettoyer ses plaies. Elle obtempéra sans résister, sinon à cause de la douleur et Émilie reprit son travail d'épilation...
_"Maman?" Se manifesta une frêle voix derrière la porte.
_"Accroches le à la poignée, je le récupérerai plus tard." Lui recommanda-t-elle.
_"D'accord." La voix était légèrement déçu.
Daryl fit ce que sa mère lui demandait et retourna surveiller à la fenêtre s'il n'y avait pas de danger. Mais rien d'alarmant ne venait du village.

Il faisait à présent nuit noire et Chloé décida de sortir pour rejoindre Daryl comme convenu. Elle ne tenait plus en place de toute façon. Dehors, le silence régnait. Elle put néanmoins entendre au loin les bruits d'une troupe de militaire, mais ils semblaient s'éloigner du village. Saisissant l'opportunité, Elle s'élança dans la rue mais fut stoppée dans son élan au bout d'une dizaine de mètres par un nouveau retentissement des sirènes. Elle se dissimula du mieux qu'elle put sous l'obscurité d'un porche. Elle savait que cela signifiait que le village allait être fouillé de nouveau, elle devait donc faire vite. Par chance, elle n'avait pas une grande distance à parcourir. Elle arriva enfin devant la porte d'entrée de la maison d'Émilie et frappa hâtivement. C'est Daryl qui lui ouvrit, l'air inquiet, mais soulagé de la voire. Il la fit entrer précipitamment et referma la porte derrière elle. 
_"Chloé est arrivée?" Demanda Émilie de la chambre du fond.
_"Oui maman, à l'instant!" Lui répondit Daryl en fermant la porte. 
_"Demandes lui de me rejoindre s'il te plait."
_"J'ai entendu." dit Chloé en posant sa main sur l'épaule de Daryl. Elle se dirigea directement vers la pièce ou se trouvait Émilie et y pénétra. Elle ne tarda pas à ressortir, l'attitude déterminée. 
_"Daryl s'il te plait..." Commanda-t-elle alors.
_"Oui?" Il était aux aguets.
_"Apportes une couverture, tu vas nous aider à transporter ton amie au sous-sol." Finit-elle.
_Au sous-sol!? Je croyais que c'était au grenier?" S'étonna-t-il.
_"Elle ne réussira jamais à monter les escaliers et nous ne pouvons pas la transporter sans risque qu'elle se blesse plus qu'elle ne l'est déjà. Nous n'avons plus le temps, il faut la cacher tout de suite, ils vont refouiller le village." Lui expliqua-t-elle, un peu plus directive encore.
_"D'accord... Je comprend." Et il alla chercher la couverture. Il ne lui fallu pas longtemps pour revenir et la lui remettre. 
_"Merci. Attend que je t'appelle." Chloé retourna dans la chambre, Daryl à la fenêtre, plus vigilent que jamais. 
_"Tu peux venir!" S'était la voix de sa mère. Il rentra dans la chambre sans qu'on ait eu besoin de le lui demander une seconde fois.
Nouna était debout, soutenue par Chloé qui lui tenait le bras autour des ses épaules. Elle chancelait à moitié, ses jambes la portant à peine, la couverture sur elle, qu'elle maintenait fermée contre sa poitrine avec sa main gauche. 
_"Aides Chloé à soutenir Nouna, je vais installer le matelas en bas pendant que vous l'emmenez." L'exhorta sa mère.
Daryl s'approcha pour aider Aszuna à marcher. Quand elle le reconnu, elle lâcha la couverture et mit sa main contre sa joue.
_"Da." Dit-elle simplement d'un ton empli de gratitude et d'admiration, les larmes dans la gorge. Elle le regardait droit dans les yeux, presque suppliante. 
_"Oui Nouna?" Il était comme paralysé, incapable de réfléchir et n'avait rien trouver d'autre à dire sur le moment. Elle laissa glisser sa main sur sa nuque, fit un pas et l'embrassa langoureusement sur les lèvres, ayant presque oublié sa souffrance. Daryl restait immobile, complètement pris au dépourvu et gêné par la présence de sa mère, mais délicieusement surpris. Il tombait amoureux...
_"Allons-y." Dit simplement Chloé, rompant le charme, mais ramenant tout le monde à l'urgence de la situation.
Daryl sortit immédiatement de sa torpeur, tout autant que Nouna qui reprit la couverture, et se plaça de l'autre côté. Chloé saisit la couverture afin de libérer le bras gauche la jeune-fille qui s'agrippa tout de suite aux épaules de Daryl. Comme ça, ils devraient pouvoir déplacer la blessée avec un maximum de précautions et un minimum de risques. Émilie passa devant avec le matelas fin et ouvrit le passage.
_"Par ici." Dit-elle à l'attention de l'équipée. 
Ils descendirent ainsi jusqu'au sous-sol et dans le sous-sol, jusqu'à une pièce dissimulé ou Daryl avait l'habitude d'entreposer ses prises pour les conserver. C'est ici qu'il avait prévu de mettre le cerf, d'ailleurs, mais la priorité était Aszuna maintenant.
Ils l'aidèrent à s'allonger et Chloé fit en sorte qu'elle se couche tout de suite sur le ventre. Elle retira la couverture et ne lui couvrit que les jambes, laissant tout le dos apparent. Émilie était déjà remontée chercher le reste des affaires, alors que Daryl restait en bas, à regarder faire Chloé, l'air hébété.
_"Vas aider ta mère." L'enjoignit-elle, le sortant une fois de plus de ses doux rêves.
Émilie revint avec ce qu'elle avait utilisé pour nettoyer les plaies ainsi que son vêtement en chanvre.
_"Daryl arrive avec la bassine d'eau chaude." L'informa-t-elle en lui tendant les serviettes humides. "Est-ce qu'on peut faire quoi que ce soit d'autre pour t'aider?" Demanda-t-elle. Daryl arrivait avec la bassine et la déposait près de Chloé.
_"Il faut refaire bouillir de l'eau, apportez moi du fil et deux aiguilles ainsi que deux serviettes propres supplémentaires. Il me faut aussi des épingles pour fixer les bandages, deux anti douleurs et un antibiotique. N'oubliez pas l'alcool à 90!" Pendant l'espace d'un instant, Chloé s'était retrouvée aux urgences du centre de soins de son secteur, en train de commander ses aides soignants et de leur donner ses directives, sûre d'obtenir le matériel dont elle avait besoin et qu'elle réclamait avec autorité. 
_"Mais... Nous n'avons pas tout cela..." Se désola Émilie en jetant un regard à son fils qui acquiesça tout aussi désolé.
_"Oh! Pardon!" S'exclama Chloé. "Pendant un instant je me suis cru aux urgences de ma cité." Elle en avait oublié sa discrétion. "Vous avez quoi sur ce que j'ai demandé?"
_"Hé bien, en fait il ne nous manque que l'alcool et les médicaments, si, je crois qu'il nous reste des antidouleurs. Vas voir s'il te plait Daryl." Émilie était admirative de L'autorité soudaine que dégageait Chloé, précise et professionnelle.
_"Il ne nous en reste qu'un." Dit Daryl légèrement essoufflé, en tendant une pilule blanche à Chloé. "J'ai remis de l'eau à bouillir et voilà le fil, les épingles et les aiguilles." Ajouta-t-il, relativement fière, les yeux rivés sur Aszuna mais parfaitement concentré.
_"Mets les deux aiguilles dans l'eau bouillante et re-remplit ce verre s'il te plait." Lui réclama Chloé.
Il venait à peine de quitter la pièce, transformée en salle d'opération, qu'Émilie s'apostropha:
_"Mais, j'y pense, Daryl attend! Nous avons le boumda! Rapportes le aussi!"
_"Bonne idée maman, j'y vais!" La félicita-t-il.
_"Le boumda?" interrogea Chloé incrédule. Aszuna s'était rendormie. 
_"Oui, c'est un alcool que fabrique mon mari à partir de la cannabis qu'on fait pousser. On l'appelle boumda à cause de l'effet quand on en boit trop." Émilie ne put s'empêcher de rire. 
_"C'est parfait!" S’enthousiasma Chloé qui voyait là un désinfectant qui lui servirait aussi d’anesthésiant de fortune. "Tu peux m'apporter un chiffon propre ou quelque chose comme ça, s'il te plait, nous l'utiliserons pour la bâillonner."
_"Oui, je comprend." Elle était de plus en plus impressionnée par la vivacité d'esprit de Chloé. Elle est forcément médecin pensa-t-elle.
Quand tout fut préparé tel qu'elle le désirait, elle demanda à Daryl de remonter faire le guet et ne sollicita que la présence d'Émilie. Daryl ne broncha pas, ferma la porte et remonta dans la cuisine, impressionné lui aussi par la réactivité de Chloé et reconnaissant, dans un sens, pour son aide inestimable. 
Sachant très bien que la douleur allait la réveiller, Chloé s'appliqua à désinfecter les plaies de son dos avec une des serviettes imbibée de cet alcool local. Aszuna se réveilla brusquement et c'est Émilie qui la retint de la même voix douce qu’auparavant. Avec la même autorité que quand elle avait réclamé son matériel, Chloé fit comprendre à Nouna qu'il fallait qu'elle se tienne assise, l'aidant à s’asseoir en la tenant par les épaules. Aszuna grimaça et gémit, mais suivit le mouvement sans crier, complètement rassurée par les intentions de ces gens qu'elle ne connaissait ni ne comprenait mais qui s'occupaient d'elle avec dévouement. Chloé lui présenta alors le verre d'eau et le médicament anti-douleur, en mimant ce qu'elle devait faire. Aszuna prit la pilule, la mit dans sa bouche et commença à la mâcher, ignorant de quoi il s'agissait. Le goût amère lui souleva le cœur et elle but tout le verre d'eau d'un trait pour ne pas tout recracher d'un coup.
_"C'est bien, voilà." Lui dit Chloé calmement en reprenant le verre. Émilie la soutenait toujours et lui caressait les cheveux tendrement.
_"Comme elle est belle." Lâcha-t-elle involontairement, les larmes aux yeux et clairement émue. Elle comprenait pourquoi son fils avait succombé aux charmes de la braconnière.
Chloé prit alors la bouteille de boumda, attira l'attention de Nouna, se versa un fond et le but d'un trait devant elle tout en tâchant de lui faire comprendre que c'est ce qu'elle devrait faire. La chaleur de l'alcool lui brûla l’œsophage et l'estomac, malgré la petite quantité, mais elle ne le montra pas, même si elle ne put le cacher à Émilie qui sourit en la regardant. Elle versa cette fois-ci un large demi verre et le tendit à Aszuna qui le vida tel qu'elle venait de l'observer. Chloé bondit alors sur elle et lui boucha le nez et la bouche avec ses mains. Émilie, qui avait compris la démarche, l'empêcha de se débattre jusqu'à ce qu'elle soit certaine qu'elle avait tout avaler et ne le vomirait pas. Elles aidèrent ensuite Aszuna à se recoucher sur le ventre. Elle se laissa manipuler sans résistance et écouta les bruits autour d'elle avant de sombrer dans le coma. C'est alors que Daryl descendit précipitamment.
_"Les militaires arrivent!" S'exclama-t-il paniqué.
_"Bon, camouflez la porte et remontez tous les deux. Faites comme si de rien n'était, je peux me débrouiller seule pour le moment, ne vous inquiétez pas." Les rassura Zoé. 
_"C'est ce que je pensais faire." Indiqua Émilie. "Nous en profiteront pour prendre notre repas, on vous en gardera de côté. Je viendrais vous prévenir quand il n'y aura plus de danger. En attendant, pas de bruit."
_"Vite!" S'impatienta Daryl en tirant sa mère par la robe.
Ils remirent la vielle armoire devant la porte et remontèrent dans la cuisine. Émilie servait les assiettes quand leur porte d'entrée trembla sous les coups virulents d'un des matricules de la section chargée de la fouille de cette partie du village.
_"Vous avez cinq secondes pour ouvrir la porte ou nous l’enfonçons! Perquisition militaire!" Ordonna une voix derrière la porte justement.
C'est Daryl qui l'ouvrit le plus innocemment possible, laissant s’engouffrer cinq uniformes surarmés suivis d'un officier qui leur ordonna de commencer à fouiller le domicile. Il s'adressa ensuite à Émilie et lui déclara:
_"Par ordre du juge Dinousillet, une fouille systématique des maisons est en cours. Un braconnier a réussi à pénétrer dans la zone et nous sécurisons le village. Sera considérées comme criminelles toutes rétentions d'informations ou toutes aides qui pourraient lui être apportées. Si vous savez quoi que ce soit dites le maintenant ou vous serez sévèrement punis au nom de la loi!" Récita-t-il.
Tandis que trois militaires fouillaient le rez-de-chaussée et que les deux autres montaient inspecter l'étage, Émilie lui répondit avec aplomb et respect:
_"Bonne Terre! Bonne Terre! Un braconnier en fuite dans notre zone! Mais je vous en prie faites votre devoir commandant, nous n'avons rien à cacher. La vie est bien dure vous savez. Mon mari est malheureusement absent, il travaille à la ferme centrale. Voici nos papiers..." dit-elle enfin, cherchant dans la boîte posée sur la table.
_" Il n'y a rien à ce niveau commandant." L'informa le matricule 346 tandis que celui-ci vérifiait les documents que lui avait tendus la maîtresse de maison. Daryl restait silencieux.
_"Daryl, mon fils, s'il te plait, montres leur ou se trouve le sous-sol et conduis-y les." Le pressa sa mère. 
_"D'accord." Et Daryl guida les trois matricules.
Quand Chloé entendit les militaires pénétrer dans la maison, elle bâillonna Aszuna et s'assit sur ses jambes en lui maintenant les bras pour l'immobiliser au maximum et l'empêcher de faire le moindre bruit, leurs vies à tous étaient en jeu et dépendaient de leur silence. Aszuna dormait profondément. Pourvu qu'elle ne se mette pas à ronfler pensa Chloé tout en se demandant pourquoi c'était cette pensée qui lui arrivait en de pareilles circonstances. Elle attendait, silencieuse, attentive et malgré tout anxieuse, le moment ou ils viendraient exécuter leur ordre de dépistage.
_"Veuillez me suivre." Invita Daryl en ouvrant la porte qui menait au sous-sol. Il alluma la lumière et descendit le premier. "Voilà!"
Dit-il en élevant la voix, espérant ainsi avoir alerté Chloé.
Les trois matricules fouillèrent consciencieusement les lieux, allant jusqu'à ouvrir l'armoire camouflant l'entrée de la chambre dérobée, mais ne détectèrent ni n'entendirent rien de suspect. Le cœur de Daryl s'était arrêté de battre l'espace d'un instant, mais il garda son sang froid. Les trois endoctrinés remontèrent faire leur rapport d'inspection à leur commandant, il ferma la marche en poussant discrètement un soupir de soulagement et éteignit la lumière.
_"Rien au sous-sol commandant." Déclara le matricule 4437. Les deux autres troufions étaient déjà redescendu de l'étage et avaient rendu le même rapport. Le commandant regarda alors Émilie droit dans les yeux, avec sévérité et suspicion, comme pour la déstabiliser ou pire parce qu'il avait senti que quelque chose n'était pas claire, mais elle resta impassible et, lui rendant son regard, lui demanda:
_"Quelque chose ne va pas commandant?"
_"Vous savez que la rétention d'informations, quel-qu’elle soit, est passible du bannissement." Dit-il en lui rendant ses papiers.
_"Bien-sûre, mais nous ne savons rien, pourquoi me dites-vous cela?"
Le commandant 72 se tourna alors vers Daryl et, sans changer d'attitude, l'interrogea:
_"Et vous, jeune-homme, vous n'avez rien à nous dire?"
_"Non monsieur le chef, enfin... si, peut-être... Je crois avoir aperçu le braconnier dans la forêt, pas loin de la rivière." Avoua-t-il, la tête baissée et regardant le sol, tel un enfant qui reconnait une faute. Il les envoyait directement à l'abattoir, dans la gueule de l'homme-loup, la rage au ventre et voulant se débarrasser d'eux définitivement par esprit de revanche et de justice. Son cœur de rebelle, devenu protecteur, ne pouvait supporter qu'on puisse vouloir faire du mal à une si belle créature, puisse-t-elle être braconnière. "Je vous présente mes excuses..." Se courba-t-il, mais c'était pour la bonne cause.
_"Ça ira pour cette fois, jeune-homme, merci madame. Allons-y!" S'exclama-t-il et ils quittèrent les lieux. "Fouillez les autres maisons, il s'est peut-être faufilé depuis que le gamin l'a aperçu!" Entendirent-ils de derrière la porte. Tu vas voir si je suis un gamin, se dit-il en l'imaginant se faire égorger par Farid.
_"Daryl, qu'as-tu fait? S'ils ne trouvent rien, ils reviendront pour toi." Lui reprocha sa mère.
_"Ne t'inquiètes pas maman, ils vont trouver quelqu'un et ils ne reviendront jamais... Jamais." Dit-il en serrant les poings, des larmes de colère dans les yeux.
_"Je te fais confiance." Le rassura sa mère en le serrant dans ses bras. "Il va falloir que tu m'expliques certaines choses quand même, si tu ne veux pas que je me fâche." Conclut-elle pour l'heure, en lui prenant le visage dans les mains.
_"Oui maman, promis, mais pas tout de suite." Lui répondit-il les joues serrées, comme un enfant. Ils se regardaient, s'aimaient et se mirent à rire.
_"Oh! ça c'est sûre. Pour l'instant nous allons manger et attendre qu'ils se soient éloignés suffisamment pour prévenir Chloé. Et oui, tu pourras y aller." Accepta-t-elle avant qu'il le demande, ayant deviné depuis son arrivée les sentiments de son fils. Elle n'était pas sa mère pour rien. "Quand tu descendras, tu leur apporteras leurs assiettes et de l'eau." Elle fit le service et coupa deux tranches de pain noir. 
Daryl mangea peu, préoccupé qu'il était par la tournure des événements. Tournure qu'il avait pourtant contribué à provoquer.
_"Mon écureuil n'est pas bon?" Demanda Émilie.
_"Si, au contraire, c'est juste que je n'ai pas très faim pour le moment." Reconnut-il.  
_"On dirait qu'ils ont cru à ton histoire." Dit sa mère en finissant son assiette et regardant discrètement par la fenêtre au-dessus de l'évier. "Tu dois vraiment être amoureux pour fabuler de la sorte." Estima-t-elle. Mais elle se trompait, son fils n'avait que partiellement menti. 
_"Mais c'est pas une histoire, il y a vraiment quelqu'un dans la forêt! Et il va les massacrer." Se défendit-il d'ailleurs.
Émilie, dubitative, n'insista pas, gardant ses questions pour plus tard, et, tout en débarrassant lentement la table, poursuivit sa discrète surveillance des militaires. Daryl, lui, s'était levé et attendait près de la porte du sous-sol, un peu nerveux, que sa mère lui donne le feu vert pour descendre.
_"Ils viennent à peine de finir de fouiller la maison d'à côté, il va falloir encore attendre un moment avant qu'ils quittent la cours. Tu peux venir te rasseoir." Le prévint-elle.
_"Je crois que je préfère attendre debout..." Répondit-il, aussi prompt à s'engouffrer dans le sous-sol que ne l'avait été Farid a le défendre cet après-midi. 
Le temps semblait suspendu et Chloé commençait à craindre le pire quand elle perçut le bruit de l'armoire qu' on déplaçait derrière la cloison. Elle n'attendit pas qu'on ouvre la porte pour reprendre la désinfection des plaies, ce qui ne provoqua que de légers gémissements du côté d'Aszuna mais ne la réveilla pas. Le boumda était encore plus efficace qu'elle ne l'imaginait. La porte s'ouvrit enfin et Daryl apparut dans l'entrebâillement. 
_"Tout va bien, c'est bon. Est-ce que tu as faim? Je vais vous ramener des assiettes et de l'eau, on a fait du riz à l'écureuil, tu vas voir c'est délicieux." L'informa-t-il.  
_"Je n'en doute pas une seconde, ce sera avec plaisir et tu me raconteras comment ça c'est passé, tu as l'air soucieux." Le devina-t-elle en acceptant sa proposition.
_"Comment va Nouna?" S'enquerra-t-il.
_"Elle dort à point fermé. Elle s'en sortira, ne t'inquiètes pas, je connais mon métier. Allez, vas!" Le rassura-t-elle.
Quand Daryl revint avec les assiettes et l'eau, Émilie l'accompagnait pour voir si tout allait bien, elle aussi semblait inquiète. Chloé était ennuyée, car elle aurait voulu voir certaines choses avec Daryl en privé, ne sachant pas que sa mère était au courant pour l'homme-loup. Du coup, elle expliqua à peu près ce qu'elle allait faire, les plaies qu'elle recoudrait et le bandage qu'elle ferait, en les rassurant une fois de plus sur l'état de la blessée.
_"J'aurais probablement besoin de toi Émilie, mais j'enverrai Daryl te chercher." Proposa-t-elle, dans l'espoir qu'Émilie remontrait d'elle même.
_"De toute façon, il faut bien que quelqu'un reste faire le guet. Je suis désolée, ça doit être froid et j'ai servi ton écureuil, mais je te préparerai la perdrix à la place." Dit Émilie qui s'apprêtait à retourner dans la cuisine.
_"C'est parfait pour moi, il n'y a pas de problème." Répondit Chloé un peu décontenancée.
_"Dis moi..."
_"Oui?"
_"Tu n'aurais pas une cigarette par hasard s'il te plait?" Se renseigna Émilie auprès de sa nouvelle amie.
_"Mais si bien-sûre!"
Chloé s'essuya les mains et fouilla dans son sac. Elle en sortit une clope qu'elle tendit à Émilie qui se confondit en remerciement et promit de lui redonner un peu d'herbe. Elle alla la fumée en haut. Quand elle quitta enfin le sous-sol, Chloé ne laissa pas le temps à Daryl de poser toutes ces questions qui se bousculaient dans sa tête et auxquelles elle répondrait en temps voulu, et l’interpella tout de suite:
_"Daryl, je suis médecin, enfin presque, ce sont mes études..." Voilà qui répondait au moins à une question... "Et les plaies de Nouna, ainsi que la morsure clairement visible au niveau de son épaule droite montrent, sans l'ombre d'un doute, que Nouna à été attaquée par une bête de type humanoïde. La forme de la morsure le confirme. Il ne peut s'agir que de Farid, est-ce que tu as quelque chose à m'apprendre? Et ne me cache rien, je le saurais, je suis un véritable détecteur de mensonges." Diagnostiqua-t-elle en le prévenant par la même occasion.
_"Je vais tout te raconter." Et Daryl s'appliqua à tout expliquer à Chloé qui, après avoir désinfecté au boumda son aiguille, avait commencé à recoudre la plaie la plus profonde du dos meurtri d'Aszuna. Elle ne réagit même pas, sinon quelques soubresauts cutanés, finalement assez rassurants. "Et ensuite tu es arrivée." Poursuivit-il, avant de lui apprendre comment il s'était débarrassé des militaires.
_"Daryl, pourquoi?!" S'exclama Chloé. "Tu as pensé à Farid? Et s'ils trouvent le cerf, ils sauront que c'est toi."
_"Ils allaient fouiller la forêt de toute façon et... Je voulais qu'ils meurent. Regardes ce qu'il a fait à Nouna en quelques secondes. Ils peuvent même y aller à vingt, je sais comment il chasse. De nuit, dans la forêt, il va les massacrer." Lui affirma-t-il.
_"Tu as réagi sans réfléchir, par émotion..." Lui reprocha-t-elle d'abord avant se se raviser. "Même si comme tu le dis ils allaient fouiller la forêt. Et puis, tu n'avais pas le choix que de la sauver... Merde! Tout cela ne peut que créer des problèmes supplémentaires, qu'ils tombent sur Farid ou non d'ailleurs... Merde!" Pesta-t-elle. Chloé ne pensait là qu'à sa vengeance qu'elle voyait s'éloigner de plus en plus. "Tu n'imagines pas à quel point tout ça contrarie mes plans." Avoua-t-elle, désappointée, en terminant de recoudre la plaie. "J'ai bien désinfecté la morsure, mais j'espère que la salive de Farid ne provoquera pas d'infection."
_"Je suis désolé Chloé..." S'excusa Daryl d'une petite voix.
_"Ne m'appelles plus Chloé, mon vrai nom est Zoé... Et ne soit pas désolé, c'est moi, je pensais tout haut. Les choses se compliquent drôlement, c'est tout, mais on va bien trouver une solution." Son sens de l'improvisation allait être mis à rude épreuve.
Elle désinfecta de nouveau son aiguille et entreprit de recoudre une seconde griffure... La nuit allait être longue.
(à suivre...)
Feuille Qui Fume



Chapitre V
_"Ne devrions-nous pas demander des renforts commandant?" Demanda le matricule 4437 alors que l'escouade arrivait à l'orée de la forêt. 
_"Pour un braconnier désarmé et isolé? Ne soyez pas ridicule soldat." Rétorqua le commandant 72 en allumant sa lampe torche et éclairant les premiers arbres. 
Il avait un pouvoir quasi absolu sur son escouade et était autorisé à prendre des initiatives si un danger imminent ou des "circonstances particulières" le justifiaient et il estimait que c'était le cas. Il était seul juge dans ces circonstances et seul responsable au regard de la justice militaire. S'il réussissait la capture il serait promu, s'il échouait, il serait exécuté. Mais on ne leur avait pas appris à échouer à l'école militaire des gradés. D'aussi loin que remontait sa mémoire, on lui avait toujours dit qu'il serait commandant et apprit à commander et à gagner. Sa décision était prise et il ne reviendrait donc pas dessus, quand bien même un de ses soldats chiait dans son froc à l'idée de pénétrer dans une forêt de nuit. Il savait que ses matricules n'avaient jamais affronté une telle situation et qu'ils n'étaient pas plus que lui aguerris au combat, mais l'opportunité était trop belle pour ne pas être saisie. Une escouade de cinq militaires ne peut pas échouer contre un braconnier sans défense pensait-il. Il était loin d'imaginer ce qu'ils allaient rencontrer...
_"Déployez-vous à trois mètres!" Ordonna-t-il. C'était ce qu'on lui avait appris. "Avancez en silence. N'oubliez pas que l'objectif est la capture avant tout." Précisa-t-il enfin.   
L'obscurité était totale et les bruits de la nuit envahissaient le silence apparent. La forêt endormie laissait chanter ses spectres et ses insectes, offrant ses ténèbres aux chasseurs nocturnes. Un léger brouillard caressait les troncs et dansait à la lumière des torches.
_"Matricule 346 au rapport!" réclama le commandant au bout d'une centaine de mètres, rompant le silence qu'il avait exigé. Ils faisaient plus de bruits qu'une charge d'éléphant de toute façon et l'effet de surprise n'était vraiment pas leur spécialité.
_"Matricule 346, rien à signaler!" Scanda le troufion d'un ton mêlant obéissance et anxiété.
_"Rapport d'escouade tous les cents mètres!" Exigea le commandant, pas plus rassuré que cela en vérité.
Chaque matricule s'exécuta et ils reprirent leur progression. Ils n'avaient qu'une connaissance relative de la forêt, sachant seulement que la rivière se trouvait au sud et suivant l'itinéraire militaire établi pour l'atteindre.
_"Vous croyez que le gamin disait la vérité?" Ne put s'empêcher de demander le matricule 1756, le plus prêt du commandant. Lui, avait fouiller l'étage de chez Daryl et il n'avait rien remarqué de suspect.
_"Ne mettez pas en doute mon jugement matricule ou vous en répondrez. Maintenant silence." Le fustigea sèchement son gradé. 
Pourquoi, alors que je voulais le protéger? Pourquoi ne m'a-t-il pas laissé tuer ma proie? Se demandait Farid en remuant au sol, à l'endroit ou il avait l'habitude de s'installer la nuit, non loin de la ruine, sans réussir à s'endormir. C'était la première fois que son compagnon de chasse lui interdisait de tuer sa prise. Pourquoi? Il remuait, énervé, quand soudain une odeur venant du nord l'interrompit dans ses pensées. Une menace? Vite, monter aux arbres et écouter. Je ne connais pas cette odeur et je ne connais pas ses bruits, pensa-t-il. Vite, aller protéger le cerf de Morgane. Bien-sûre il ne connaissait pas les noms, mais il savait à qui il avait offert cette prise et dans quelle intention. Il savait aussi que Daryl en avait fait sa possession en lui offrant les abats de la bête. Tout ses sens étaient en action et aux aguets. Il se rapprocha de ses cibles pour mieux évaluer le danger et préparer son attaque. Il poussa alors un hurlement strident, ressemblant à celui du loup mais plus grave et sombre, pour indiquer qu'il était près au combat.
_"Au rapport!" Hurla le commandant en entendant ce cri horrible venu du cœur de la forêt et balayant de sa torche les environs pour essayer de discerner quelque chose, mais rien ne bougeait.
Tous les matricules répondirent présents, d'un ton rauque et nerveux, presque paralysés par la peur mais ne signalant rien. Eux aussi éclairaient compulsivement la forêt autour d'eux, mais ne repéraient rien non plus. Soudain un autre hurlement, mais cette fois-ci humain, déchira la nuit avant de se stopper net. C'était un des membres de l'escouade, le plus isolé et éloigné, qui rendait son dernier soupir. 
Je vais tous vous réduire en lambeau et vous déchirer le visage, se délectait Farid en se léchant les lèvres et secouant ses membres comme pour évacuer toute son excitation, accroupi sur le corps de sa première victime. Il venait de littéralement arracher la tête du matricule et lui ouvrait le ventre pour montrer à ses ennemis sa détermination et sa force. Il Bondit ensuite dans les arbres et adopta une posture défensive, perché sur une branche à près de trois mètres du sol et surveillant les mouvements de ces proies. Il tâcha alors de contourner l'escouade pour les attaquer par l'arrière. 
Tous se précipitèrent vers le cadavre décharné de leur camarade sauf le commandant qui, resté à l'écart, leur ordonnait en criant de maintenir leur position. Ce fut le dernier ordre qu'il prononça. Quand les quatre troufions survivants revinrent vers lui, le cherchant dans la nuit, il était écroulé au sol et avait la gorge ouverte en deux. Il finissait son agonie par des bulles de sang lui sortant de la trachée artère en se tenant le coup des deux mains. Privé de leur chef, les matricules restèrent immobiles au dessus de lui, éclairant les arbres tout azimut et sans précision, ne concevant pas qu'un braconnier sans arme puisse leur infliger de tels dégâts et pertes. Ils voulurent alors se mettre en position de défense contre les attaques d'animaux sauvages, comme on le leur avait enseigné, mais ils n'eurent pas le temps.
Farid, qui guettait la moindre occasion de pouvoir attaquer de nouveau, caché de telle façon à leur interdire toute retraite mais ayant toujours à l'esprit de protéger son offrande, avait décidé son prochain assaut. Je vais les terroriser complètement et en empoter un de plus, pensa-t-il. Il se laissa alors tomber sur un des militaires, déjà paniqués, et, le mordant à l'épaule comme il l'avait fait avec Aszuna, le traîna dans les fourrés en lui plantant ses griffes dans le torse. Les cris du matricule 4437 furent aussi brefs que terrifiants, car Farid lui écartela le visage par la bouche, lui arrachant presque la mâchoire inférieure. S'étouffant avec sa propre langue, le soldat râlait et gémissait, cherchant l'air par des mouvements de bras désordonnés. Ses yeux étaient écarquillés de douleur et de stupeur, avant que la mort ne vienne les éteindre définitivement. Les trois militaires restants se mirent alors à faire feu dans tous les sens et ce ne fut qu'in-extremis que Farid évita une balle. 
_"Munitions explosives!" Scanda le matricule 2319, tout en remplaçant son chargeur. "Feu à volonté!" 
Ils tirèrent dans toutes les directions, provoquant des explosions incandescentes qui déchiraient le manteau sombre de cette nuit sans lune, sans atteindre autre chose que cinq troncs d'arbre qui s'écroulèrent dans un fracas assourdissant. 
_"Halte au feu! Halte au feu!" Ordonna en hurlant le matricule 690, cette fois-ci. 
_"Ce n'est pas le braconnier qu'on cherche qui pourrait faire ça. Il ne peut s'agir que d'un animain ou d'un ours. Nous allons tous nous faire massacrer. Il faut battre en retraite tout de suite." Évalua et conseilla le matricule 1756. Il semblait être celui qui avait le plus l'expérience du combat, aussi tous l'écoutèrent et ils choisirent la fuite. 
La forêt, qui semblait s'être réveillée l'espace d'un instant, était retombée dans un silence de mort angoissant. 
_"Nous l'avons peut-être touché..." Hésita le troufion 2319.
Qu'est-ce que c'était? D’où venait ces boules de feu? Farid reprenait ses esprits, presque assommé par l'explosion d'un des troncs et la chute d'une branche. Il voulut se redresser et poussa alors un hurlement de douleur, un éclat de bois lui traversait la cuisse gauche. La blessure et la douleur le mirent dans une rage meurtrière qu'il n'avait encore jamais ressentie. Il poussa de nouveau un hurlement mais guerrier et bien plus puissant, car cette fois, sa cruauté ne connaîtrait aucune limite. Il grimpa aussi vite que possible dans un arbre, oubliant ses élancements et ne ressentant que la montée d'adrénaline. Je vais les écorcher vifs! Je ne les laisserai pas prendre mon territoire. Il retira l'éclat de bois de sa cuisse d'un seul geste et bondit vers les militaires qui rechargeaient leurs armes. Avant même qu'ils aient pu comprendre ce qui leur arrivait, le matricule 690 s'écroulait à genoux, l'éclat planter dans le cœur. Son dernier réflexe fut d'appuyer sur la gâchette de son fusil, tirant sans viser directement sur le matricule 1756 qui explosa littéralement sur place, éclaboussant de ses restes le matricule 2319 qui hurlait de frayeur, paralysé et incapable de réfléchir. Il se recroquevilla sur lui-même et se mit à pleurer comme un enfant, ce qui eut pour effet de calmer provisoirement l'homme-loup qui vint s'accroupir tout près, lui essuyant les larmes de ses griffes et les portant à sa bouche. Le militaire restait immobile, la jambe de son camarade sur les genoux et son sang dégoulinant de son visage inondé de larmes, regardant pour la première fois le responsable de ce massacre en face, à quelques centimètres. Il va me réduire en bouilli pensait-il, sentant son urine chaude souiller son treillis. Je vais lui faire goûter mon sang pour lui montrer que je ne veux pas le tuer tout de suite mais qu'il sache pourquoi il va mourir pensa Farid. Et il trempa son doigt dans la plaie de sa cuisse et le porta à la bouche du matricule, incrédule, qui le lécha presque instinctivement, goûtant ainsi le sang de son ennemi.  
Sans que l'animain puisse comprendre pourquoi, le matricule 2319 fit un mouvement réflexe de tête sur le côté et se mit à vomir ses tripes. Farid, devant ce comportement pour le moins étrange, qu'il interpréta comme de la peur, dansa alors accroupi autour de lui, marchant sur les restes des autres militaires sans y prêter attention, afin de lui signifier sa proche exécution. Il voulait également déconcentrer sa proie. Il était évident qu'il ne la laisserait pas partir, il voulait juste jouer avec, un peu, avant de la dévorer vivante. Soudain, il attrapa le matricule 2319 et le souleva comme une plume au dessus de lui en le secouant légèrement et poussant son cri de victoire, un hurlement qui déchira la nuit forestière. Il voulait que sa proie comprenne sa supériorité et se soumette. Il avait remporté le combat et il criait sa victoire. Il le jeta ensuite violemment contre un arbre, le cassant presque en deux et l’assommant, avant de se jeter dessus pour le terminer. Il allait porter le coup de grâce et se repaître de sa victime tranquillement quand il entendit un bruit familier venir dans sa direction. On l'appelait...
(à suivre...)
Feuille Qui Fume

TRAUMATISMES
La première sirène n'inquiéta pas Morgane car elle savait que le couvre feu était avancé. C'est pour ça que Nénette dormait là. C'est la seconde sirène, en revanche, qui l'angoissa plus. Elle avait compris que cela signifiait que le village allait être fouillé et elle avait le pressentiment que cela concernait leurs activités illégales. Il fallait qu'elle fasse quelque chose, mais quoi? Soudain, une idée lui vint mais ça allait être dangereux et interdit. Son plan était simple, il fallait qu'elle attende que Nénette et sa grand-mère soient endormies, pour ensuite se faufiler par la fenêtre de sa chambre et rejoindre la ruine dans la forêt. Elle voulait au moins protéger Farid. 
Il faisait nuit noire depuis un moment déjà quand Morgane décida de prendre la poudre d'escampette. Elle avait pris soin de vérifier que tout le monde dormait, après s'être rhabillée, en même temps qu'elle récupérait ses chaussures. C'était assez simple de descendre par sa fenêtre de chambre car du lierre envahissait le mur juste en dessous et elle était suffisamment légère pour l'utiliser comme échelle. La liane était épaisse et bien agrippée au mur. Et puis, elle l'avait déjà fait plusieurs fois pour s'amuser; mais sans qu'on la voit bien-sûre. Ni une ni deux, elle se laissa glisser tranquillement et se retrouva dans la cours. Elle saisit son vélo, ouvrit la grille avec le plus de précaution possible pour qu'elle ne grince pas, et s'élança en direction de la forêt. Elle emprunta le même chemin que celui qu'elle avait utilisé avec Chloé dans l'après-midi, la nuit sombre ne l'arrêtait pas. Arrivée devant les sous-bois, là ou elle avait accroché son vélo auparavant, elle eut un réflexe d'appréhensions, alors qu'elle avait décidé d'y pénétrer. L'obscurité de la nuit et son silence étreignaient son cœur de petite fille, tout de même fragile, la forêt, c'était quand même pas pareil. Elle avait simplement peur du noir et... un peu peur de se perdre aussi. 
C'est quand elle entendit des explosions venir du cœur de la forêt qu'elle surmonta ses angoisses et s'engouffra aussi vite qu'elle le pouvait entre les arbres. Elle était sûre que Farid était en danger, n'imaginant pas le massacre qui se produisait. Elle venait juste d'atteindre le vieil énorme chêne quand une dernière explosion isolée se produisit. Elle se mit alors à pleurer, sûre que son homme-loup avait été tué, mais reprit quand même sa route en direction de la ruine, elle voulait savoir ce qui c'était passé. Elle poussait les branches d'une main et s'essuyait le visage de l'autre, ne courant plus, un peu désemparée, et avançait sans conviction. Elle était maintenant persuadée qu'elle allait tomber sur un matricule qui la ramènerait chez elle et qu'elle se ferait disputer. Mais c'est un hurlement de Farid qui perça le silence revenu et indiqua même à Morgane l'endroit ou il se trouvait. Elle se remit à courir, et presque à rire tant elle était rassurée d'entendre de nouveau son animain, mais elle n'était pas préparée à ce qu'elle allait voir...
_"Tu peux aller demander à ta mère qu'elle vienne m'aider, j'ai terminé." Demanda Zoé à Daryl qui n'avait pas bougé et l'avait regardée recoudre le dos d'Aszuna avec tant de dextérité qu'il en était resté impressionné, admiratif devant une telle qualité de points. Il avait appris à recoudre les plaies, mais jamais il n'avait réussi à le faire avec autant de facilité et de précision. Il faut dire qu'il ne s'agissait que des ventre évidés de ses proies, ce qui nécessitait tout de même moins de rigueur.
_"J'y vais!" répondit-il en bondissant de sa chaise et disparaissant derrière la porte qu'il laissa ouverte. Il était tellement content que Nouna soit sauvée.
Émilie arriva peu de temps après, sachant pourquoi elle était sollicitée et referma la porte derrière elle. Daryl était resté dans la cuisine pour continuer à surveiller l'extérieur. Mais le village était parfaitement désert et silencieux. Ils vont tous se faire étriper pensait-il avec une légère satisfaction et un léger sourire sur le visage. 
_"Nous allons lui faire son bandage." Dit Zoé. "Aide moi à la redresser et tiens la droite s'il te plait." 
_"Allons-y." Et Émilie se positionna au niveau de la tête pour exécuter la manœuvre.
_"Attends, je vais rapprocher le seau, elle va sûrement vomir." Anticipa Zoé.
Et, en effet, quand Aszuna se retrouva en position assise, elle eut un violent haut-le-cœur et vomit de justesse dans le seau que Zoé plaça sous son visage. Elle s'attendait à ce que l'alcool provoque une telle réaction. Ça plus le traumatisme des sutures et de l'agression, il n'en fallait pas plus.
_"Pauvre enfant, comment peut-on faire du mal à une si belle enfant?" Se révolta Émilie , définitivement tombée sous le charme innocent de la jeune-fille. 
Nouna était semis consciente quand elles lui firent son bandage et se laissa manipuler sans difficulté. Son dos ne la faisait presque plus souffrir et elle avait faim, malgré ses nausées. Elle sentait l'odeur du riz et de l'écureuil, même si les assiettes étaient froides. Le bandage était fait de telle façon que sa poitrine ne tirait plus sur ses plaies et elle pouvait donc se maintenir droite et assise. Zoé savait faire les bandages aussi bien que les sutures. Émilie la vêtit du haut qu'elle lui avait préparé et, sans qu'Aszuna eut besoin de faire comprendre qu'elle était affamée, lui tendit son assiette. Zoé en profita pour prendre la sienne et elles se mirent à manger ensemble de très bon appétit. Nouna ressentait encore les effets de l'alcool et était encore un peu saoule, mais ses nausées s'estompaient doucement. Elle prit le verre d'eau que lui tendait son docteur d'une nuit et but, assoiffée et la gorge sèche. 
_"Vas doucement ma belle sinon tu vas avoir mal au ventre." Lui conseilla Émilie. Elle lui caressait de nouveau ses cheveux et replaçait ses mèches avec tendresse en lui souriant. Nouna qui n'avait strictement rien compris continuait de manger goulûment mais prit tout de même le temps de lui rendre son sourire après avoir bu.
Zoé mangeait elle aussi avec faim, satisfaite de son travail et heureuse, finalement, d'avoir pu contribuer au sauvetage d'une si ravissante personne. L'écureuil était particulièrement savoureux et sa chaire fondait littéralement sous la langue. Elle croisa le regard de Nouna, qui semblait la chercher des yeux, et elles se mirent à rire toutes les deux, sans raison, juste par complicité et simplicité, heureuses d'être vivantes. Zoé, repue, ne finit pas son riz et tendit son assiette à Nouna qui ne se fit pas prier pour la terminer. Elle la reposa vide à côté d'elle et se jeta dans les bras de Zoé, surprise, en la serrant de toutes ses forces et semblant ne pas vouloir la lâcher. La barrière de la langue n'empêchait pas les sentiments de s'exprimer et d'être partagés, comme cette reconnaissance soudaine et inattendue.
_"Je comprend, moi aussi je suis contente. Ne t'inquiètes plus, tout va bien se passer, mais attention à ton dos." Lui dit Zoé en la tenant par la taille pour ne pas appuyer sur les sutures. "Il faut que tu te reposes maintenant." Ajouta-t-elle en la regardant dans les yeux et tenant son visage cette fois-ci. Elle l'invita ainsi à se rallonger, mimant le sommeil en joignant ses mains à plat sur le côté et posant sa tête dessus comme s'il s'agissait d'un oreiller. Aszuna, qui avait compris son intention, résista légèrement et, tournant sa tête vers Émilie, dit simplement:
_"Da?... Da?..."
_"Après que tu te sois reposée." Lui répondit Émilie. "Après" Dit-elle avec un mouvement de main pour essayer de se faire comprendre. "Après"... 
Aszuna n'avait pas saisi exactement ce qu'elle voulait lui dire, mais, la fatigue aidant, céda, acceptant de ne pas voir Daryl tout de suite et s'allongea. Elle se rendormit presqu'aussitôt.
_"Est-ce que tu crois qu'on peut la laisser seule?" S'enquerra Émilie.
_"À mon avis elle devrait dormir un bon moment, il faudra juste descendre de temps en temps pour vérifier que tout va bien. Si on laisse la porte ouverte et une bougie allumée, ça ira. Il ne faudrait quand même pas qu'elle nous fasse une crise d'angoisse à son réveille." Estima Zoé en réponse.
_"Une crise d'angoisse! J'espère que non bonne terre!" S'inquiéta Émilie. 
Elles remontèrent quand même toutes les deux, Zoé avec les assiettes, elle avait laissé le verre et la cruche d'eau au cas ou, et s'assirent dans la cuisine avec Daryl en ayant pris soin de laisser la porte du sous-sol ouverte pour entendre si Nouna se réveillait. Il était déjà deux heure du matin. Émilie, qui avait remonté la bassine, la vida dans l'évier avant de se rasseoir et d’interpeller son fils:  
_"Daryl mon fils, j'espère que tu es conscient de la situation dans laquelle tu nous a tous mis. Ne me refait jamais un coup pareil. Nous risquons tous énormément tu sais, surtout avec cette histoire d'homme-loup." Le réprimanda Émilie qui pouvait enfin exprimer ses inquiétudes et ses reproches. 
_"Il t'a dit la vérité, il y a bien un homme-loup au fond de la forêt, il est apprivoisé et il s'appelle même Farid, mais il risque effectivement de faire de gros dégâts." Lui déclara Zoé avant que Daryl ait pu répondre. Elle sentait que c'était le moment d'avoir quelques explications et qu'Émilie attendait cette conversation avec impatience.
_"Il va tous les massacrer, nous n'aurons qu'à jeter les corps dans la rivière, vous verrez bien que j'ai raison, je le connais." Insista Daryl pour se justifier.
_"Est-ce que tu as déjà vu un homme mort Daryl?" Lui demanda Zoé.
_"Non." Répondit-il en baissant légèrement la tête.
_"Alors tu ne devrais pas avoir tant d'assurance quand tu envisages de te débarrasser de corps humains sans vie, crois moi." Tâcha de lui enseigner Zoé. 
_"J'adhère complètement à ce que vient de te dire Chloé. Et si on ne fait rien, on a encore une petite chance qu'ils nous laissent tranquilles." Renchérit sa mère.
_"En fait je ne m'appelle pas Chloé mais Zoé en réalité et je suis étudiante en médecine, pas en droit que je méprise d'ailleurs. Je t'expliquerai quand on aura un peu plus de temps, mais pour l'heure, je suis désolée de te dire que nous ne pouvons pas ne rien faire, comme tu dis, car il y a un cerf à ramener. Si nous réussissons, là on pourra estimer qu'on est en relative sécurité, qu'ils aient trouvé Farid ou non." Expliqua-t-elle, un peu navrée de leur avoir mentis. 
_"Je me doutais que tu étais médecin, mais pourquoi nous avoir dit que tu t'appelais Chloé, Zoé?" Questionna Émilie. 
_"C'est une longue histoire que je vous raconterai plus tard. Pour l'instant, nous devons préparer un plan d'action pour aller récupérer le cerf cette nuit, il ne faut pas attendre, nous n'avons pas le choix. Par contre, il faudra toujours continuer à m'appeler Chloé devant tout autre personne, même Morgane, d'accord Daryl?" Insista Zoé, préoccupée par la fidélité de ses nouveaux amis.
_"Promis. Je sais comment rejoindre la forêt sans être vu. après ce sera facile d'éviter les matricules, en espérant qu'ils ne soient pas allés jusqu'à la ruine. Mais ça m'étonnerait que Farid les laisse faire. Il va les tuer, tu verras, c'est sûre." Promit-il.
_"Raison de plus pour agir tout de suite." Lui rétorqua Zoé, plus à l'intention de sa mère d'ailleurs.
_"Si j'ai bien compris, je vais resté ici à veillé sur Nouna en me faisant un sang d'encre jusqu'à ce que vous reveniez." Conclut Émilie qui avait compris le message.
_"En fait, c'était déjà ce que nous avions prévu de faire, Nouna nous a simplement retardés dans un sens." Lui confirma Zoé.
_"Retardés et attiré les militaires dans la forêt. Mais personne ne pouvait s'y attendre. Bon, et bien je crois qu'il n'y a plus de temps à perdre." Estima Émilie, courageuse mais inquiète quand même.
_"Merci maman, tu n'auras pas à le regretter, tu vas voir, on aura de la viande pour longtemps." Tâcha de la rassurer son fils.
Le temps pour Daryl et Zoé de se préparer et ils partirent pour la forêt par les toits, en sortant par une lucarne du grenier. Ils empruntèrent ensuite le chemin secret que Daryl utilisait d'habitude et arrivés sans encombre devant la forêt, commencèrent leur progression entre les arbres, à la lueur d'une lanterne artisanale qu'il avait confectionnée et qui marchait à la bougie. Mais rarement les choses se passent comme on l'aurait voulu...
Morgane courait dans la direction du cri que Farid avait poussé quand elle l'entendit hurler de nouveau, mais différemment. "Que ce passe-t-il?" S'inquiéta-t-elle tout haut. Elle se remit à courir de plus belle vers les cris, et l'appela cette fois-ci en scandant son nom de toutes ses forces.
Je vais la prévenir que je suis là, pensa Farid qui avait reconnu tout de suite la vois de sa maîtresse, alors qu'il traînait le matricule 2319, complètement inconscient, vers le feu que les explosions avait provoqué, pour mieux voir ce qu'elle faisait et ou elle pouvait être, même s'il sentait son odeur.
Elle ne pouvait pas le savoir, mais Morgane venait de sauver un matricule. 
Le feu se limitait à deux troncs incandescents et ne risquait donc pas de provoquer un incendie de forêt. La litière était de toute façon probablement trop humide. Farid, qui ne craignait pas le feu, se mit alors à hurler tel les loups pour indiquer sa position à Morgane qui s'étonnait qu'il ne vienne pas vers elle. Elle aperçut bientôt la lumière des flammes et arriva enfin au niveau de Farid, mais se stoppa net devant l'horreur absolue du carnage. Ses yeux voyaient là une jambe, là une tête, là un corps sans vie, là une botte avec juste un bout de tibia, dégoulinant de sang, dépassant, mais son esprit n'arrivait pas à accepter, comme refusant d'imprimer dans sa mémoire ses images de massacres cauchemardesques. C'était un vrai bain de sang tout droit sorti de l'enfer.
Elle se mit à hurler et à trembler de tout son corps. Les larmes coulaient le long de ses joues encore rondes et elle levait ses bras dans tous les sens. Elle faisait une véritable crise de nerf, ne pouvant ni arrêter ses cris ni ses tremblements, à tel point qu'elle s'écroula au sol dans un état second. Farid, paniqué de voir sa maîtresse en parfaite détresse, se précipita vers elle et tendit sa main pleine de sang en baissant la tête en signe de soumission, ne comprenant pas ce qui se produisait. Après tout, il n'avait fait que défendre son domaine, rien de plus. Accroupi, il s'approcha très doucement de Morgane, toujours le bras tendu et la tête baissée, mais quand elle le vit, elle poussa un hurlement de frayeur, de terreur même et fit presque un bon en arrière pour éviter tout contact avec ce qu'elle ne voyait plus que comme une bête sanguinaire. Elle se pressa contre un tronc d'arbre, toujours tremblante et traumatisée, demandant à Farid, suppliant même, de ne pas s'approcher en le rejetant de la main. Ce qu'il fit, le visage inquiet et désolé, car il comprenait par ces gestes de répulsion qu'il avait commis une faute, mais ne savait pas laquelle. 
La peur de Morgane fut de courte durée car la colère l'envahit bientôt totalement. Hystérique, elle se jeta alors sur l'animain avec une telle rage qu'il en gémit, se courbant au maximum pour signifier une fois de plus sa soumission et son obéissance. Morgane le frappait, le griffait et lui tirait les cheveux, l'invectivant violemment, mais il ne se défendait pas et se laissait punir. Il se mit sur le côté au sol, pour mieux se mettre en boule, exposant sa plaie sans le vouloir. Il recevait une véritable pluie de coups et de cris mais restait immobile. C'est seulement quand Morgane lui asséna un violent coup de pied à la cuisse qu'il poussa un hurlement de douleur et eut le mouvement réflexe de repousser sa protégée. Ce qui eut pour effet de la calmer presque instantanément. 
_"Tu es blessé!" S'exclama-t-elle, retrouvant l'usage de la parole et non plus des cris hystériques. Elle n'avait pas vraiment oublié son traumatisme, mais la blessure de son homme-loup devenait plus importante, d'autant qu'elle saignait. C'est Farid qui cette fois-ci eut un mouvement de recul quand il vit Morgane s'approcher de nouveau de lui. 
_"Il faut qu'on aille te nettoyer à la rivière." Décida-t-elle en s'approchant de façon pacifique et tendant les deux mains levées devant elle pour l'enjoindre à rester calme. 
C'est alors que le matricule 2319 commença à reprendre ses esprits et se mit à tousser. Farid se redressa en grognant et fondit sur le militaire, près à l'ouvrir en deux, oubliant sa cuisse et voulant faire plaisir à Morgane en lui montrant qu'il la protégeait.
_"Arrêtes!!!!" S'écria-t-elle d'une voix suraiguë qui eut exactement l'effet escompté. Farid, tout comme ce troufion, était comme paralysé, interrompu en pleine attaque. "Arrêtes!!" Hurla-t-elle encore les poings serrés. "Je ne veux plus que tu fasses du mal..." Et elle se remit à pleurer en tombant à genoux. Elle voulait tellement chasser ces images qui lui revenaient à l'esprit par vagues terribles et insupportables. "Arrêtes, s'il te plait..." Sa voix n'était plus qu'un murmure. Farid était déjà retourné auprès d'elle et voulait essuyer ses larmes qui le fascinaient, mais Morgane repoussa ses griffes sales d'un revers de main qu'elle utilisa d'ailleurs ensuite pour s'essuyer le visage.
_"On doit s'occuper de ta blessure." Ordonna-t-elle en se relevant, presque comme une automate, le visage décomposé et les cheveux décoiffés, comme si elle venait de sombrer dans la folie. Elle prit Farid, complètement docile, par la main et se dirigea en direction de la rivière. Il l'accompagna comme un enfant gigantesque qui faisait sa taille alors qu'il avançait presque sur trois pattes, car il n'était pas question qu'il lâche la main de Morgane. Le matricule 2319 ne représentait plus rien à ses yeux, ni danger, ni menace, ni allié, rien. 
_"Attendez jeune-fille, je vous en prie..." L'appela le militaire qui essayait de se relever en s'agrippant à une branche basse tout en se tenant les côtes avec l'autre bras. Il n'arrivait presque pas à bouger, une de ses jambes était probablement brisée, compte tenue de la violence avec laquelle il avait été projeté contre l'arbre. La douleur devenait en tout cas insupportable et il ne réussit à se maintenir assis que parce qu'il se soutenait contre un tronc. Lentement, Morgane se retourna, en tenant toujours la main de Farid qui suivit le mouvement. Lentement elle se retourna, lentement elle regarda dans la direction de l'inconscient qui venait de l'interrompre, lentement elle fit demi-tour et se rapprocha. Ses yeux étaient noirs de rage et de haine, ses yeux étaient ceux de la maîtresse de l'homme-loup, une tueuse. Elle avança encore un peu et se stoppa soudainement à une quinzaine de mètres. Elle n'eut besoin que de serrer un peu plus la main de Farid pour qu'il comprenne instantanément ce qu'elle désirait. Sans la lâcher, il poussa alors son hurlement guerrier si fort que des larmes s'accumulèrent dans les yeux du matricule 2319, qui reconnaissait là le cri qui avait précédé le massacre de ses camarades. L'homme-loup n'attendait plus qu'un signal pour aller exterminer cette créature qui osait déranger sa commandante. Morgane leva alors son bras qui tenait la main de Farid sans la lâcher, regardant toujours aussi froidement dans la direction du soldat, mais semblant ne pas le voir, et dit calmement et impersonnellement:
_"Tu vas mourir cette nuit..." Et elle abaissa son bras. 
L'homme-loup fondit immédiatement vers le mort en sursis et l’attrapa par la jambe pour le tirer vers lui et lui arracher la mâchoire quand il s’immobilisa soudainement.
_"Qu'est-ce que tu as senti? Vas!" Ordonna Morgane. Mais Farid ne bougea pas, alors qu'il avait parfaitement compris l'ordre de sa maîtresse. Il guettait les environs et attendait.
_"Qu'est-ce que tu as senti!?" Lui hurla-t-elle, recommençant à trembler et prête à exploser de rage. 
_"C'est moi! Daryl!" Entendit-elle dans sa colère. "Je suis avec Z... Chloé!" lui dit-il encore, après s'être fait pincer le bras par Zoé justement.
_"C'est moi Morgane!" Lança Zoé, ayant bien compris que la gamine 
n'était pas dans son état normal et qu'il était plus prudent de s'identifier tout de suite. La présence de Morgane mis à part et cet incroyable pouvoir qu'elle exerçait sur l'animain, tout ce que lui avait prédit Daryl et qu'elle appréhendait s'était produit. Tous les matricules sauf un, blessé, avaient leur corps éparpillés au sol et la scène macabre qui était laissée en spectacle suggérait l'horreur du massacre qui avait eu lieu. "On est venu pour emporter le cerf, tu te rappelles?" Lui demanda-t-elle, en espérant que cette diversion désamorcerait la folie meurtrière, visible, qui s'était emparée de sa jeune amie. 
Daryl et elle se trouvaient toujours à une cinquantaine de mètres mais ils s'étaient déplacés sur la butte, pour se montrer et pouvaient donc voir l'étendue du désastre, même si les pires détails leur échappaient encore. Cependant, il n'en restait pas moins vrai qu'une relation magnifique était née de ce terrible carnage et Zoé, malgré sa stupeur, en était admirative. Comment cela était-il tout simplement possible? S'étonnait-elle, pourtant aguerrie aux surprises. 
_"Vous pouvez venir!" Les invita Morgane. "Farid!" Exigea-t-elle sévère. Et sans qu'elle eut besoin d'en rajouter, l'homme-loup revint aussi vite que possible reprendre la main de sa maîtresse, devant les yeux écarquillés de Zoé qui était de plus en plus impressionnée. Ils se comprennent quasi instinctivement, c'est de la sorcellerie ma parole, se fit-elle comme réflexion. 
_"Je le savais! Je le savais! Je te l'avais dit, tu vois maintenant que j'avais raison. Hein Chloé?" La provoqua gentiment Daryl qui était sûrement aussi choqué que Morgane l'avait été quand elle avait vu les morts pour la première fois, mais qui voulait éviter de le montrer. Elle ne répondit rien. 
Il faisait tout son possible pour ne pas regarder au sol, mais ne retint pas sa curiosité bien longtemps. Quand il prit vraiment conscience de l'horreur indescriptible qui l'entourait, il ne put se retenir et se mit à vomir devant lui le peu qu'il lui restait dans l'estomac. Il ne s'en rendit pas compte, mais il venait de vomir sur le bras du matricule 1756. 
_"Vous m'avez sauvé la vie." Les remercia le matricule 2319. Il n'eut pas le temps de rajouter quoi que ce soit que Zoé l'avait déjà attrapé par le col de son uniforme militaire rougit par le sang. 
_"Ta gueule! Tu entends, ta gueule! Tu devrais être mort là, alors fermes ta gueule et nous emmerde pas! T'as compris enfoiré!" Lui hurla Zoé en le secouant si fort qu'il s'écroula de douleur. Elle se redressa, le regarda et lui cracha dessus. "Militaire de merde..." Le méprisa-t-elle. Elle lui décocha alors un violent coup de pied au visage qui l’assomma sur le coup.
Daryl n'en revenait pas, il regardait Zoé la bouche ouverte et les yeux écarquillés et incrédules au possible.
_"Ouah!..." Lâcha-t-il d'un seul souffle.  
_"Chloé!" S'exclama Morgane qui semblait ne la reconnaître que maintenant et qui, lâchant la main de Farid se précipita dans ses bras. Mais elle avait changée.
_"Morgane, ma puce..." Répondit Zoé en tombant à genoux et la serrant de toute son affection pour elle. "Qu'est-ce que tu fais là? Qu'est-ce qui s'est passé, ils ont essayé de te faire du mal?" 
_"Il faut que j'emmène Farid à la rivière pour le laver et le soigner." L'informa simplement Morgane en la regardant droit dans les yeux, triste mais déterminée et... distante, comme si une partie d'elle même s'était cachée et réfugiée au fond d'un trou.    
_"Farid est blessée?" S'inquiéta Chloé.
_"Oui, à la cuisse, regardes... Farid tu bouges pas!" Lui commanda-t-elle, ce qu'il fit. "Est-ce que tu veux que je lui demande de tuer le vilain homme que tu as frappé?" Demanda-t-elle à Zoé innocemment, mais impassible, montrant même une certaine sérénité. 
_"Nous n'avons plus beaucoup de temps pour le cerf." S’immisça Daryl d'une voix mêlant l'inquiétude et la stupéfaction. 
_"Non Morgane, je ne veux pas que tu demandes à Farid de tuer le soldat, mais demandes lui plutôt de le tirer jusqu'à la ruine, nous allons y installer notre campement et faire un feu. Daryl, prend des branches et enflammes les qu'on puisse y voir correctement, on s'en servira pour commencer le feu justement. Ensuite, je suis désolée Daryl, mais tu devras t'occuper seul du cerf, moi je vais rester avec Morgane et soigner son homme-loup. Ne t'inquiètes surtout pas pour nous, nous ne risquons rien, Morgane maîtrise l'homme-loup et moi la situation." Supervisa Zoé, seule adulte, afin de ne laisser aucune place à une quelconque discussion. 
_"Farid, ramasses le." Décida Morgane par pure gentillesse pour sa copine, tandis que Daryl, lui, allumait déjà des branches. Par chance, la ruine n'était pas loin et tout deux connaissaient le chemin pour l'atteindre. Ils avancèrent donc à la suite de Daryl qui éclairait la route, l'homme-loup portant le matricule sous son bras, comme il porterait un matelas roulé en boule, mais ne pesant rien.
Arrivés, Daryl installa des pierres en cercle assez large et prépara l'âtre. Il prépara également à la demande de Zoé une couche de fortune avec un maximum de feuilles, ce qui fut assez facile.
_"Demandes à Farid de le poser là s'il te plait." Dit Zoé à l'attention de Morgane, ce qu'elle accepta, et s'adressa de nouveau à Daryl:
_"J'ai encore une chose à te demander, mais il faut que tu en ai clairement la force."
_"Vas-y." Dit-il d'un ton ferme. 
_"Il faut que tu retournes fouiller les cadavres et ramènes toutes les armes et ce que tu pourras trouver d'utile, je te fais confiance." Réclama-t-elle en posant son sac et se sortant une cigarette. J'en ai bien besoin, pensa-t-elle en l'allumant.
_"J'y arriverai." Affirma Daryl.
_"Alors fait le plus vite possible. Non, attends! On va d'abord attacher les mains de cet enfoiré, comme ça, s'il reprend conscience quand on sera à la rivière, il ne nous posera pas de problème. Farid le sentira de toute façon. Sa vie ne tient vraiment plus qu'à un fil, un simple ordre de Morgane..." Elle était déjà dans l'analyse des événements et pensait tout haut, mais son pragmatisme reprit vite le dessus. "C'est bon, il ne pourra pas se libérer, dépêches toi maintenant, il va bientôt cesser de faire nuit. Il faut que tu ais terminé avant la levée du couvre feu, tu comprends?" Vérifia-t-elle par pure prudence.
_"Hé! Je suis un chasseur, ne l'oublis pas et je l'ai déjà fait plein de fois, t'inquiètes. Pour la fouille, ça ira aussi, j'y arriverais je t'ai dit." Et il fila vers le lieu du massacre. Zoé se tourna alors vers Morgane. 
_"Nous allons attendre Daryl avant d'aller à la rivière, d'accord?" Proposa Chloé.
_"Non Chloé, je veux qu'on s'en occupe maintenant." Exigea la môme.
_"Je vois... Et bien si tu veux, tu y vas devant et tu commences à le laver. Je te rejoindrai après ma cigarette." L'invita-t-elle.
_"Ça je veux bien. Farid viens." Et Morgane prit son animain par la main et partit vers la rivière sans que Zoé ait pu rajouter quoi que ce soit.
Elle s'assit et regarda, fascinée, Morgane et son homme-loup disparaître entre les arbres tout en expirant une taffe. "Quelle nuit!" S'exclama-t-elle. Tout en fumant sa cigarette, elle ne put s'empêcher de commencer à examiner le matricule 2319. Elle constata ainsi rapidement qu'il avait au moins huit côtes de cassées et le tibia péroné de la jambe droite brisés. Par chance, il n'y avait pas de fracture ouverte. Elle alimenta le feu et chercha si elle pouvait trouver des branches droite, dans l'intention de faire une atèle.
Daryl ne tarda pas à revenir, s'éclairant à l'aide d'une des lampes torches qu'il avait trouvé par terre et trois fusil sous le bras. Il avait, pour son âge, une force pas croyable. 
_"Déposes tout ça là." lui indiqua Zoé en montrant un coin non loin du feu.
_"Ou est Morgane?" Demanda-t-il tout en déposant les fusils et commençant à vider ses poches et son sac en bandoulière. Il sortit tous les revolvers ainsi que toutes les matraques. 
_"À la rivière. Elle voulait commencer à laver Farid sans attendre." Répondit Zoé tout en jetant son mégots dans le feu. Voilà du tabac que je ne récupérerai pas se dit-elle. "Qu'as-tu trouvé?"
_"Pas grand chose encore, il faut que j'y retourne. C'est un vrai massacre là-bas, tu peux pas savoir."
_"Oh si je peux, crois-moi. Tu es vraiment courageux." Le complimenta-t-elle pour l'encourager.
_"Je tiens ça de ma mère." Affirma-t-il avec un sourire avant de repartir en courant et toujours en utilisant la lampe torche, sa lampe à présent, son butin. 
C'était quand même bien plus pratique que sa lanterne artisanale, qu'il avait, du coup, laissée accrochée à une branche assez élevées au dessus des cadavres pour éclairer et indiquer l'endroit ou ils se trouvaient. De nouveau sur place, il regroupa les trois fusils restants et débuta la fouille méticuleuse des corps. Il récupéra ainsi, une sacoche militaire,  trois montres, deux gourdes pleine d'eau, toutes les autres lampes-torches, un couteau, un sachet d'herbe, un briquet Zippo, deux pommes, un paquet de feuilles à rouler, une chaîne avec un pendentif en forme de croix, des menottes, les munitions et un kit de secours. Zoé va être contente pensa-t-il alors. Il trouva également une carte magnétique sur le cadavre du commandant et un document qui lui sembla important mais qu'il ne prit pas le temps de lire.
Il rejoignit le campement et y déposa toutes ses trouvailles. Il repartit aussitôt s'occuper du cerf, n'emportant qu'une pomme et sa lampe-torche, laissant le soin à Zoé de gérer le reste. 
_"Merci!" Lui cria-t-elle quand même alors qu'il avait déjà disparu dans l'obscurité, ne permettant de deviner qu'un trait de lumière bien vite effacé. Elle fit rapidement le tri et rangea la carte et le document dans sa poche. Elle s'équipa, en plus de son propre sac, d'une gourde, une lampe, le kit de soins, un flingue et une paire de menottes qu'elle mit au soldat, en plus de ses liens, avant de rejoindre Morgane et Farid à la rivière.
(à suivre...)



Chapitre VI

DÉSERTIONS


Émilie avait fini par s'endormir, exténuée de fatigue et d'émotions intenses, assise sur une des chaises de la cuisine et les bras croisés sur la table, le visage posé dessus. Mais son sommeil était léger et agité. Elle devait rester en alerte...  
Elle fut réveillée en sursaut par un fracas assourdissant venu du grenier, qui la fit se redresser sur sa chaise si vite qu'elle manqua tomber à la renverse. Elle grimpa les escaliers quatre à quatre, complètement paniquée, manquant trébucher dans sa précipitation, et escalada l'échelle qui menait au grenier. Elle s'étonna que la trappe fut si lourde à soulever mais réussit tout de même à la faire basculer. 
Elle n'eut besoin que de hisser sa tête pour comprendre ce qui rendait si difficile son ouverture. Une des cuisses arrières du cerf était tout simplement tombée dessus. L'autre cuisseau gisait non loin. La lucarne était restée ouverte, mais elle ne vit ni son fils ni Zoé. "Ils n'ont pas de temps à perdre," se dit-elle, ignorant tout des événements qui s'étaient produits dans la forêt, "moi non plus..." s'encouragea-t-elle, encore ensommeillée. Et elle commença à tirer vers elle la cuisse qui bloquait le passage, par le sabot. Elle la fit choir sans trop de bruit aux pieds de l'échelle et la traîna ensuite jusqu'aux escaliers. Il n'était pas question de lui faire dévaler les marches, elle la prit donc dans ses bras, en la serrant contre sa poitrine au maximum et descendit, ainsi chargée, dans la cuisine. Elle devait faire le salage pour la conservation et ensuite l'accrocher à la poutre de la pièce ou dormait Nouna à poing fermé pour éviter d'attirer les rats, même si Daryl adorait les chasser.
Elle avait déjà salée et installée la première cuisse, sans réveiller leur protégée, et salait la seconde quand un nouveau fracas se fit entendre depuis le grenier. Émilie ne fut pas étonnée et n'essaya même pas de monter voir, elle se doutait bien de son origine. Malgré tout le danger que cela représentait, l'arrivée providentielle d'une telle quantité de nourriture lui avait redonnée le sourire et une certaine énergie. D'autant que s'ils ramenaient le cerf, cela voulait dire que tout se passait bien, enfin c'est ce qu'elle supposait. 
Le jour commençait à se lever, mais l'obscurité régnait toujours sous les arbres. Une légère brise l'accompagnait, faisant danser le brouillard des sous-bois et chanter les hautes branches. Daryl regarda au dessus de lui. Le manteau noir de la nuit devenait lentement bleu et s’apprêtait à saluer le soleil, effaçant une à une les étoiles et ne laissant scintiller que les plus brillantes, mais il faisait encore très sombre dans la forêt. Il ne lui restait plus que le corps du cerf à transporter jusqu'à chez lui, mais il lui était clairement impossible de le faire seul. Il décida donc de traîner la carcasse par la queue jusqu'au campement, pour voir avec Zoé ce qu'il serait possible de faire. Heureusement, il n'y avait pas une longue distance à parcourir. Il entendait des bruits venir de la rivière, mais il ne pouvait pas les identifier, d'autant qu'il faisait lui-même un certain vacarme à tirer le cerf sur des feuilles mortes. 
Il déposa son fardeau contre le mur le plus haut de la ruine et s'appliqua à réalimenter le feu. Il ne put que constater que le matricule 2319 était revenu à lui, car celui-ci l'interpella dès qu'il sentit sa présence.
_"Aidez-moi... S'il vous plait, aidez-moi..." Son souffle était court et il marmonnait plus qu'il ne parlait, cherchant Daryl sans vraiment le voir à travers les flammes. 
_"Taisez-vous. Vraiment, monsieur, je vous conseille de ne pas faire de bruit." Lui demanda Daryl alors que le matricule essayait de se redresser.
_"Est-ce que... vous pourriez juste... me donner un peu d'eau?... s'il vous plait... j'ai soif..." Supplia le soldat.
_"D'accord, mais ne faite plus de bruit maintenant." Consentit le jeune chasseur.     
Daryl prit alors la gourde restante et s'approcha du blessé. Il l'aida, non sans difficultés, à maintenir sa tête droite et porta la gourde à sa bouche. Le troufion réussit à boire légèrement avant de se mettre à tousser. Il se rallongea. 
_"Merci... Mais?!... Je vous reconnais!" L'apostropha-t-il. "Vous êtes le jeune-homme qui nous avez envoyés ici... Vous saviez pour l'animain n'est-ce pas?..." Affirma-t-il. Son visage était ridé de douleur.
Daryl se releva sans répondre et fit le tour du feu pour ne pas être vu. Il saisit une des matraques qu'il avait rapportées et retourna d'un pas décidé vers le militaire qui répétait en murmurant:
_"Vous le saviez, vous le saviez, vous le saviez..." marmonnait-il. 
Il lui asséna alors un coup violent derrière la tête qui l’assomma sur le coup et lui ouvrit le cuir chevelu à tel point qu'il se mit à saigner abondamment.
_"Je t'avais dit de taire enfoiré!..." Le méprisa-t-il tout en jetant la matraque non loin. 
Il sortit alors de son sac le couteau qu'il avait trouvé pendant sa fouille et alla se couper une tranche de viande de cerf au niveau des côtes de l'animal. Il la déposa ensuite sur une pierre plate qu'il avait nettoyée au préalable et l'installa le plus près possible des braises, de telle façon à la faire cuire. Il avait faim et la pomme ne lui avait pas suffi. Il faut dire qu'il n'avait presque rien avalé de son assiette de riz à l'écureuil, pourtant délicieuse, quand il avait mangé avec sa mère, trop inquiet pour Nouna, et qu'il avait tout dégueulé sur un bras militaire devant le résultat du combat. 
Une bonne odeur de viande en train de cuire envahit le campement. Il faisait de plus en plus jour, mais il n'était plus aussi pressé et voulait se reposer un peu. La nuit avait été particulièrement longue et il n'en avait jamais vécu de pareille durant sa jeune existence. Néanmoins, il se sentait détendu, fatigué, mais serein. Il n'était pourtant pas au bout de ses surprises.
Alors qu'elle arrivait aux abords de la rivière, Zoé ne put s'empêcher de rire en entendant Morgane se démener pour faire entrer Farid dans l'eau. 
-"Je crois que tu n'y arriveras jamais comme ça ma puce." l'avisa-t-elle tout en déposant les affaires qu'elle avait emmenées avec elle et toujours le sourire aux lèvres.
_"Allez, vas-y! C'est facile, rentres! Rentres dans l'eau!" Ordonnait Morgane en faisant des gestes vers la rivière avec les deux bras. Contrairement à son homme-loup, elle n'avait pas perçu l'arrivée de sa copine. C'est d'ailleurs le changement d'attitude de Farid qui lui fit tourner la tête. 
_"Chloé!" S'exclama-t-elle. "Farid ne veut pas rentrer dans l'eau, il m'énerve!" Ajouta-t-elle, pour le moins agacée, en montrant son animain avec dépit. Farid ne bougeait pas, mais il était fébrile et, pour la première fois, elle lisait de la peur dans ses yeux.
_"Je crois que nous n'allons pas avoir le choix que de prendre un bain." Répondit Zoé à l'agacement de Morgane.
_"Tu veux qu'on se baigne aussi?! Chouette!!! Mais je reste ou j'ai pied." S'enthousiasma, prudente, Morgane. 
Zoé s'étonnait que sa jeune copine agisse comme si rien ne s'était passé, ou plutôt comme si elle n'avait rien vu de ce qu'avait fait Farid. Elle essayait de mesurer l'importance du traumatisme subi, consciente des changements dans le comportement de la gamine, mais elle fut bien vite sortie de ses réflexions par un spectacle étonnant.
Morgane avait soigneusement mis ses vêtements à l'abris et s'apprêtait à pénétrer en culotte dans l'eau de la rivière. Au fur et à mesure qu'elle avançait, prudemment, Farid la suivait. Ils se retrouvèrent bientôt tous les deux de l'eau jusqu'à la taille pour Morgane et à peine les cuisses pour Farid, toujours accroupi quand il était avec sa maîtresse. Morgane commença à éclabousser la blessure se son homme-loup qui se laissa faire, non sans grognement.
_"Tu avais raison, ça marche! Je vais pouvoir le laver!" Apprécia-t-elle. "Mais tu viens aussi, d'accord?" S'enquerra-t-elle quand même en regardant Chloé avec cette supplication infantile contre laquelle les adultes ont tant de mal à résister.
_"L'eau n'est pas trop froide?" S'inquiéta Zoé. 
_"Bien-sûre que non! Allez, viens!" La rassura Morgane en insistant.
Zoé se déshabilla entièrement et laissa ses vêtements à côté de ceux de Morgane avant de pénétrer elle aussi dans l'eau, complètement nue.
_"Pourquoi tu t'es mise toute nue?" Lui demanda Morgane innocemment, un peu étonnée mais pas choquée. 
_"Tu me vois retournant chez moi les fesses toutes mouillées à travers mon pantalon? Je te rappelle que nous n'avons pas de serviette et que nous n'avons pas non plus le temps de nous laisser sécher tranquillement au soleil. Je te rappelles également que nous avons encore à soigner Farid."
_"Tu as raison!" S’exclama Morgane qui, ni une ni deux, retira aussi sa culotte, déjà trempée, mais ce n'était pas grave, et la jeta en direction du paquet de vêtements.
_"Raté..." Dit-elle.
_"Pourquoi raté?" Demanda Chloé.
_"Je visais la branche au dessus pour que ma culotte commence à sécher, mais j'ai pas lancé assez fort." Regretta Morgane.
_"Attends, je vais aller l'étendre, continue d'arroser la cuisse de ton animain pour la nettoyer et montre lui comment se frotter." Lui recommanda Zoé. 
_"Il s'appelle Farid." La reprit la propriétaire de la bête.
_"Pardon, de Farid..." S'excusa alors sa grande copine.
Zoé sortit de l'eau, les tétons tendues par la fraîcheur soudaine, et alla essorer et étendre la culotte de Morgane à la branche aussi vite qu'elle le pouvait. Absolument pas gênée par sa nudité, elle rejoignit son amie, qui éclaboussait copieusement son homme-loup, en plongeant presque dans la rivière. Farid devait trouver ça amusant, car il se mit, lui aussi, mimant sa maîtresse dans les gestes, à l'arroser. Tant et si bien que tout cela finit en bataille d'eau entre les trois. C'est à ce moment là que Daryl arriva pour leur proposer de leur faire cuire du cerf. Son trouble fut total, surtout quand il entrevit entre les éclaboussures, bien malgré lui, la parfaite beauté du corps nu de Zoé.
_"Heu... Chloé?! C'est Daryl!" Cria-t-il suffisamment fort pour être entendu. Il n'avait, sur le coup, rien trouvé d'autre à dire pour annoncer sa présence. 


Zoé et Morgane s'accroupirent dans l'eau en joignant leurs bras contre leur poitrine, plus par réflexe que par honte ou par pudeur, tandis que Farid bondit hors de la rivière pour se secouer. Sa plaie était à présent bien propre et il n'avait plus de sang des matricules dégoulinant sur le corps. Daryl, lui, avait tourner la tête et regardait les arbres en direction de la ruine.
_"Je voulais vous proposer de vous faire cuire du cerf!"  Lança-t-il aux branches, mais à l'attention des baigneuses. 
_"Bonne idée, en plus j'ai faim!" s'exclama Zoé. "Tu n'aurais pas quelque chose qui pourrait servir pour nous essuyer par hasard?" Se renseigna-t-elle par simple curiosité.
_"Bah... J'ai mon vieux chiffon, mais il n'est pas très propre et pas très grand." Proposa-t-il.
_"On fera avec, tu peux nous l'apporter s'il te plait, tu n'auras qu'à le jeter vers nos fringues!" L'exhorta Zoé, qui, profitant d'être accroupie tranquille dans la fraîche rivière, se mit à faire pipi.
_"J'y vais..." L'informa-t-il en s'élançant vers le camp.
_"Dépêches toi! Il commence à faire froid dans l'eau." Le pria-t-elle.
_"Merci Daryl!" Lui hurla Morgane alors qu'il était déjà parti. Elle ne pensait plus à ce qu'elle avait vu et resplendissait la bonne humeur. Zoé en était ravie et espérait que cela dure le plus longtemps possible.
_"Pas de problème!" Lui rendit-il au loin.
Il ne tarda pas à revenir, lança le torchon comme convenu et repartit aussitôt pour le campement s'occuper de faire cuir deux autres tranches de cerf. La sienne était prête, mais il attendrait pour la manger. Le matricule 2319 était toujours en vie et assommé.
Zoé sortit la première et se secoua à la manière de Farid pour sécher plus vite. Elle alla prendre le torchon et appela Morgane:
_"Viens, je vais t'essuyer."
Morgane s'exécuta. Zoé commença à lui essuyer le dos et descendit ainsi jusqu'au pied. Elle lui tendit ensuite cette serviette de fortune pour qu'elle en fasse autant devant. Le torchon était déjà bien humide, mais il fit l'affaire.
_"Ta culotte est encore un peu mouillée, mais ça devrait aller." Lui dit-elle en récupérant le torchon et tâchant de s'essuyer aussi avec. Elle aida Morgane à se rhabiller avant de s'occuper d'enfiler ses vêtements. Farid les regardait faire, l'air intrigué devant un tel comportement. Il faut dire que c'était la première fois qu'il voyait quelqu'un s'habiller.
_"Morgane ma puce..."
_"Oui Chloé?"
_"Il faut que tu rentres chez toi tout de suite avant que ta fugue soit signalée et que tous les militaires de la caserne soient rameutés pour te retrouver." Ne lui laissa pas le choix Chloé.
_"Mais..." Voulut discuter la môme.
_"Écoutes, je te promet de soigner la cuisse de Farid, je m'y connais tu sais et puis il y a Daryl et on va même pouvoir lui donner du cerf à manger. D'accord?" La coupa son amie.
_"Non, pas d'accord, je veux rester avec vous, servir à quelque chose." Insista Morgane, capricieuse.
_"Mais ce que tu as fait est déjà magnifique ma puce, tu as réussi à calmer Farid, à l'apprivoiser un peu plus et tu as sauvé une vie." La félicita Chloé. "Crois moi, c'est extraordinaire et ça nous a beaucoup aidés. Et je ne dis pas ça pour te faire plaisir mais parce que je le pense. Et puis, réfléchis, si tous les couillons de militaires du coin se pointent dans la forêt, on aura tous de gros ennuis, tu crois pas? À commencer par Farid." La raisonna-t-elle enfin, en feignant la reconnaissance.
Morgane se jeta alors dans les bras de Zoé et la serra par le coup en lui déclarant avec plein d'affection:
_"Je t'aime Chloé."
_"Oh! ma puce..." répondit Zoé, qui, regardant Morgane dans les yeux en lui replaçant quelques mèches de cheveux ajouta: "Mais moi aussi je t'aime très fort." Et elles se serrèrent de nouveau dans les bras avec toute la tendresse de l'amitié et un profond respect.
_"Il est temps que tu y ailles maintenant..." L'enjoignit Zoé avec émotion. 
_"Je sais, j'y vais, le temps de dire au revoir à Farid." Répondit Morgane.
_"Vas." L'autorisa-t-elle.
Morgane ne tarda pas à revenir en tenant son homme-loup par la main. Elle la déposa dans la main de Zoé, toujours aussi incrédule quand il s'agissait de la relation entre eux deux, et lui dit très simplement:
_"Il va t'écouter, ne t'inquiète pas. On se revoit quand?" S'inquiéta-t-elle.
_"Je ne sais pas encore, demain au plus tard, tu veux bien?" Lui promit Chloé.
Morgane la regarda d'un air approbatif et, sans crier garde, bondit vers la forêt dans la direction du gros chêne et commença à se faufiler entre les arbres. Farid se mit à gémir, ayant compris avant Zoé que sa maîtresse partait. Zoé eut juste le réflexe de lever le bras pour dire au revoir que la gamine était déjà hors de vue.
_"T'inquiètes pas, j'inventerais une histoire, ils me croient toujours!!" Lui hurla Morgane pour la rassurer et parce que, très intelligente, elle avait anticipé les recommandations éventuelles de sa copine. "Au revoir!" Lui cria-t-elle au loin.
_"Au revoir ma puce!" Lui renvoya Zoé qui restait inquiète malgré tout et très vigilante. Elle s'adressa alors à l'homme-loup: "Bon, à nous deux maintenant, mais on va aller près du feu et rejoindre Daryl, j'ai froid et j'ai faim." L'informa-t-elle sans s'attendre à être comprise, plus pour remplir le vide soudain que Morgane et sa spontanéité laissait derrière elle qu'autre chose.  
Elle récupéra toutes les affaires qu'elle avait apportées pour rien et prit la main de Farid qui ne broncha pas.
_"Allez, c'est parti." Enjoignit-elle, plus pour se motiver elle-même que pour prévenir Farid.
C'est ainsi que le couple le plus improbable que l'on puisse imaginer rencontrer quitta la rivière. Vu de dos, il s'agissait là d'un tableau invraisemblable, d'une rare originalité. Un homme-loup de plus de deux mètres et presqu'aussi large que le tronc du vieux chêne, fait uniquement de muscles tendus, saillants et entièrement nu, tenant, comme un petit enfant obéissant, la main d'une jeune femme, pourtant relativement grande et élancée, mais ressemblant à une brindille à côté, qui dirigeait le mouvement et les opérations d'un pas décidé. C'est dans cette configuration qu'ils arrivèrent au campement. Daryl fut presque soulagé de revoir Zoé habillée et comprit, sans qu'il ait eu besoin qu'on le lui dise, que Morgane était rentrée chez elle. 
Quand Farid sentit que le militaire était encore vivant, il lâcha aussitôt la main de Zoé et vint se poster juste au dessus, grognant et menaçant, près à terminer le travail morbide qu'il avait commencé. 
_"Daryl, appelle-le s'il te plait, il va le tuer!" S'exclama Zoé, prise au dépourvu, en le pressant d'un mouvement de bras. 
_"Farid, Non, viens là!" Ordonna-t-il immédiatement. "Viens, regardes, j'ai de la bonne viande pour toi." L'attira-t-il en lui montrant sa tranche de cerf cuite. 
Farid, qui avait stoppé son geste visant à égorgé le soldat, regarda Daryl un instant, comme s'il réfléchissait et décida de venir vers lui, laissant tranquille sa proie. Et, pour la première fois de sa vie, il goutta à de la viande cuite, que lui avait préparé son partenaire de chasse et chef de meute. Assez dubitatif au départ, regardant et reniflant le morceau de viande, il le porta finalement à sa gueule et en déchira une partie qu'il engloutit. Son visage se transforma et il dévora le reste de sa tranche. L'espèce de danse qu'il fit alors en regardant les deux autres tranches et les sons qu'il essayait de produire étaient clairement destinés à faire comprendre à Daryl qu'il en voulait encore, ce que celui-ci comprit d'ailleurs.
_"Il va falloir que tu attendes un peu, c'est pas encore prêt." Lui dit-il amusé. 
_"Je vais en profiter pour essayer de le soigner, tu vas m'aider, il ne faut surtout pas qu'il bouge pendant que j'opère, tu vois ce que je veux dire?" Le commanda Zoé.
_"D'accord, mais comment tu veux qu'on fasse?" Interrogea-t-il. 
_"J'avoue que j'en sais rien, il faudrait qu'il s'allonge sur le côté droit et qu'ensuite il se laisse faire, tu vois le coup?" Estima-t-elle en évaluant les possibilités et vérifiant que Daryl la suivait toujours.
_"Ce serait plus facile avec Morgane." Lâcha-t-il sans vraiment réfléchir, ce qui lui valut de recevoir un regard réprobateur.
_"Je lui ai promis que je soignerais son homme-loup et je vais le faire sans son aide, c'est clair?" Déclara-t-elle. 
_"J'ai une idée!" S'exclama-t-il soudain comme pour détendre l'atmosphère.
_"Farid, mets toi comme ça! Regardes, fais pareil!" Il S'allongea sur le côté droit, joignant le geste à la parole.
_"Tu crois que ça va marcher?" Douta-t-elle.
_"Attends... Regardes" Et s'adressant de nouveau à Farid il insista: "Allez, mets toi comme moi."
Contre toute les attentes de Zoé, Farid finit par s'allonger comme Daryl le lui demandait.
_"C'est un truc que je lui ai appris pendant qu'on chassait, faire le mort." Et, pour le récompenser, il lui donna une autre tranche de cerf, à moitié cuite, mais qui fit le régal de Farid, une fois qu'il comprit qu'il fallait laisser refroidir un peu avant de tout avaler. Il apprenait à attendre grâce à la nourriture, à obéir aussi. 
_"Bon, je vais essayer de désinfecter les plaies, fais en sorte qu'il bouge le moins possible."
Zoé prit le désinfectant du kit de secours des militaires et toutes les compresses qu'il contenait.
_"Tiens le par les épaules de tout ton poids, et rassures-le autant que tu pourras, OK?" Lui demanda-t-elle.
_"OK!" Répondit-il, près.
_"J'y vais alors." Et elle versa du désinfectant sur les deux plaies.
Farid se mit à hurler mais, contre toute attente, ne bougea pas. Morgane me l'avait pourtant dit qu'il m'écouterait, pensa-t-elle alors, se demandant à qui Farid obéissait finalement. Elle put ainsi désinfecter sans difficulté les deux ouvertures et, encore une fois mais sans boumda pour l'anesthésie, décida de les recoudre, ne sachant absolument pas si les sutures allaient tenir avec une telle... bête. Farid grogna au possible mais ne chercha pas à se débattre, tant et si bien qu'elle termina de le recoudre assez rapidement, en tout cas suffisamment pour que Daryl déclare que la dernière tranche de cerf était cuite. Il l'offrit évidemment à Farid pour le récompenser de nouveau. Cette fois-ci, par prudence, il alla dévorer sa récompense en se perchant sur le mur au dessus de la carcasse du cerf comme s'il n'avait aucune blessure. 
_"Il faut encore que je lui fasse un bandage si je veux que ça tienne. Je crois que tu vas devoir recouper des steaks de cerf. En plus j'ai faim." Rappela-t-elle.
_"Moi aussi! Je lui ai donné tout ce que j'avais mis à cuire. Appelles-le que je puisse découper le cerf tranquillement, sans qu'il me gêne, tu pourras peut-être lui faire son bandage." suggéra Daryl.
_"Je vais essayer... Quand je penses que tout ça arrive parce que je voulais cueillir des champignons." Eut-elle comme réflexion.
_"De quoi?"
_"Laisses, je pensais tout haut. Farid viens là!" Exigea-t-elle de la même façon que Morgane, sans trop de conviction. À peine eut-elle le temps de prendre le bandage que l'animain était déjà à ses pieds, allongé à la manière que lui avait montrer Daryl. Zoé, aussi impressionnée que surprise, ne put s'empêcher de rire.
_"Hé bien, ç'aura été plus simple que je ne l'aurais imaginé." S'amusa-t-elle. Elle lui fit rapidement son bandage et Farid retourna sur le mur, près de Daryl qui finissait de découper et nettoyer trois beau morceau de cerf, surveiller l'épaisseur des tranches, probablement. Il avait vraiment pris goût à la viande cuite et c'était, indépendamment du contexte, une évolution exceptionnelle. Un beau bandage encore blanc à la cuisse, il suivit Daryl jusqu'au feu et observa attentivement comment il mettait les tranches à cuire. La pierre que Daryl avait trouvée ne lui permettait que de mettre un morceau à la fois, mais il avait prévu le coup et jeta un bout de lard de cerf à Farid, qui le saisit au vol, pour le faire patienter.
_"C'est malin." Le complimenta Zoé qui venait de s'asseoir près du feu.
_"Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de cet enfoiré?" Demanda-t-elle en montrant le matricule 2319, allongé et assommé de l'autre côté du feu, d'un signe de tête. 
_"On a qu'à demander à Farid de s'en occuper." Proposa Daryl.
_"Daryl enfin... ça ferait de nous des criminels. Et il n'est pas question qu'on utilise l'animain de Morgane pour nous débarrasser d'un problème. Je te rappelle que nous avons déjà cinq militaires morts à faire disparaître, c'est peut-être pas la peine d'en rajouter un sixième, tu ne crois pas?" Le reprit-elle un peu décontenancée mais amusée aussi.
_"Si, tu as raison, alors il faut l'amener chez moi... Comme pour Nouna, et le soigner. Mais comment faire?" Concéda-t-il. 
_"C'est en effet toute la question, je suis d'accord avec toi cette fois. Il faut le réveiller. Vas-y, verses lui un peu d'eau sur le visage et n'hésites pas à lui coller quelques baffes s'il faut." Le motiva-t-elle.
Daryl eut un large sourire et fit ce que Zoé lui avait suggéré. Deux claques suffirent, en plus de l'eau, à réveiller le matricule blessé. Elle se leva alors et eut un mouvement d'étonnement quand elle vit que Farid était déjà accroupi à ses pieds, sans qu'elle est pu le sentir venir.
_"C'est sa spécialité." S'amusa Daryl. "Là, ça veut dire  qu'il fera tout ce que tu lui demandes." Ajouta-t-il.
_"Je sais. C'est Morgane qui lui a dit de m'obéir et il l'écoute, malgré la viande qui cuit et le fait qu'elle ne soit plus là. Il se rappelle de l'ordre qu'elle lui a donné, j'en reviens pas." Lui répondit-elle, abasourdie.    
_"Ne me tuez pas... Je vous en prie..." Furent les premiers mots que prononcèrent leur prisonnier, alors qu'il reprenait à peine ses esprits. Farid se mit aussitôt à grogner et Zoé dut le retenir d'un geste de la main pour éviter qu'il ne fonde sur lui et l'éventre. 
_"Tu crois qu'on t'a réveillé pour te tuer sombre idiot?! Nous avons des questions à te poser d'abord et en fonction de tes réponses, je déciderai si tu mérites de vivre ou pas." Réagit Zoé d'un ton cinglant. 
_"Mais qu'est-ce qu'ils font bonne terre, qu'est-ce qui a bien pu leur arriver? Il fait déjà presque jour et toujours pas de nouvelle..." Se demandait Émilie en regardant la luminosité du soleil s'accroître par la fenêtre de la cuisine. Elle avait terminé de saler et d'accrocher tous les morceaux qu'avait jetés son fils par la lucarne du grenier et savait bien qu'il manquait la plus grosse partie de l'animal. "Ils attendent sûrement la levée du couvre-feu". Tâcha-t-elle de se rassurer, mais elle se doutait que leur absence signifiait que quelque chose s'était produit entre les matricules et l'homme-loup dont Daryl avait assuré la présence dans la forêt. "Qu'est-ce qui a bien pu se passer?" S'angoissait-elle, supportant de moins en moins d'être dans l'expectative et de devoir attendre avec une blessée braconnière au sous-sol. Non pas qu'elle ne la trouvait pas charmante, mais c'était clairement un danger, même plus, un vrai désastre potentiel. Et pourtant, elle décida d'aller voir si cette si belle et fragile jeune-fille allait bien. "Je vais en profiter pour changer la bougie." Se dit-elle en en prenant une neuve dans un des tiroirs de son buffet.
Aszouna dormait toujours aussi profondément que quand elle avait attaché la dernière patte à la poutre. Elle n'avait même pas touché au verre d'eau que lui avait servie Zoé après avoir fini de la soigner. Émilie changea la bougie et s'assit un instant pour la regarder dormir. "Tu as du traverser bien des épreuves pour te retrouver ici." Se dit-elle, pleine de compassion.
_"Maman? T'es là?" L'appela soudainement Daryl depuis la cuisine. Elle ne l'avait pas entendu descendre et encore moins jeter de nouveaux morceaux de viande, ce qui voulait dire qu'ils avaient du rencontrer des difficultés.  Elle ne répondit que quand elle fut au bas des escaliers.
_"Je suis en bas." Indiqua-t-elle seulement. "Je monte, ne fais pas de bruit, Nouna dort toujours." L'informa-t-elle.
_"Elle va bien?" S'enquerra-t-il quand sa mère arriva dans la cuisine.
_"Oui. Mais que faisiez-vous bonne terre?! Je n'en pouvait plus d'attendre." Le pressa-t-elle avec réprobation. 
_"Ce serait trop long à t'expliquer et je n'ai pas beaucoup de temps, il faut que je sois reparti avant que les sirènes sonnent. Je suis venu prendre notre pelle, ma hache et ma machette. J'en ai besoin pour débiter le corps du cerf." Lui exposa-t-il pour réponse.
_"Et la pelle, c'est pour quoi?" Interrogea Émilie qui n'avait pas oublié ce détail.
_"Ça, c'est pour... creuser... un trou." Balbutia-t-il. 
_"Ça je m'en doute, ou est Zoé?" Continua de s'informer sa mère.
_"Encore dans la forêt, elle m'attend avec... Farid, tu sais, l'homme-loup." Il ne lui parla volontairement pas du matricule encore en vie.
_"Le trou, c'est pour quoi faire?" Insista-t-elle, mais elle avait trop peur de connaître la réponse.
_"Maman, j'ai vraiment pas le temps de t'expliquer et en plus tu vas t'inquiéter." S'impatienta son fils. 
_"J'ai bien peur d'avoir compris, au contraire. Bon, fais vite alors, on en reparlera tout à l'heure." Céda-t-elle, relativement déconcertée.
Daryl ne répondit rien et alla dans leur petite arrière cours prendre la pelle, s'équipa ensuite de son sac de chasse ou il rajouta simplement la machette et remonta au grenier.
_"J'y retourne." Dit-il simplement à sa mère en l'embrassant, avant de grimper à l'échelle.
_"Sois vraiment très prudent s'il te plait." Eut-elle juste le temps de lui glisser avant qu'il ne disparaisse de nouveau par la lucarne. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire pour m'occuper et éviter de trop penser? Se demanda-t-elle déjà pleines d'inquiétudes et désormais sûre que son fils avait dit la vérité concernant l'animain et ce qu'il était capable de faire. Qu'est-ce qui a bien pu se passer? Qu'est-ce qui a bien pu arriver à ces militaires? Et comment va Zoé? Tant de questions se bousculaient dans sa tête, il fallait absolument qu'elle trouve quelque chose à faire. Mais son esprit était tellement encombré qu'elle avait du mal à réfléchir. Elle en venait presque à espérer que Nouna se réveille. Finalement, elle décida de cuisiner la perdrix pour Zoé. Elle savait que ça l'occuperait un bon moment et espérait, ainsi, éviter de trop s'angoisser inutilement, dans la mesure ou elle ne pouvait rien faire pour changer la situation dans laquelle ils se trouvaient. Mais, elle devait bien avouer que, malgré cette peur qui la taraudait, tout ces événements la sortait de l'affligeant marasme de ses journées. Au milieu de ses appréhensions, elle ne pouvait s'empêcher de se sentir excitée, presque heureuse. Elle avait le sentiment de déserter son quotidien et ça lui plaisait. Et puis, elle avait contribué à sauver une vie et elle s'en sentait combler. La mère terre lui confiait un de ses trésors à protéger et elle ferait preuve de courage pour ne pas faillir à sa mission. Sa croyance était profonde et, de toute façon, elle était ravie d'avoir Nouna chez elle. 
Elle venait à peine de finir de déplumer la volaille que les sirènes du village indiquant la levée du couvre-feu retentirent, réveillant Aszouna du même coup...
_"Daryl, tu vas m'aider à l'asseoir, ensuite tu iras le plus vite possible chez toi prendre une pelle pour qu'on enterre les cadavres quelques parts ou on ne les trouvera pas. J'espère que tu connais un endroit, sinon ce sera sur place. Il faut que tu sois revenu avant la fin du couvre-feu, compris?" Réclama Zoé, directive et concentrée. 
_"Je t'entend, j'en profiterai pour prendre de quoi débiter le cerf." Convint-il.
Il aida Zoé à redresser le matricule 2319 et à l'adosser contre l'arbre le plus près du feu comme elle le lui avait demandé et s'éclipsa sans tarder.
_"Bien, tu m'écoutes là?" Demanda Zoé au blessé. Sa question était plus un ordre qu'une vérification.
_"Oui... Que voulez-vous savoir?" Son visage était toujours crispé de douleur.
_"Tiens, d'abord bois un peu, ensuite je t'expliquerai ce qui va ce passer pour toi." Elle porta la gourde d'eau à ses lèvres et l'aida à boire. 
_"Bon, comme je te l'ai dit, je vais te poser quelques questions, et en fonction de tes réponses, et je saurais si tu me ment, sois tu mourras dévoré par mon homme-loup, Farid! viens." Il s'exécuta aussitôt. "Sois je te donnerai à manger et je te sauverai la vie. Tu m'as bien comprise enfoiré?!" Lui expliqua-t-elle avant de l'invectiver. 
_"Vous savez... Je suis déjà mort pour l'armée..." Soupira-t-il.
_"Justement, c'était ma première question. Combien de temps avant qu'ils lancent des recherches pour vous retrouver?" Le cuisina-t-elle.
_"La procédure veut que... ce soit au bout de 24 heures pleines... mais avec la journée du troc demain... il est possible qu'ils repoussent à 48 heures... Mais ils m'exécuteront s'il me retrouve vivant..." Commença-t-il à expliquer.
_"Pourquoi dis-tu cela?" Le coupa-t-elle interdite.
_"Toute mon escouade a été décimée... et je n'ai pas réussi à éliminer la menace... ils m'exécuteront pour l'exemple... Ils auraient exécuté le commandant en premier s'il était encore en vie... mais là..." Continua-t-il à répondre.
_"J'ai du mal à piger, de quel exemple parles-tu?" Le coupa-t-elle de nouveau.
_"Pour montrer aux jeunes matricules que l'échec n'est pas admis... ça fait partie de la préparation... Ils exécutent les perdants..." Expliqua-t-il alors.
_"Ou ça?" S'inquiéta-t-elle en le coupant de nouveau ou, en lui laissant reprendre son souffle.
_"Ici, pas très loin de la forêt... Au centre des jeunes matricules..." Lui signifia-t-il enfin.
Zoé eut une sueur froide tout d'un coup, car il ne faisait plus aucun doute que ce couillon disait la vérité. Ce qu'elle avait pris pour un centre de vacances étaient en fait une caserne pour enfants, un centre d'endoctrinement militaire. 
_"Mais ils vous forment à partir de quel âge?" L'interrogea-t-elle, mais avec un ton nettement plus compatissant et moins sévère. Elle restait méfiante et sur ses gardes, mais son instinct lui disait qu'elle pouvait avoir confiance. 
_"Dès la naissance la plupart du temps... Parfois il y en a de deux ans qui arrivent... Nos ordres sont toujours de ne pas dépasser cet âge..." Expliqua 2319.
_"Vos ordres?!" Là Zoé était au bord de la colère, ayant trop peur de deviner la réponse.
_"On saisit systématiquement tous les troisièmes enfant de chaque couple... Certains même le monnayent avec l'armée... Je l'ai déjà vu faire... Contre des coupons de nourriture... Sinon nous avons des ordres de saisies chez les braconniers... Il y a régulièrement des expéditions vous savez..." Décrit-il. 
_"Non, j'ignorais tout de cette ignominie. Vous me dégouttez de plus en plus, vous et votre dictature de merde infâme." L'invectiva-t-elle.
_"Je ne suis plus militaire depuis que mon commandant est mort... Je ne suis même pas sûre que tuer l'homme-loup... aurait sauvé ma peau... Je suis un déserteur à présent... Je vous en prie, vous devez me croire... Je suis avec vous... Je veux dire de votre côté..." Déclara-t-il avec beaucoup de gravité dans la voix et un ton sincère.
_"Je te crois. Mais pour ce qui est de te compter parmi nous, il va falloir que tu le mérites et... que tu sois réparé." Elle eut un léger sourire.
_"Je crois que la première chose à faire en tant que déserteur, c'est te choisir un nom." Lui suggéra-t-elle presque comme un ordre.
_"Un nom, mais... je n'ai pas de nom..." Hésita le matricule.
_"C'est pour ça qu'il faut que tu t'en trouves un, un qui te plaise... tu comprends?" L'exhorta-t-elle avec plus d'insistance encore dans le ton.
_"Oui, mais je ne sais pas quoi..."
Le matricule 2319 était clairement ému et avait du mal à trouver ses mots. C'était la première fois qu'on le considérait comme une personne et il avait fallu qu'un animain manque de le tuer pour que ça arrive. Il avait fallu que cinq de ses camarades meurent et qu'il devienne déserteur. Mais cela ne lui importait plus à présent, il était enfin quelqu'un. 
C'est sur ces entrefaites que Daryl apparut d'entre les arbres, chargé de la pelle et de ses sacs contenant ses instruments de découpe. Cela ne manqua pas de faire réagir Farid qui, après lui avoir fait une courte fête, alla immédiatement se positionner au dessus du cerf. Il y avait là clairement un message et Daryl l'avait bien compris. 
_"Tu re-voudras une tranche?" Demanda-t-il à Zoé alors qu'il s'apprêtait à découper la viande.
_"Avec plaisir, coupes en au moins trois, je vais lui donner à manger aussi." Dit-elle en faisant un signe de tête vers le matricule.
_"D'accord pour quatre morceaux alors." Répondit Daryl, relativement enthousiaste.
Il faisait à présent complètement jour et ils ne tardèrent pas à entendre la levée du couvre-feu sonner au loin. 
_"Ils n'ont pas encore remarqué notre absence..." Informa le militaire. "Après, de toute manière, ils attendront au moins 24 heures..."
_"Bonne nouvelle." Apprécia Zoé. "Pendant que tu te cherches un prénom, je vais te faire une atèle, ta jambe est cassée, mais par chance les fractures semblent nettes. Ça va être extrêmement douloureux mais après, ta jambe ne bougera plus et tu te sentiras mieux." L'informa-t-elle en se voulant rassurante.
-"Vous êtes médecin?" S'enquerra le matricule.
-"Oui. Tu as aussi au moins huit côtes de cassées, mais là on ne peut malheureusement pas faire grand chose. Je tacherais de te faire quand même un bandage pour te maintenir la poitrine." Répondit-elle, distante, comme de nouveau perdue dans ses pensées.
_"Tu le soignes finalement?" Remarqua Daryl, l'en sortant.
_"Oui, il est honnête et il déserte l'armée. Si tu savais ce qu'il m'a appris,  c'est affreux, mais on en parlera plus tard, on va avoir un gros trou à creuser." Lui apprit-elle avant de lui rappeler leur urgence du moment. 
_"Je sais." Assura-t-il froidement. 
_"En attendant, pendant que les tranches cuisent et si tu veux, tu peux nous aider à chercher un prénom pour l'ancien soldat que je te présente." Dit-elle en tâchant d'égayer un peu l'ambiance. 
_"Du con, ça lui irait bien..." Proposa Daryl avec un large sourire, visiblement plus détendu.
Malgré ses côtes brisées, le matricule 2319 ne put s'empêcher de rire. Il goûtait à un plaisir simple qu'il n'avait jamais connu et il riait de bon cœur. Le rire étant communicatif et la nervosité tombante aidant, tout le monde, sauf Farid, se mit à rire.
_"Je crois que je sais quel prénom je veux porter... C'est le prénom d'un des enfants que nous avons enlevés aux braconniers... C'était nos ordres, on devait ramener cinq enfants... Ce jour là, ce fut horrible..." Déclara le militaire de base.
_"Vous êtes des monstres." L'interrompit Zoé alors qu'elle cherchait de quoi faire l'atèle.
Et il raconta l'épisode le plus traumatisant qu'il ait vécu jusqu'à cette nuit. Il raconta comment son commandant avait arraché l'enfant des bras de sa mère, suppliante, hurlante et s'agrippant à la jambe de son fils d'un an. Il raconta aussi comment il avait du tirer sur le père qui avait blessé un des matricules avec un couteau de chasse, fou de rage et vociférant des mots incompréhensibles. Il lui avait tirer en plein dans le ventre, le faisant reculer de deux mètres, mais ne le tuant pas sur le coup. Il raconta son agonie alors que ce père tenait ses boyaux ensanglantés dans ses mains, sous les yeux de sa femme pleurant de désespoir. Il raconta enfin comment son commandant, alors que cette mère s'était précipitée de nouveau vers son enfant, qu'il tenait fermement en hurlant ses ordres lui aussi, et s'était agenouillée quand il la repoussa pour la seconde fois, lui avait tiré, de sang froid, une balle en pleine tête. Elle s'était alors écroulée comme une poupée de chiffon sur le côté avec son sang qui giclait de son crâne béant. 
_"Il y avait tellement de sang. Ce fut la seule fois que je pris la vie d'un homme." Avoua-t-il, comme perdu dans ses souvenirs, torturé par son geste et ne se remettant pas de cet enlèvement. "C'était le commandant 72, celui qui gît là-bas." Précisa-t-il.
_"Tant mieux, c'est bien fait pour sa sale gueule!" Hurla Daryl qui ne supportait pas l'horreur de ce qu'il venait d'entendre.
_"Et comment s'appelait ce bébé alors?" Demanda Zoé d'un ton qui en disait long sur son désappointement. Elle était outrée, profondément scandalisée, mais elle n'estima pas nécessaire de culpabiliser ce troufion outre mesure et fit en sorte de ne pas trop le montrer. 
_"Il s'appelait, si j'ai bien compris, Drane. Oui, Drane, c'est comme ça que je veux m'appeler." Décida le déserteur.
_Hé bien, Drane, je suis enchantée de faire ta connaissance." Lui dit-elle en lui tendant la main, brisant ainsi le cercle infernal de l'obéissance aveugle. Il la serra avec plaisir.
(à suivre...)


CONSIDÉRATIONS
Morgane arriva enfin devant les grilles de chez elle. Elles étaient encore rabattues, ce qui voulait dire que Nénette n'était pas encore levée et qu'elle avait une petite chance de retourner dans sa chambre sans se faire attraper. Sa culotte mouillée la gênait et elle avait hâte de pouvoir se changer. Elle ignorait l'heure qu'il pouvait bien être, mais la lumière du jour avait définitivement effacé les étoiles de la nuit, elle devait donc faire le plus vite possible. Aussi furtive qu'un chat, elle se glissa avec son vélo dans la cours, le rangea et fila vers le lierre qui lui avait permis de descendre par la fenêtre de sa chambre. Elle l'escalada sans difficulté, elle l'avait déjà fait plein de fois, mais il ne faut pas le dire.
C'est seulement les deux pieds dans sa chambre et la fenêtre refermée qu'elle poussa un ouf de soulagement. Elle ôta ses vêtements, renfila sa chemise de nuit et se remit au lit comme si de rien n'était. Elle se sentait un peu fatiguée mais n'avait pas sommeil, elle était trop submergée d'émotions pour pouvoir dormir de toute façon. Elle repensait à cette nuit qu'elle venait de vivre et à ce qu'elle avait vu, la tête bien plantée dans son oreiller et les yeux fixant les poutres de son plafond. Elle les ferma un instant et toutes les images d'horreur lui revinrent soudain très clairement à l'esprit. Elle les rouvrit aussitôt, presqu'essoufflée, comme prise de panique. Les souvenirs étaient trop frais, le traumatisme encore trop présent. Comment Farid a pu faire une chose pareille? Se demandait-elle. Il voulait sûrement se défendre, ils ont du le voir et l'attaquer pour le tuer. Cherchait-elle comme réponse et voulant se rassurer, ne comprenant pas pourquoi des militaires se trouvaient dans la forêt. Elle était loin de s'imaginer que c'était Daryl qui les avait envoyer se faire massacrer et encore moins pour quelles raisons, puisqu'elle ignorait tout de l'existence d'Aszouna. 
J'espère que Farid obéit bien à Chloé, se disait-elle en cherchant à penser à autre chose, quand elle entendit du bruit venir de la salle d'eau. Nénette était réveillée. Elle décida d'attendre avant de se lever, même si elle avait très envie de faire pipi, car elle ne voulait éveiller aucun soupçon en se manifestant trop tôt. Pourtant, dès qu'elle l'entendit descendre à la cuisine, elle se précipita aux toilettes, l'envie était trop forte. Après tout, je peux bien aller faire pipi et me recoucher ensuite, j'ai le droit, se dit-elle tout en se soulageant. Elle s'essuya et retourna aussi rapidement qu'elle était venue dans sa chambre et dans son lit. Je vais attendre que mamie aille écouter son poste avant d'aller déjeuner. Décida-t-elle alors. Elle referma les yeux, mais cette fois de fatigue. 
Elle se réveilla en sursaut, le dos en sueur et des larmes sur le visage. 
_"Là... Ça va aller, ce n'était qu'un mauvais rêve. Mademoiselle devait être fatiguée, voilà tout." Lui murmurait Annette en lui replaçant les cheveux et lui dégageant le front encore humide des quelques mèches collées. 
_"J'ai fait un horrible cauchemar Nénette. Il y avait mon papa et il se faisait attaquer..." Elle se mit à pleurer. "C'était affreux!"
_"Vous avez parlé d'un homme-loup, aussi, dans votre agitation. C'est peut-être pour cela que vous êtes effrayée." Essayait de la consoler la servante. "Votre mère a appelé, elle viendra vous chercher en fin de journée, cela va vous faire plaisir de la revoir." Continua-t-elle, dans la même optique et en lui caressant le crâne. 
Morgane pleurait toujours, comme si elle n'avait ni écouté ni entendue ce que la bonne venait de lui dire. Mais elle réagit soudain, retenant ses larmes du même coup:
_"Quoi?! Mais non, je veux pas rentrer à la ville, je dois encore rester ici, pour voir mes amis." Elle pensait évidemment à Chloé et Daryl, elle ne considérait pas Farid comme son ami, mais plutôt comme une sorte de petit frère.
_"Vous le direz à votre mère quand elle viendra ce soir." L'encouragea Nénette. "Elle vous écoutera sûrement. Qui est ce Farid?" Demanda-t-elle. 
_"C'est le nom de mon père. Pourquoi?" Répondit-elle inquiète.
_"Pardonnez moi mademoiselle, je l'ignorais, c'est juste que vous avez mentionné ce nom pendant votre sommeil." S'excusa la soubrette, confuse.
_"J'ai beaucoup parlé?" Interrogea Morgane.
_"Un peu, mais je ne comprenais pas tout, vous marmonniez plus que vous ne parliez en fait. Je vous ai préparé une belle tranche de jambon avec un œuf et une belle tomate fraîche que votre grand-mère a cueilli tout à l'heure, mademoiselle devrait aller faire sa toilette et descendre manger." Lui répondit, l'informa et l'invita sa dévouée domestique. 
_"Il est qu'elle heure? Et ou est mamie?" Questionna Morgane, ne cherchant plus à masquer son anxiété.
_"Il est déjà dix heure et votre grand-mère est toujours dans le potager." Lui indiqua Annette.
_"D'accord, dans ce cas, je vais aller me laver." Décida-t-elle avant de pousser un soupir de soulagement.
Morgane se remettait de ses émotions et de son terrible cauchemar, rassurée par l'heure qu'il était et le fait que Nénette ne lui avait pas parlé de son escapade nocturne.
_"Je vous prépare vos vêtements dans ce cas." L'avisa-t-elle d'ailleurs, en feignant toujours l'ignorance.
_"Oui, merci Nénette." Dit Morgane en se dirigeant vers sa porte de chambre.
_"Mademoiselle n'a pas du beaucoup dormir cette nuit..." Ne put finalement pas s'empêcher de faire remarquer la servante.
Morgane se stoppa net dans son mouvement, un frisson lui parcourant l'échine. Elle n'avait pourtant fait aucun bruit.
_"Pourquoi tu dis ça?" L'interrogea-t-elle en tâchant de feindre l'incompréhension.
_"Je vous ai entendue rentrer ce matin, je ne dormais pas. Mais ne vous inquiétez pas, votre grand-mère n'est pas au courant et je n'en parlerai jamais. Je voulais juste que vous sachiez que vous pouviez me faire confiance." La rassura-t-elle. 
_"Tu promets de ne pas dire à mamie que je suis sortie, alors?" S'inquiéta quand même Morgane.
_"Oui, c'est promis, que mademoiselle se rassure. Mais qu'est-ce que vous êtes allée faire cette nuit, je me suis fais un sang d'encre?" Ne put s'empêcher de vérifier la bonne. 
_"Rien. C'est un secret." Répondit Morgane relativement sèchement.
_"Très bien, comme mademoiselle le voudra. Mais sachez que je suis là si vous avez besoin de quoi que ce soit." Insista Nénette. 
Morgane ne répondit volontairement pas, se dirigea vers la salle d'eau et referma la porte derrière elle. Quand elle sortit et retourna à sa chambre, ses vêtements étaient prêts, bien pliés sur le lit. Ce qu'elle avait porté la veille était déjà au sale. Elle s'habilla sobrement et descendit prendre son petit-déjeuner à la cuisine ou l'attendait Annette, affairée au nettoyage. Son assiette était servie avec un verre de lait de chèvre et une tranche de pain. Elle mangea de bon appétit mais ne finit pas son verre, elle n'aimait pas trop le goût...
_"Si ma culotte était mouillée, c'est parce que je suis allée me baigner dans la rivière." Dit-elle la bouche pleine en sauçant son œuf avec du pain, comme pour se justifier, car elle se doutait bien que Nénette l'avait remarquée.
_"L'eau devait être gelée et vous ne savez pas nager!" S'exclama Annette malgré elle. "C'est pour ça que vous êtes sortie?!" 
Morgane lui jeta alors un regard réprobateur qui en disait long sur sa déception.
_"Tu m'avais promis Nénette." La réprimanda-t-elle.
_"J'ai promis de ne rien dire, pas que je ne m'inquiéterai pas pour vous mademoiselle." Précisa la gouvernante. Elle lui fit un sourire, le regard empli de tendresse. 
_"Là tu m'as eue Nénette. Je te demande pardon." Réagit Morgane en lui rendant son sourire, mais avec une expression désolée.
_"Mademoiselle n'a pas besoin de s'excuser, par contre, je lui conseille d'aller dire bonjour à madame quand elle aura terminé." Lui suggéra la gouvernante.
_"Tu as raison, j'y vais." Acquiesça Morgane en débarrassant la table et mettant son assiette dans l'évier. Elle lui tendit ensuite les bras pour l'embrasser et alla au vestibule enfiler ses chaussures. "À tout à l'heure Nénette!" Lui cria-t-elle en sortant par la porte de devant. 
_"À tout à l'heure mademoiselle!"  
Annette était sûre que Morgane ne l'avait pas entendue, mais elle avait répondu plus par réflexe qu'autre chose, sinon par respect. Comme cet enfant est incroyablement vivante, se fit-elle alors comme réflexion en retournant à ses gamelles. Elle lui était dévouée et avait un amour sans limite pour elle. Morgane allait rapidement s'en rendre compte... 

_"Da?... Da?... Da!!!!?" Hurla Aszouna, soudain prise de panique. Elle fit un mouvement pour se lever, mais son dos la faisait encore trop souffrir. Elle cria de douleur et se rassit sur sa couche, le regard cherchant partout une présence rassurante.
_"J'arrive ma belle! J'arrive! Ne t'angoisses pas!" Lui cria Émilie depuis la cuisine. 
Aszouna, qui reconnaissait la voix, se détendit légèrement, même si elle ne comprit pas un traître mot de ce qui lui était répondue, et attendit sagement. Émilie ne mit que quelques secondes à arriver et s'agenouilla au chevet de sa protégée, relativement essoufflée. 
_"Me voilà ma belle, me voilà... Calmes-toi, tu es en sécurité ici. Viens là, tout va bien." Elle approcha le visage de Nouna de sa poitrine et la serra tendrement. Nouna l'enlaça également et se mit à parler, sans discontinuer. Elle devait probablement lui raconter ce qui lui était arrivée, mais, évidemment, ne connaissant pas sa langue, Émilie ne percutait rien à ce débit de paroles qui semblait ne pas vouloir s'arrêter.
_"Hé! Doucement, je ne comprend rien à ce que tu me dis ma belle. Parles moins vite. Moi, je m'appelle Lilie." Lui dit-elle en lui posant un doigt contre la bouche et se tapotant la poitrine avec l'autre main. Elle avait volontairement simplifié son prénom pour faciliter sa prononciation et sa compréhension. 
_"Lilie...Moi Nouna..." Se présenta Aszouna et elle repartit dans son débit de parole incompréhensible pour Émilie. 
_"Ça va pas être simple... Bon, attend. Tiens, bois de l'eau. Je reviens tout de suite." Et Émilie partit en direction de la cuisine. Nouna, qui n'avait rien compris non plus, but légèrement et n'essaya pas de se lever, résignée à devoir passer quelques temps avec ces gens. Mais comment leur faire comprendre qu'elle devait rejoindre la forêt et le mur de séparation près de la rivière? Comment faire comprendre à Lilie que les siens devaient justement se rendre dans la zone sauvage de la forêt, de l'autre côté de ce maudit mur? Et comment comprendre et connaître les intentions de cette famille, qui l'avait sauvée certes, mais qui ne saurait la garder indéfiniment? Elle ne se considérait pas comme leur prisonnière et à juste titre, mais est-ce qu'ils l'aideront à s'enfuir de cette zone? Et comment les remercier? Toutes ces questions se bousculaient dans sa tête quand Lilie revint avec un plateau. Elle lui avait préparée une belle tranche de pain beurrée avec un morceau de lard cuit et un verre de lait. Elle mangea de bon appétit et elle suivit Lilie dans sa tentative de communication, visant à commencer par les mets. C'est ainsi qu'au bout de quelque temps, elle put dire:
_"Merci... Lilie... pour... pain et eau." Ce qui ravit Lilie qui se mit à applaudir. Nouna éclata de rire, heureuse elle aussi de ces progrès.
Forte de ce succès, Émilie eut la lumineuse idée d'aller dans le débarras de Daryl chercher de quoi écrire. Elle redescendit avec une ardoise, une craie et un chiffon, sans avoir oublié de débarrasser le plateau. Commença alors un véritable cours de langue entre elles grâce au dessin. Nouna put ainsi faire comprendre qu'elle avait besoin de se soulager, son envie commençant à devenir plus que pressante. Émilie, amusée, l'aida alors tout naturellement à s’asseoir sur le seau qu'elle avait apporté à cet effet et la soutint pendant qu'elle faisait ses besoins. Aszuna n'était, finalement, absolument pas gênée par la situation ni sa demie nudité et se soulagea. Émilie alla vider le seau tout aussi simplement, en vérifiant au préalable que sa protégée n'allait pas s'inquiéter. 
Elle revint avec, après l'avoir nettoyé et mis un peu de copeau de bois et de la paille au fond, et le déposa dans un coin. Elle avait également avec elle un sac de pomme de terre qu'elle s'entreprit d'éplucher. Nouna n'avait jamais vu autant de nourriture, quatre patte de cerfs séchant au dessus d'elle et un sac plein de pomme de terre, elle n'en revenait tout bonnement pas. 
_"Da...?" Demanda-t-elle en montrant les pattes accrochées.
_"Oui, c'est Daryl qui les a ramenées. Mais c'est moi qui les ai salées et accrochées pendant que tu dormais." Lui répondit-elle fièrement tout en commençant son épluchage. Nouna avait compris globalement, même si elle n'avait pas saisi tous les mots et lui posa la main sur le visage pour qu'elle l'écoute.
Grâce à l'ardoise et au dessin, et Aszuna était assez douée pour dessiner, elle réussit relativement rapidement à faire comprendre à Lilie qu'elle devait retourner dans la forêt. Il était néanmoins bien plus compliqué de lui faire entendre pourquoi et quand. 
C'était là, cependant, clairement un exploit qu'en si peu de temps elles réussissent à se comprendre. Elles purent ainsi se rendre compte que les deux langues n'étaient pas si éloignées l'une de l'autre et qu'il y avait même des mots en commun, comme le sel par exemple. C'était, en revanche, la prononciation qui changeait énormément. La notion des temps était pareillement différente, mais elles avaient fait abstraction de cette difficulté. 
Quand Émilie eut fini d'éplucher les patates, elle monta les rincer et les mettre à cuire et revint en rapportant un énorme couteau. 
_"Pour le cerf." Dit-elle en montrant un patte avec un clin d’œil. Nouna acquiesça d'un mouvement de tête et un large sourire. Elle sentait que ses forces lui revenaient peu à peu. Émilie découpa un beau morceau qu'elle enveloppa dans un torchon. 
_"Maintenant, ma belle, je vais devoir te laisser seule un petit moment, le temps que je prépare la viande et la mette à cuire. D'accord?" L'informa-t-elle en s'enquérant quand même que tout irait bien. 
-"cord..." Acquiesça Nouna. Elle n'avait rien compris, mais ce n'était pas grave. Rester seule ne l'angoissait plus, surtout que toutes les portes étaient ouvertes et qu'elle pouvait entendre ce qui se passait à l'étage. 
De nouveau dans la cuisine, mais très satisfaite de cette matinée, Émilie s'afféra à la préparation d'un succulent repas, l'esprit léger et bien moins inquiet. Elle n'oubliait cependant pas son fils et Zoé, ignorant tout de la désertion du matricule 2319, mais refusait de céder à la panique. La levée du couvre feu avait aussi contribué à nettement la rassurée. Elle tendit l'oreille, mais aucun son ne parvenait du sous-sol. Aszuna s'était tout simplement rendormie. 
Elle est si belle et fragile, se dit-elle, redescendue pour voir, en la recouvrant doucement...

Les sirènes du village annonçant la levée du couvre-feu venaient de retentir quand le juge Dinousillet gara son véhicule dans l'arrière cours de la maison de la justice précipitamment. Il rentrait d'une courte nuit passée dans les bâtiments militaires du secteur nord, ou il s'était rendu pour prononcer des exécutions, qui n'étaient rien d'autre que des pendaisons le long du mur, suite à une attaque de braconniers. Mais il y avait cette évasion, cette si belle braconnière qui avait réussi à se faufiler dans la zone et que les caméras du mur avaient filmée à son insu, dévoilant des charmes qu'il ne pouvait effacer de son esprit. Il n'était pas question que cette esclave potentielle, sur laquelle il pourrait assouvir tout ses fantasmes refoulés, lui échappe. C'est pourquoi, à peine arriva-t-il dans son bureau qu'il convoqua les hauts responsables militaires de la zone. Il avait l'intention de mettre en place une véritable chasse à l'homme, enfin à la jeune-fille.  
_"Ou en sont les recherches colonel 17?" Demanda-t-il d'un ton acerbe, dès que celui-ci pénétra dans la pièce, accompagné de ses deux capitaines. Ils avaient mis moins de cinq minutes à arriver, la caserne des officiers juxtaposant le bâtiment judiciaire.
_"Tous les commandants ont fait leur rapport, secteur par secteur, et ils n'ont encore rien trouvé. Elle ne se trouve pas dans le village à priori. Nous attendons le rapport de la dernière escouade, qui fouille la forêt d'après nos dernières informations, mais nous n'avons plus de contact, les arbres doivent perturber la communication." Fit savoir le colonel d'un ton respectueux et subordonné. Mais il ne supportait pas ce juge hautain et impoli.  
_"Vous avez bien précisé à toutes les escouades que je veux qu'on l'attrape vivante et en bonne santé!" Vérifia le représentant de la justice.
_"Affirmatif Monsieur. Nous n'avons, tel que vous l'aviez ordonné, uniquement pas stipulé le sexe de la fugitive." L'informa le gradé.
_"Bien, je vois, envoyez une autre escouade dans la forêt, je veux que tout soit réglé avant la journée du troc." Ordonna le juge.
_"Mais Monsieur, la procédure exige que..."
_"Que le vilain semeur emporte la procédure! Je la veux tout de suite, alors obéissez colonel." Le fustigea-t-il en lui coupant la parole. Son ton était au-delà de l'agacement.
_"Très bien monsieur. Capitaine, ordonnez à l'escouade du commandant 56 de fouiller la forêt et prêter main forte au commandant 72." Ordonna à son tour le militaire.
_"À vos ordres colonel." Obéit son subordonné direct. 
_"Monsieur, il est de mon devoir de vous informer que je devrai faire un rapport à mon supérieur, le général Malcolm, concernant cet ordre." L'informa le colonel 17.
_"Peu importe votre rapport, je connais très bien le général et il validera mes exigences. Alors obéissez colonel, c'est tout." Adjura le juge d'un ton clairement énervé à présent.
_"J'y vais de ce pas monsieur." S'exécuta le colonel, en refermant la porte derrière lui, presque courbé. L'animosité entre les deux hommes était plus que consumée et le colonel entendait bien gérer ses hommes comme il estimait devoir le faire. 
C'est pourquoi, arrivé dans l'arrière cours, il interpella son capitaine:
_"Capitaine, laissez un temps de repos de quatre heures aux matricules avant de les renvoyer en mission, c'est compris?"
_"Tout à fait, à vos ordres colonel." Répondit le capitaine qui appréciait la sollicitude de son supérieur. L'écart entre la justice et l'armée se creusait de plus en plus... 

_"Daryl?"
_"Oui? Chloé." Il avait insisté sur le prénom volontairement, pour que Drane croit que c'était son nom. Il n'avait pas confiance.
_"Commences à creuser le trou pour enterrer les morts pendant que je soigne Drane." L'enjoignit Zoé. Son ton n'était pas disposé à la discussion.
_"Absolument, on s'occupera du cerf après." Obéit Daryl en saisissant la pelle qu'il avait amenée. Farid l'accompagna.
_"Je viens t'aider dès que je peux." Le renseigna-t-elle.
_"Merci, vous êtes vraiment incroyable." Lui dit Drane, admiratif et souffrant, en essayant de se redresser un peu.
_"Ne bouges pas et aides moi plutôt à retirer ton treillis. Au fait, mon nom est Chloé et tu peux me tutoyer." Lui dit-elle toujours aussi directive. Elle avait enfin trouvé ce dont elle avait besoin pour faire une atèle digne de ce nom, à savoir deux morceaux de branches, bien droits, solides et pas trop épais. Elle lui retira d'abord ses chaussures, non sans douleurs et tira ensuite son pantalon. De son côté, Drane avait essayé de se maintenir surélevé à la force des bras malgré ses fractures aux côtes. Avec un des couteaux de Daryl, elle coupa des lanières de tissu dans le treillis. C'était le moment de poser l'atèle. 
_"Ça va être extrêmement douloureux, je te préviens." Dit-elle.
_"On a pas le choix... Je crois..." Répondit-il en sueur.
Quand Zoé serra enfin la dernière lanière fixant l'atèle, le déserteur était au bord de l'évanouissement. Il avait poussé un tel cri au début de l'opération que Farid en était revenu précipitamment, prêt à l'éventrer de nouveau. Il fallut encore l'intervention de Zoé pour le calmer.
_"Tiens, bois un peu et manges avant que je te fasse le bandage pour tes côtes." Elle lui avait découpé des petits morceaux de cerf pour qu'il puisse les mâcher et les avaler sans risque de faire une fausse route, compte tenu de son état. Farid était de plus en plus nerveux. Elle lui donna un bout de viande par équité et par agacement de l'entendre grogner autour d'elle. 
_"Tu te sent d'attaque?" Demanda-t-elle au troufion.
_"Heu... Oui... En fait, heu... Non..." Répondit Drane d'un ton plus qu'hésitant.
_"On y va quand même, je te fais ton bandage. Retires ton haut, je prépare la bande." Lui commanda-t-elle. 
C'était la dernière du kit, et elle n'était pas très longue. Zoé ne mit, du coup, pas longtemps à lui faire son bandage de maintient, une fois qu'elle l'eut aidé finalement à retirer son vêtement, non sans provoquer des gémissements de douleur. 
_"Est-ce que je dois de rattacher?" Lui demanda-t-elle en le regardant droit dans les yeux. "Tu sais que si tu tentes quoi que ce soit, l'homme-loup te tuera. N'est-ce pas... Drane?" Le prévint-elle par pure courtoisie ou peut-être gentillesse. 
_"Je sais que je ne suis plus un matricule et que je vous dois la vie... Je ne tenterais rien, je ne peux même plus bouger... Je voudrais vous aider... Mais dans mon état..." Voulait-il lui confirmer.
_"Bonne réponse." Le coupa Zoé pressée. "Je te laisse donc sans lien. Je vais aider Daryl à enterrer tes anciens partenaires. Je te conseille encore une fois de ne pas bouger." L,exhorta-t-elle. 
_"Ne me laissez pas seul avec l'animain, je vous en prie, il va me dévorer." Paniqua Drane en frissonnant.
_"Est-ce que tu as peur?" Demanda-t-elle.
_"En vérité, je suis terrorisé..." Avoua-t-il.
_"Alors tiens-toi tranquille et tout ira bien. Farid, surveilles-le." Ordonna-t-elle avec un sourire, amusée par l'angoisse du troufion. L'homme-loup n'obéit bien-sûre pas, ne comprenant pas cet ordre et suivit Zoé comme elle s'y attendait, rassurant du même coup l'ancien matricule. Elle voulait juste l'effrayer un peu plus qu'il ne l'était déjà. Ce qui l'inquiétait et l'ennuyait en revanche, c'était la fièvre qu'il avait et qu'elle avait tout de suite remarquée.
Quand elle arriva enfin auprès de Daryl, Farid l'avait devancée et l'aidait à creuser avec ses griffes. Il était très efficace et le trou était déjà bien profond. Les troncs avaient cessé de brûler et ils serviraient bientôt de pierres tombales pour un charnier improvisé. Zoé resta un instant en retrait, curieuse, écoutant Daryl qui chantait.   
Concentré, il semblait réciter une prière tout en creusant:

Oh! Vilain semeur, tu as laissé s'exprimer ta haine,
Mais tu t'es montré généreux envers les survivants.
Tu as fertilisé les sols ou ils plantent leurs graines,
Oh! Bonne terre prend toujours soin de tes enfants.

Accueilles ces fils de la colère et bois leur sang,
Ne répand plus la misère mais écoute nos chants.
Nés de la poussière, nous retournons à la poussière
Des cendres aux cendres, les corps rendus à la terre.

Tu commandes à la matière et libère les esprits,
Alors bonne terre qu'il en soit ainsi...
Toi la mère nourricière, source de toutes vies,
Entends cette prière et qu'il en soit ainsi...

_"C'est une très jolie prière." Dit-elle pour se manifester, rompant cet instant de recueillement sans vraiment le vouloir, mais le temps leur manquait.
_"Je ne t'avais pas entendue. Pardon, je ne sais pas très bien chanter." S'excusa Daryl, clairement gêné et un peu surpris.
_"Ne sois pas gêné, j'ai trouvé ça très bien au contraire." Le félicita-t-elle. "Moi aussi j'ai appris les prières tu sais. L'église terrienne et tout le baratin, on a pas le choix de toute façon dans leurs maudites écoles et avec leur système archaïque et rigide. Mais je ne suis pas très croyante." Avoua-t-elle d'un ton jovial et rebelle. 
Dans son système social, la dictature militaire chargeait l'église d'assurer l'instruction et l'éducation primaire, ne fournissant que le programme général à suivre mais ne s’immisçant pas dans le religieux. L'école était obligatoire jusqu'à douze ans, mais il y avait un réel encouragement à poursuivre des études supérieures pour se spécialiser dans un domaine. Tout le système secondaire continuait d'être supervisé par l'armée mais était confié à chaque secteur d'activité. Là encore, le programme général était imposé et il s'agissait clairement d'une propagande militaire. 
Le pouvoir de l'église n'en était pas moins politique car les généraux avaient compris que pour diriger et contrôler une population, il fallait laisser croire et donc leur dictature s'adaptait à un certain nombre d'exigences hiératiques. Cela étant, son pouvoir était essentiellement consultatif. 
Le tout était financé par l'impôt qui n'était rien de moins qu'une forme de restriction alimentaire. C'était un impôt, dit juste, prélevé à la source qui était redistribué ensuite sous forme de salaire, des bons et quelques pièces. Tout dépendait des productions agricoles en définitive. Si les productions étaient abondantes, il y avait moins de restriction et inversement, mais le prélèvement restait le même. 
Il n'y avait pas de service publique à proprement parlé, le terme employé était service militaire, même si l'armée employait des civils dans les faits, mais leur contrôle était sévère. Ce système répressif et religieux fonctionnait depuis plus de cinquante ans, depuis l'instauration du nouvel ordre de 2071 et la prise du pouvoir par les militaires justement. C'était du moins ce que prétendaient les livres d'histoire autorisés. 
_"Encore un bon mètre à creuser et on pourra déposer les corps." Estima Zoé qui utilisait la machette que Daryl avait ramenée comme une petite pelle. Farid était bien plus performant avec ses griffes, car en soulevant la terre, il facilitait le pelletage. Observatrice, elle décida de faire pareil avec sa lame. Ils ne mirent pas longtemps à atteindre la profondeur qu'elle s'était fixée.
_"Comment va le matricule, je veux dire... Drane?" S'enquerra Daryl entre deux pelletées. 
_"Je crois qu'il a de la fièvre et je suis sûre qu'il s'est endormi. Je lui ai donné un peu de cerf et de l'eau après lui avoir remis la jambe en place. Farid est vraiment d'une force incroyable. Je sais, tu me l'avais dit." Finit-elle par anticipation. "Bon, le trou est prêt." Décida-t-elle.
Ils mirent en terre tous les corps, Zoé se chargeant de retrouver tous les morceaux du matricule qui avait explosé, elle n'avait pas laissé le choix à Daryl, les recouvrirent et camouflèrent ce charnier. S'il n'y avait pas les troncs calcinés, personne ne pourrait croire qu'un massacre avait été perpétué à cet endroit. Ils firent une prière pour rendre les esprits des matricules à la forêt.
C'est Daryl qui la récita, évidemment, même si Zoé était vraiment dans le recueillement. 

Mère terre prend soin de nos esprits,
Mère terre au toujours juste châtiment,
Donnes nous le pain et l'eau de la vie,
Sauves nos cœurs et acceptes nos présents.

Chaque jour et en tout lieux écoute nos prières,
Reçois nos corps quand arrive notre heure.
Pardonnes l'impureté de notre sang, bonne terre,
Et aides-nous à rendre ce monde meilleur.

 Nous te rendons tes enfants... à la rivière...
     
_"Je ne me rappelle plus de la suite, je suis désolé." S'excusa Daryl.
_"Ce n'est pas moi qui pourrait t'aider, mais je crois que ça ira, tu ne crois pas?" L'assura Zoé.
_"Si, j'espère que leurs esprits ne posséderont pas cet endroit, c'est tout..." Se désola-t-il. 
_"Avec Farid dans les parages, il n'y a aucun risque." Répondit-elle amusée. "J'ai encore quelque chose à te demander, mais qui nous aidera grandement." Rajouta-t-elle plus sérieusement.
_"Qu'est-ce qu'il faut que je ramène?" Demanda Daryl qui avait deviné une partie de la question.
_"Des vêtements de ton père pour Drane, sinon, je ne vois pas comment on pourra le faire sortir de la forêt, j'ai brûlé le reste de son uniforme." Lui indiqua-t-elle.
_"Ça devrait pouvoir se faire, il faut quoi?" Acquiesça Drane.
_"Un pantalon et un haut feront l'affaire. Je vais commencer la découpe du cerf pendant ce temps. Et oui, je sais comment faire, même si je ne suis pas une épicière." L'assura-t-elle. 
_"J'y vais alors, je ne devrais pas en avoir pour longtemps, sauf si maman dit quelque chose." Répondit Daryl.
_"Expliques lui bien pourquoi, sans rien lui cacher, j'espère qu'elle comprendra!..." Lui cria-t-elle en s'aidant de ses mains pour faire porter sa voix. 
_"Moi aussi!" Scanda-t-il, alors qu'il n'était déjà plus visible.
Émilie avait terminé de préparer le cerf et l'avait mis à cuir dans son four à bois. Du coup, elle était aller accrocher la perdrix, plumée et vidée à côté des pattes du cerf, sans réveiller Nouna. Elle décida alors de faire un peu de rangement dans la cuisine et la pièce du fond ou elle l'avait installée à son arrivée. Elle faisait la vaisselle quand Daryl arriva par le grenier.
_"Tu ne ramènes pas de morceaux de cerf cette fois? Et Zoé n'est toujours pas avec toi?" Lui fit-elle comme remarque quand elle le vit descendre les mains vides et non accompagné. 
_"Non, pas encore, elle découpe le cerf justement, je suis venu chercher des vêtements à papa." L'informa-t-il, un peu embarrassé.
_"Qu'est-ce que c'est que cette histoire, pourquoi tu as besoin de vêtements de ton père?" S'inquiéta-t-elle, un peu agacée d'être toujours la dernière au courant.
_"C'est parce que je ne voulais... Bref, c'est parce que nous avons sauvé un des matricules, il est blessé et il a déserté. Zoé m'a demandé de ramener un pantalon et un haut pour qu'on puisse le ramener ici. Voilà, pour te la faire courte. Il s'appelle Drane maintenant et si tu savais tout ce qu'il nous a dévoilé, tu n'en reviendrai pas. Tu verras, il te dira... Peut-être." Lui raconta-t-il.
_"Est-ce que tu es conscient des risques que nous prenons? Vous êtes en train  de transformer notre maison en hôpital!" S'emporta-t-elle, énervée aussi par la fatigue.
_"Zoé m'avait dit que tu comprendrais..." Se désola son fils.
_"Ce n'est pas une raison, j'ai le droit d'exprimer mon désarroi tout de même!" S'exclama-t-elle en s'essuyant les mains. "Bon, suis moi, je vais te donner ce qu'il faut." Conclut-elle. 
Ils montèrent ensemble à l'étage et Émilie donna à son fils ce qu'il avait demandé et dont il avait besoin.
_"Est-ce que Nouna va bien?" S'enquerra-t-il en prenant les affaires que sa mère lui tendait.
_"Oui, elle va bien et elle est drôlement bavarde. Elle s'est rendormie, pas la peine d'aller la voir. Moi aussi j'aurais deux, trois choses à vous apprendre quand vous rentrerez enfin et sans difficulté, j'espère." L'informa-t-elle à son tour.
_"On a réussi le plus dur, j'ai même récité une prière. On ne devrait plus en avoir pour longtemps, en espérant que le matricule pourra marcher." Lui promit-il.
Daryl repartit aussi vite qu'il était venu en ne manquant pas d'embrasser sa mère avant de filer. Il avait une profonde admiration pour ce qu'elle faisait, le courage qu'elle montrait et il l'aimait sincèrement et tendrement.    
Zoé essayait de faire le point dans sa tête tandis qu'elle s'était rassise à côté du feu. Elle mangeait un morceau de cerf bien cuit et repensait à tous les événements de la nuit. Elle regardait Drane dormir avec une légère ironie et caressait la crinière de Farid qui s'était installé prêt d'elle. Sans doute que l'odeur de la viande cuite y était pour quelque chose. Elle n'était pas plus que ça motivée à l'idée de s'occuper de la découpe et profitait de ce moment de calme, paisible et serein, avant de s'y mettre. En fait, elle avait l'intention d'attendre Daryl, mais elle lui avait dit qu'elle commencerait pendant son absence; elle se reposerait plus tard. Elle prit tout de même le temps de finir son morceau de viande, en fait c'est Farid qui le termina, ravi, et aiguisa les lames dont elle aurait besoin. Elle se serait bien allumée une cigarette pour se détendre, mais elle avait oublié son sac chez Émilie. 
Les lames aiguisées, elle commença par séparer à la hachette le torse de la bête du reste du corps et s'occupa des côtes en premier. Elle savait qu'il serait impossible de tout ramener chez Émilie et se demandait ce qu'ils allaient faire du surplus. Ce n'était pas une question de place, mais de bon sens. Surtout qu'elle ne voulait pas passer sa journée à soigner et creuser ou même se baigner... Non! Elle voulait aller sur la tombe de son père sur laquelle elle n'était jamais venue. Et elle avait besoin que Daryl, s'il connaissait l'endroit, lui montre ou se trouvait le cimetière des criminels et des indigents. Il ne tarda d'ailleurs pas à se manifester, relativement inquiet. 
_"Zoé! Zoé!" Criait-il alors qu'il apparaissait seulement en haut de la montée.
_"Je suis là, qu'est-ce qui se passe!?" Renvoya-t-elle sans le voir encore. 
Il descendit la pente en courant et arriva à sa hauteur essoufflé.
_"Zoé... J'ai vu..."
_"Reprends ton souffle et essayes de parler calmement." Le coupa-t-elle. "Bon, qu'est-ce que tu as vu?"
_"Sur les toits, j'ai vu des tas de militaires sortir de la maison de la justice, comme un convoi on aurait dit et ils venaient dans la direction de la forêt. Peut-être qu'ils rentraient à la caserne, mais ça avait l'air important et grave. Il y avait même leur blindé, tu t'imagines?! Qu'est-ce qu'on va faire s'ils viennent?..." Lui révéla-t-il tout en cherchant une solution.
_"Calmes toi, ça sert à rien de paniquer, on risquerait de commettre une erreur. On va déjà habiller ce couillon et on va voir s'il peut se déplacer, ensuite on avisera, OK?" Décida-t-elle.
_"Tu as raison, ça sert à rien de s'exciter dans le vent." Reconnut-il.
_"S'exciter dans le vent... Je ne connaissais pas cette expression, j'aime bien." Dit-elle sereine malgré les avertissements de Daryl. Elle croyait ce que leur avait dit le matricule, il avait été sincère. Elle ne pouvait pas savoir ce qu'avait ordonné le juge, ni ce qu'il tramait. "Ils devaient probablement faire leurs rapports, comme nous l'a expliqué Drane." Conclut-elle en se voulant rassurante.
_"Tu as sûrement raison, enfin j'espère, mais on a pas de temps à perdre." Insista-t-il.
_"Sur ce point, c'est toi qui a raison." Lui concéda-t-elle.
Elle réveilla Drane sans ménagement et ils lui enfilèrent le pantalon de Keith, le père de Daryl, avec moins de difficultés qu'elle ne le pensait, même si elle avait du découper la culotte pour la jambe blessée. Son atèle avait bien calmé les souffrances dues au traumatisme de la fracture osseuse et Drane avait même réussi à se lever et à se maintenir debout, non sans provoquer des grognements de réprobations de la part de Farid. Il n'eut pas plus de mal à enfiler le haut et il était presque prêt à partir. 
_"Daryl, regardes si tu peux lui confectionner une canne vite fait, moi je termine de découper les côtes du cerf, on décidera pour le reste après." L'enjoignit-elle.
_"Je m'en occupe!" Clama-t-il, rassuré.
_"Je ne peux rien faire pour vous aider?" Demanda Drane.
_"Si, tu peux la fermer et attendre. Tu essaieras de marcher avec la canne quand elle sera fabriquée." Lui rétorqua Chloé. 
_"Très bien mademoiselle..." Obéit-il, se taisant immédiatement.
Elle ne prit pas la peine de lui rappeler qu'il pouvait l'appeler Chloé et ne mit pas longtemps à terminer son travail de boucherie. Ils chargèrent le tout dans les sacs à leur disposition, à savoir deux sacs à Daryl et le sac de l'escouade déjà à moitié rempli. Ils brûlèrent tout ce qui était possible pour effacer leurs traces et réalimentèrent le feu pour faire cuire quatre dernières tranches de cerf avant de quitter les lieux. Ils en profitèrent pour réfléchir à ce qu'ils allaient faire de toute la viande qui restait et aussi de l'imposante peau de l'animal que Daryl voulait offrir à sa mère pour le cuir. 
S'ils voulaient que le tout se conserve, ils ne pouvaient pas le laisser ici, c'était une évidence. Pour l'instant, la peau était pendue à une branche, il fallait la préparer, et le gros morceau restant était, lui, toujours près du mur de la ruine.
_"Bon, le plus simple serait de faire cuire la viande pour la conserver, mais il y en a pour plusieurs heures et nous ne les avons pas, quant à la peau, elle est trop encombrante pour être transportée maintenant, alors... Tu as une idée?" Sollicita Zoé en regardant la peau suspendue puis Daryl.
_"Là, je dois avouer qu'il n'y a rien qui me vient." Il retourna les morceaux qui cuisaient. "On peut toujours installer la viande en deux gros morceaux et commencer à les faire cuire, je reviendrais la surveiller et je récupérerai la peau par la même occasion. Et puis il y a Farid qui protégera le camp..." Sur ce point, il était plus circonspect. 
Il avait fini de fabriquer la canne, mais Drane semblait bien incapable de se déplacer seul avec, il allait nécessiter un soutien, ce qui n'arrangeait pas leurs affaires puisqu'ils voulaient aller le plus vite possible.
_"Voilà ce qu'on va faire. Je vais ramener Drane seule, d'après ce que tu m'as dit, il ne devrait plus y avoir de militaires dans le village. Toi, tu vas rester ici faire ce qu'on a dit, tu vas mettre la viande à cuire et commencer à tanner la peau en attendant que je revienne. J'aurais une faveur à te demander à ce moment là si tu veux bien." Finit par décider Zoé qui n'avait certainement pas oublié son père. Ils avaient moins de quatre heures devant eux, mais ils l'ignoraient.
_"Merde!... On a oublié un truc!" Réagit soudain Daryl en regardant de l'autre côté du feu.
_"C'est quoi?" S'étonna Zoé.
_"Les armes..." Répondit-il en les montrant d'un mouvement de tête. _"Tu as raison bordel, qu'est-ce qu'on va en faire? Il faut les enterrer, je ne vois pas d'autre solution." Estima-t-elle rapidement.
_"Je vais les mettre quelque part près du mur, comme ça on les retrouvera plus facilement." Proposa-t-il au final.
_"Très bien, on fait comme ça et on ne change plus rien à nos plans. Tu m'attends quoi qu'il arrive." Accepta-t-elle.
_"On fait comme ça, pas de problème. Bonne chance." L'encouragea Daryl. 
_"Bon, t'es prêt toi, on peut y aller?" Demanda Zoé à Drane tout en se rapprochant de lui.
_"Aussi prêt qu'on puisse l'être, j'imagine..." Répondit-il, absolument pas sûre de lui.
_"Alors c'est parti." Déclara-t-elle. 
Elle joignit le geste à la parole en s'installant sous son bras du côté de l'atèle. Il tenait sa canne de fortune de l'autre main. Pour une canne de fortune, on peut dire qu'elle était de très bonne qualité, Daryl avait trouvé une excellente branche pour la confectionner. Ils partirent ainsi pour la maison d'Émilie. Ils mirent plus d'une heure à atteindre l'orée de la forêt, Drane nécessitant des pauses régulières pour reprendre son souffle et calmer la douleur. Ils passèrent ensuite à travers le champ de maïs par le passage qu'utilisait Daryl, entre deux rangées plus espacées que les autres. Arrivés au village, ils empruntèrent le même itinéraire que celui qu'il avait prit quand il avait ramener Nouna.
_"À partir de maintenant, nous sommes un couple éperdument amoureux qui revenons d'une promenade pour exercer ta jambe. Tu t'es blessé en tombant d'une échelle parce que tu voulais remplacer des tuiles, c'est bien enregistré?! Espèce d'enfoiré de voleur d'enfants." Imposa Zoé.
_"À vos ordres made... je veux dire Chloé." Répondit Drane, parfaitement conscient de ne pas être apprécié par celle qui était en train de le sauver.
Comme elle s'y attendait, ils ne croisèrent aucun matricule mais simplement une petite vieille qu'ils saluèrent et un homme qui tirait un chariot plein de métaux de récupération, à la mine patibulaire qui ne maugréa qu'un semblant de bonjour. Quand ils arrivèrent enfin devant la porte d'Émilie, Drane était en sueur et tremblant. Mais ils avaient réussi à faire le parcours en moins de trois heures et sans encombre, c'était presque inespéré. Zoé frappa et Émilie leur ouvrit aussitôt...
(à suivre)
     

_"Ou est Daryl?" S'inquiéta immédiatement Émilie, alors que Zoé et Drane rentraient à peine chez elle.
_"Il est resté là-bas, mais ne t'inquiètes pas, tout va bien, c'est juste qu'on a pas fini avec le cerf. Tiens, d'ailleurs, j'ai un sac plein de côtes à te donner qu'il faut mettre à conserver." La rassura et l'informa Zoé en réussissant à se dégager et lui tendre le sac rempli au maximum. "Merci, ça pesait une tonne. On doit l'allonger tout de suite, il faut faire baisser sa fièvre." Dépêcha-t-elle.
_"Je suppose qu'il s'agit du matricule déserteur. Les vêtements de mon mari lui vont bien. Ah, le pantalon est foutu." Constata la mère de Drane. 
_"Exact, tu supposes bien et tu es observatrice. On peut l'installer dans ta pièce au fond, tant pis pour le matelas, une couverture suffira?" Demanda la toubib.
_"Vraiment merci... Je vous aime... Je vous aime..." Délirait Drane en murmurant ses déclarations.
_"Toi ta gueule!" Exigea Zoé, légèrement exaspérée. "Il délire comme ça depuis qu'on est dans le village." Précisa-t-elle, comme pour justifier son horripilation soudaine.    
Elles se dirigeaient chargées du troufion vers l'arrière-cours, quand Zoé aperçut dans l’entrebâillement de la porte menant au sous-sol, Nouna qui guettait inquiète et curieuse en haut des escaliers.
_"Zé!" S'exclama-t-elle en la voyant, mais en tendant à peine la main à cause de ses sutures et de la douleur.
_"Nouna! Tu es réveillée. J'arrive..." Lui répondit Zoé en lui touchant les doigts avec les siens tandis qu'elles avançaient. "Allongeons-le là, ça ira pour l'instant." Jugea-t-elle une fois rentrée dans la pièce.
_"Allons-y." Acquiesça Émilie. Elles le couchèrent à même le sol.
_"J'ai un dos!" S'exclama Zoé en se redressant et en s'étirant.
_"Je vais chercher une couverture et de l'eau." Dit Émilie. "Tu peux y aller." Ajouta-t-elle en sortant et en regardant Nouna qui avait déjà avancé d'un pas.
_"Zé?..." hésita Aszouna en passant la tête par la porte.
_"Rentres Nouna. Je suis tellement contente de te voir debout." L'invita Zoé tout en se rapprochant et en lui tendant les bras. Elle ne la serra bien-sûre pas, pour ne pas lui faire mal, mais elles s'embrassèrent tendrement.
_"Méci... Zé... pou... dos." Déclara Nouna, droit dans les yeux de Zoé.
_"Mais... ce n'est rien..." Répondit Zoé, émue aux larmes, n'en revenant pas qu'Aszouna réussisse à parler leur langue et qu'elle l'appelle par son nom, ou presque.
_"On a fait beaucoup de progrès." Reconnut Émilie qui amenait la couverture sur ces entrefaites. "Tiens, je vais chercher l'eau et des serviettes."
Zoé prépara, sous les yeux concentrés de Nouna, la couverture de telle façon à faire une couche la plus épaisse possible, mais pas trop étroite en largeur. Elle aida Drane à s'allonger dessus et il sombra dans un demi-coma presqu'immédiatement. Émilie ne tarda pas à arriver avec la bassine d'eau et des serviettes, celles-là même qui avaient servi pour Nouna quelques heures auparavant. Zoé mis une serviette trempée tout de suite sur le front de Drane, une sous sa nuque et une, trempée également, sous chaque aisselle. 
_"On ne peut malheureusement rien faire de plus." Déplora-t-elle.
_"J'espère qu'il ne va pas mourir ici." S'alarma Émilie.
_"Non, il ne devrait pas. Laissons la porte ouverte de toute façon." Convint Zoé.
Elles allèrent alors, toutes les trois, s’asseoir dans la cuisine, le temps au moins pour Zoé de faire le point avec Émilie et de faire part à Nouna de son admiration. Zoé l'avait remarqué dès son arrivée, mais n'avait pas eu le temps de faire le compliment, mais il y avait une odeur délicieuse de nourriture et en particulier de viande en pleine cuisson qui emplissait toute la maison.
_"Je n'ai pas le temps de rester, mais ça sent très bon." Complimenta-t-elle Émilie avant de lui résumer les événements de la nuit et de la matinée en omettant volontairement tout ce qui concernait Morgane et son homme-loup, non pas par manque de confiance, mais par manque de temps, tout simplement. Émilie, comme Nouna, écouta sans dire un mot, à peine rassurée par ce qu'elle entendait.
_"Ramènes-moi mon fils en entier, c'est tout ce que je te demande. Quand vous rentrerez, vous aurez une belle assiette de purée avec du cerf rôti qui vous attendra. Et une tranche de pain." L'exhorta et lui promit-elle. 
_"C'est promis. Et on décidera quoi faire en se régalant." L'assura Zoé tout en se levant de sa chaise.
_"En vous attendant, je vais servir Nouna et je lui montrerai ensuite comment on sale la viande pour la conserver. Et on mettra quelques côtes à cuire pour la journée du troc de demain. Oh fait! C'est sans doute pour ça que tu n'as pas croisé grand monde en venant, ils se préparent tous et puis avec toutes ces sirènes, ils ont sûrement peur de sortir." Elle tenait le bras de Nouna qui souriait.
_"Je ne peux pas te dire pour combien de temps on va en avoir, mais ce que je peux te dire en revanche, c'est que quand nous rentrerons, tu auras une belle surprise." Lui promit encore Zoé tout en montant vers le grenier. Elle avait décidé de repartir par les toits, c'était plus prudent et elle voulait voir si, comme Daryl, elle apercevrait des mouvements de troupes du côté de la maison de la justice et de la caserne. Elle avait le chemin bien en tête et un bon sens de l'orientation aussi, elle était donc sûre d'elle et en particulier de sa prodigieuse mémoire.
Émilie alla voir si le matricule respirait toujours et en profita pour lui replacer la serviette sur son front qui avait légèrement glissé à cause de ses mouvements de tête. Il délirait en prononçant le nom qu'il avait choisi, Drane et s'excusait de l'avoir volé. Elle ne comprenait rien, mais au moins il était vivant. Elle retourna dans la cuisine et s'afféra à la confection puis à l'assaisonnement de la purée. Tout cela sous les yeux de plus en plus gourmand d'Aszouna évidemment. Elle attendait sagement assise, sans dire un mot, mais une question lui brûlait trop les lèvres pour qu'elle la retienne plus longtemps et puis... elle était un rien bavarde:
_"Da?... Quand là?..." Demanda-t-elle, arrivée au bout de ses capacités à rester silencieuse.
_"J'aurais fini la cuisine et on aura manger avant qu'il arrive ma belle, je suis désolée. On aura même eu le temps de saler et de mettre les côtes à cuire, je pense." Répondit-elle instinctivement, concentrée sur ses patates, avant de se reprendre. "Oh excuse moi ma belle, tu n'as strictement rien compris, n'est-ce pas." Elle se retourna vers elle en souriant et dit: "Da là après manger. D'accord?"  
_"OK." Approuva Nouna fermement. Les odeurs de nourriture lui avaient donnée une faim d'homme-loup et elle avait tout de suite compris ce que le verbe manger voulait dire. Elle partit alors dans une espèce d'explication, avec toujours ce débit de paroles impressionnant, en faisant des gestes qui semblaient décrire une capture. Son frère Agnar, lui même, passait son temps à lui demander de parler moins vite, mais c'était plus fort qu'elle, ses phrases arrivaient littéralement par vagues. Émilie interpréta tant bien que mal ce que disait sa protégée et crut entendre qu'il s'agissait d'une chasse à laquelle elle avait participé. 
_"Toi tu es une bavarde." Remarqua-t-elle. "Je suis sûre que tu parles aux murs quand tu es seule." 
En fait, c'était la première fois de sa vie qu'Aszouna était entourée de murs, mais Émilie l'ignorait. Elle n'était pourtant pas loin de la vérité puisque Nouna s'adressait aux rochers ou aux dunes quand elle n'avait personne sous le coude avec qui parler. Je crois bien qu'un rocher s'est même suicidé et qu'une dune a disparu. La purée était prête.
Quand Émilie sortit enfin le morceau de cerf de son four, Nouna ne put s'empêcher d'applaudir, ce qui la fit éclater de rire. Et le rire étant communicatif... 
C'est seulement après avoir été faire pipi qu'Émilie servit les assiettes. Aszouna savait très bien se servir de couverts et commença par se couper un beau morceau de viande qu'elle trempa dans la purée. Elle se porta cette belle fourchetée à sa bouche et la dégusta. Ses yeux s'illuminèrent soudain et elle s'exclama la bouche pleine:
_"Lilie..." Elle avala une partie. "Atate et cerf..." Elle avala encore. "Très, très, bons..." Elle vida enfin sa bouche et s'entreprit à se préparer la même fourchetée, après avoir bu un peu d'eau que lui avait servit Lilie, justement.
_"Merci ma belle. Je. Te. Trouve. Très. Gentille. En fait, je crois que je t'aime déjà énormément." Elle dit cette dernière phrase rapidement, espérant ainsi ne pas être comprise, mais Nouna l'avait parfaitement comprise au contraire, percevant même toute l'émotion qu'elle contenait. Elle se leva un peu et l'embrassa, la bouche encore pleine de purée, mais cela lui importait peu. Émilie, qui s'était assise à côté d'elle avec une petite assiettée, sourit de plaisir et de bonheur, mais elle ne put retenir ses larmes et se mit à pleurer. 
_"Lilie?... va?..." S'inquiéta Aszouna.
_"Oui... Je vais bien ma belle... C'est que je suis heureuse et émue de...te connaître... et que tu sois... ici. Da a eu bien raison de te sauver." Essaya-t-elle de la rassurer en reprenant son sang froid.
_"OK?" Vérifia Nouna. 
_"Oui, OK ma belle, tu peux manger, régales-toi." Elle lui caressa doucement les cheveux et l'accompagna. "Mais c'est vrai que c'est bon." Reconnut-elle, elle aussi la bouche pleine. Elles échangèrent un sourire complice les joues rondes et les yeux brillants. Elles avaient bien le temps de s'occuper des côtes de ce foutu cerf, qui ressemblait plus à un gros chevreuil en fait.

_"En formation à six mètres matricules!" Ordonna le commandant 56. Il vérifia son contact radio avec le blindé arrêté un peu plus loin sur le chemin et ils pénétrèrent dans la forêt. "Je vous rappelle que notre mission est de rejoindre l'escouade du commandant 72 ou au moins d'établir le contact et en priorité de capturer vivant un braconnier qui s'est échappé! Un rapport tous les cent cinquante mètres!" Signifia-t-il encore.
Il avait parfaitement en tête les ordres du colonel 17 qui était venu le voir en personne pour lui expliquer le caractère exceptionnel d'une telle mission et toute son importance. Il n'était pas question qu'ils échouent et ne devaient revenir qu'une fois celle-ci réussie. Son capitaine, resté dans le blindé pour superviser les opérations, l'avait enjoint à rallier le poste de contrôle avancé du mur sud, au delà de la forêt, pour vérifier si l'autre escouade n'y était pas et si des mouvements suspects avaient été observés. Son opinion était que le braconnier avait sûrement réussi à repasser de l'autre côté du mur pendant la nuit et que le commandant 72 avait probablement décidé de faire une sortie pour le poursuivre en passant par le poste de contrôle justement. Ce qui inquiétait néanmoins le commandant 56, c'est l'absence de transmission d'informations radios. Il ne comprenait pas pourquoi son homologue n'avait pas signalé leurs mouvements. 
Mis à part le chant des oiseaux et leurs propres bruits de pas, c'était le silence qui régnait. La forêt semblait comme s'être tue à leur arrivée, guettant le manège de ces intrus inhabituels. Le soleil était à son zénith et partout ses rayons perçait les arbres, donnant à la litière l'air d'un tapis de feuilles jaunâtres.
Ils firent leur quatrième rapport d'escouade, mais il n'y avait toujours rien à signaler. Il faut dire qu'ils ne regardaient pas beaucoup vers le sol et qu'ils étaient encore assez loin de la ruine. Ils avançaient relativement lentement mais ne mettrait pas longtemps à la rejoindre. Au cinquième rapport, le commandant fit un point radio avec son capitaine et ils repartirent, mais cette fois plus en direction du mur, ce qui les éloignait des scènes de crime, même si elles avaient été nettoyées. Il y a pourtant un endroit qui avait été oublié, c'était les abords de la rivière.

Pourquoi Est-ce qu'ils sont là ces connards, je croyais qu'ils devaient attendre 24 heures? Se demanda Zoé quand elle aperçut le blindé depuis le champ de maïs. Elle s'accroupit aussitôt et tâcha de se rapprocher le plus possible. Elle put entrevoir alors une escouade qui se préparait à probablement fouiller la forêt et vérifiait son matériel. Elle remarqua également que les baïonnettes étaient montées sur les fusils et qu'un des matricules portait une mitrailleuse lourde. Elle comprit qu'il s'agissait d'une opération exceptionnelle et que Drane n'avait pas menti. Pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas suivi leur procédure à la con, qu'est-ce qui peut bien les motiver ainsi? S'inquiétait-elle. Elle ne mit pas longtemps à faire l'association entre ce que lui avait dit Daryl à propos des mouvements de troupe à la maison de la justice et ce qu'elle voyait en direct. C'est lui, se dit-elle, il veut mettre la main sur Nouna, ça ne fait aucun doute. 
_"Hé bien, monsieur le juge, je ne vous laisserai pas faire." Se murmura-t-elle avant de filer à travers champ pour aller prévenir Daryl. Elle décida de prendre le chemin qui passait par le gros chêne pour être sûre de ne pas être vue. Merde, j'ai oublié mon sac chez Émilie, tant pis. Se reprocha-t-elle alors qu'elle courait déjà entre les branches.
Quand elle arriva, complètement essoufflée, c'était comme s'il n'y avait jamais eu de campement. Le feu n'était pas seulement éteint, il n'y avait plus de pierres, ni de branches calcinées. Le cerf avait disparu, tout autant que Daryl et Farid. Elle découvrit une ruine déserte qui semblait justement ne jamais avoir été encore découverte. Si elle n'avait pas, elle-même, été là durant la nuit, elle n'aurait pas pu reconnaître cette pierre plate, qui avait servi à faire cuire les morceaux de viande, remise très correctement à son emplacement d'origine sur un des restants de mur. Elle était à peine salie, c'était incroyable. 
_"Daryl! Daryl, vous êtes là?!" Vérifia-t-elle en essayant de ne pas trop élever la voix, mais de la rendre portante quand même. Elle savait qu'elle n'avait pas beaucoup de temps.
_"Je suis là... Je veux dire on est là..." Entendit-elle venir de nul part. 
_"Ou ça là?" S'agaça-t-elle.
_"Là, juste sous tes pieds." Lui répondit Daryl.
_"Bon arrêtes de te moquer de moi, vous êtes dans les arbres, c'est ça?" Il lui semblait pourtant bien que la voix de Daryl venait du dessous et était étouffée. 
_"Si tu veux nous voir, il va falloir que tu te pousses, on est vraiment juste sous toi." Insista-t-il en parlant un peu plus fort. Elle entendit même Farid faire une sorte de grognement. Elle fit deux pas sur le côté et l'en informa:
_"C'est bon, je me suis poussée." 
C'est alors qu'elle vit un tapis de feuille se soulever et la tête de Daryl apparaître.
_"Regardes ce que j'ai trouvé en creusant pour planquer les flingues! La cave de la ruine! C'est la bonne terre qui nous vient en aide." S'exclama-t-il, fière et victorieux. "T'as vu comment on a tout nettoyé et remis en état?" 
Zoé acquiesça, s'approcha et, en effet, Il maintenait une trappe de bois, debout sur des marches de pierre, avec Farid un peu plus bas derrière lui.
_"Viens voir, c'est immense en bas." L'invita-t-il. Elle le suivit, fit une caresse à Farid et Daryl referma la trappe. Il tira alors une sorte de ficelle. "C'est pour le camouflage." Expliqua-t-il. "J'ai trouvé une vielle couverture dans la cave et je l'ai fixée à la trappe. Ensuite, j'ai jeté de la terre et des feuilles dessus jusqu'à ce qu'on ne voit plus rien du tout. Elle est tellement vieille et sale que ça tient tout seul dessus, j'ai vérifié plusieurs fois pour être sûre." Lui expliqua-t-il.
_"Ça, je te confirme qu'on ne voit rien de l'extérieur. Tu es vraiment un petit génie chanceux et ça tombe très bien, une escouade de militaire est en ce moment en train de fouiller la forêt et ils trouveront la ruine d'une manière ou d'une autre. On va devoir attendre dans ta cachette un petit moment." Ils finirent de descendre les marches. Zoé ne mit pas longtemps à s'accoutumer à la luminosité car Daryl avait allumé toutes les lampes torches pour éclairer l'endroit. 
_"Qu'est-ce que c'est que cette odeur épouvantable! On dirait de la merde de chien!" S'interdit-elle en mettant son t-shirt devant son nez.
_"Ah, ça, t'inquiètes, c'est Farid qui a pissé et chié pour marquer son territoire." Dit-il avec un sourire, amusé par le visage dégoûté de Zoé. "Je l'ai disputé, mais ce qui est fait est fait."  
_"Pour l'avoir marqué, il l'a bien marqué. Qu'est-ce que ça pue!" S'exclama-t-elle.
_"J'ai posé les fusils là, avec ma pelle et les sacs. J'ai accroché les deux morceaux de cerf là-bas, j'ai trouvé deux crochets fixés dans le plafond de béton. Ça tombait bien." Lui montra-t-il.
_"C'est le moins qu'on puisse dire." Acquiesça-t-elle. Elle prit ensuite une des torches et éclaira vers le fond de la cave qu'elle ne distinguait, malgré tout, pas. "C'est immense dis moi." Observa-t-elle. 
-"Ça oui, j'ai pas tout fouillé, mais il y a plusieurs pièces. Tu crois qu'on va devoir attendre ici combien de temps?" S'enquerra-t-il.
_"J'en sais rien, il va falloir sortir pour les guetter à mon avis." Estima-t-elle rapidement.
_"Je peux le faire sans problème." S'engagea-t-il.
_"Je vais mourir avec cette odeur de merde, mais là je suis d'accord, tu es le mieux placé pour faire le guet." Admit-elle.
_"Je vais en profiter pour remettre de la terre et des feuilles sur la couverture." Décida-t-il.
_"Sois extrêmement prudent et ne te fais surtout pas voir, ils sont lourdement armés et belliqueux." Le supplia-t-elle. Il n'était pas question qu'elle ne tienne pas sa promesse faite à sa mère.
_"Belli... Quoi?" L'interpella-t-il un peu confus.   
_"Ça veut dire qu'ils ne sont pas là pour rigoler, ni faire une promenade." l'éclaircit-elle.
_"C'est compris, mais je comptais bien être prudent tu sais." Lâcha-t-il, un peu vexé que Zoé ne lui fasse pas plus confiance. Il avait pourtant largement montré de quoi il était capable. Enfin c'était son estimation...
_"Je sais. Allez, vas, ils ne vont pas tarder." L'assura-t-elle, ayant tout de suite perçu la déception de son chasseur. On ne la lui fait pas.
Il sortit de la cave, remis terre et feuilles et prit la direction du charnier. Il le dépassa d'un dizaine de mètres et grimpa alors dans l'un des arbres qu'il avait l'habitude d'utiliser pour sa chasse. Il n'eut pas à attendre très longtemps avant d'apercevoir le matricule qui portait la mitrailleuse. Il grimpa encore quelques branches et se retrouva bientôt cinq mètres au dessus du sol, mais parfaitement invisible. Ils ne vont pas vers la ruine, se fit-il comme réflexion, tiens, ils s'arrêtent. Il l'aurait bien voulu, mais il lui était évidemment impossible d'entendre ce qui se disait. C'est leur commandant je pense, continua-t-il dans ses observations à lui-même. Il dut descendre de son perchoir pour continuer à les suivre à distance. Mais ou est-ce qu'ils vont? Se demandait-il, sa curiosité soudain piquée. Il escalada un autre de ses arbres favoris et poursuivit sa traque. Ils sont nuls ces matricules ma parole, ils ne sentent rien. Pourquoi ils vont vers la rivière et le mur, il n'y a rien là-bas? S'interrogeait-il alors qu'il devait déjà redescendre. 
Il ne décida cependant pas de les suivre, vu la direction qu'ils prenaient et retourna à la cave pour renseigner Zoé sur la situation. C'est en ouvrant la trappe qu'il se rendit vraiment compte de l'odeur pestilentielle qui régnait à l'intérieur.
_"Ouf, te voilà, j'ai cru que j'allai crever avec cette odeur." Lui avoua Zoé en le bousculant presque pour sortir prendre l'air. Farid lui enjoignit le pas. C'est dehors qu'ils firent le point.
_"Ces militaires sont des crétins, ils vont vers le mur et la rivière." Lui rapporta-t-il.
_"Il faudrait qu'on en profite pour se sauver, vu qu'on peut tout laisser ici grâce à cette cave que tu as trouvée, mais notre vrai problème, c'est Farid." Elle avait déjà envisagé toutes les possibilités et sa conclusion était sans appel. "Au fait, je crois que j'ai trouvé les propriétaires de cette ruine." Continua-t-elle en reniflant ses vêtements pour vérifier si l'odeur ne s'était pas imprégnée. 
_"Sérieux?!" S'étonna Daryl, soudain tout excité. 
_"Oui, dans une pièce aménagée et meublée tout au fond de la cave, j'ai trouvé deux squelettes, un, comme assis sur un canapé moisi et l'autre au sol tenant un ancien fusil je crois. Il y a un énorme trou dans son crâne. Farid! Viens ici!" Il avait senti les matricules et s'apprêtait à filer éliminer cette menace, mais il se ravisa aussitôt. 
_"Je peux aller voir?!" Et Daryl s'engouffra dans la cave avant que Zoé ait pu répondre quoi que ce soit. "C'est vrai que ça pue! C'est une horreur!" Lui cria-t-il de l'intérieur.
_"Et encore, tu as de la chance, la trappe est ouverte! Imagines moi, pendant que je t'attendais." Elle caressait Farid en le tenant presque par le coup pour qu'il n'aille pas perpétré un nouveau massacre. "Tout ça c'est à cause de toi." Lui dit-elle en le regardant affectueusement et en essayant de lui remué la tête qui ne bougea pas d'un centimètre. "La force que tu as, ma parole. Ça ne m'étonne pas que Drane soit en mille morceaux." Farid lui fit alors le plus beau des sourires qu'il n'ait jamais fait. Il n'en avait fait aucun jusqu'à cet instant présent que Zoé ne manqua pas d'apprécier à sa juste valeur. "C'est quand je parle de tes exploits que tu te mares! Quel phénomène tu es, j'en reviens pas." Lui concéda-t-elle.
_"Tu as raison, il a un trou énorme dans la tête." Reconnut Daryl en remontant les marches avant de sortir lui aussi respirer l'air frai.
_"Bon, qu'est-ce qu'on fait de lui? Parce que j'ai besoin de toi pour que tu me montres ou se trouve un vieux cimetière." S'impatienta-t-elle. 
_"C'est ça que tu voulais me demander?" Demanda-t-il en recouvrant la trappe avec la couverture et remettant des feuilles. Il avait tout éteint. 
_"Oui, mon père a du être enterré là-bas et je veux aller sur sa tombe. C'était un criminel, il doit sûrement être dans une parcelle pour les indigents... Il y avait une vieille grange aussi." Hésita-t-elle. De douloureux souvenirs refaisaient surface tout d'un coup. 
_"Je sais ou c'est!" S'exclama-t-il soudain.
_"Je n'en doutai pas, mais ça ne répond pas à la question pour Farid." Insista Zoé.
_"Il faut qu'on l'emmène avec nous, c'est le seul moyen, sinon il attaquera, j'en suis sûre." Affirma Daryl. 
_"La seule réponse que j'attendais et la seule que je ne voulais justement pas entendre. Alors partons. On va faire une sorte de laisse et on verra bien." Décida-t-elle.
_"Ça va être marrant."
_"si tu le dis."
Contre toute attente, Farid se laissa faire quand Daryl lui enfila la laisse. C'est Zoé qui la tiendrait. 
_"Le problème, c'est que cette grange et le cimetière que je pense sont de l'autre côté du village, il va falloir remonter et longer le mur, c'est pas grave?" S'inquiéta Daryl en se grattant le menton et la joue avec une de ses mains.
_"Il faut qu'on dégage de là de toute façon, alors filons en les contournant." Apprécia Zoé. 
_"OK, Suis moi alors." L'invita-t-il. 
Ils partirent et Farid suivit sans difficulté. Ils réussirent à contourner l'escouade sans encombre, mais c'est arrivés à l'orée de la forêt qu'il fit un mouvement de résistance, refusant de quitter le sous-bois protecteur.
L'endroit auquel pensait Daryl était lui-même entouré d'arbres, mais il y avait une relativement longue distance à parcourir à découvert le long du mur. Il était pourtant quasiment impossible qu'il soit vu ou même aperçu car le chemin que comptait emprunté Daryl était protégé par une butte, recouverte de hautes herbes, artificielle, créée par la construction du mur justement. Mais Farid l'ignorait et refusait d'avancer plus loin. 
_"Essayes de prendre la laisse toi, si ça se trouve ça marchera." Proposa Zoé en la tendant à Daryl. 
_"Pourquoi pas, on va voir." Il la prit et commença à tirer dessus pour que Farid le suive et il le suivit en effet. "Ça alors! Avec moi ça fonctionne!" S'exclama-t-il de surprise.
_"Il doit sentir que c'est toi qui connais le chemin ou quelque chose comme ça. Ou sinon, c'est parce qu'il te fait plus confiance, tout simplement. Après tout, vous avez passé pas mal de temps ensemble." Formula-t-elle comme hypothèse.
_"C'est possible." Accorda-t-il.
_"Bon allons-y, on a pas le temps de faire une étude comportementale." Pressa-t-elle. 
Ils purent ainsi reprendre leur route vers son passé. Farid ne sentit rien de suspect durant leur marche. Même quand ils se trouvèrent aux abords de la caserne pour enfants, aucun son ne parvint de cette direction. Si bien qu'ils avancèrent rapidement et ce fut au tour de Zoé de faire volt-face et de s'immobiliser quand elle aperçut la grange de son enfance à travers des arbres éparses. 
_"J'ai vécu là... Quand j'avais huit ans...Cette grange nous a sauvé la vie à mon père et à moi... Avant qu'ils ne la lui prennent en le pendant... ses ENCULÉS!" Hurla-t-elle en tombant à quatre patte, surprenant Daryl et Farid qui étaient déjà, eux, presqu'au niveau des arbres et qui n'entendirent que son hurlement de chagrin. "Et après m'avoir volé mon père, vous m'avez envoyée dans cet orphelinat de la zone urbaine et vous m'avez volé mon enfance. ENCULÉS!" Hurla-t-elle de nouveau en regardant l'herbe, les doigts enfoncés dans la terre. 
Elle souffla un grand coup et reprit son sang froid. Elle se redressa et rejoignit ses compagnons de route d'un pas lourd. Daryl ne savait absolument pas quoi dire devant une telle tristesse et attendait sans bouger. C'était le silence le plus pesant qu'il n'est jamais vécu. C'est Zoé qui le rompit:
_"Allons voir à l'intérieur." Dit-elle uniquement, d'un ton mêlant curiosité et souffrance. 
Mon père avait raison, c'est à la souffrance qu'on mesure l'amour qu'on a pour les autres. Mais elle garda cette dernière réflexion pour elle-même. Une grosse chaîne cadenassée fermait entre eux les deux battants de la porte de la grange. Le bois semblait épais et en bon état, ce qui rendait impossible son ouverture par la force, leur force...
_"Voyons si Farid saurait venir à bout de cet obstacle." S'interrogea-t-elle à haute voix, tout en tirant sur la chaîne de tout son poids pour mesurer la solidité des fixations. "Combien de temps il lui faudrait pour arracher une fixation à ton avis?" Se renseigna-t-elle auprès de Daryl, cette fois-ci.
_"Si on lui explique bien ce qu'il faut faire avant, en deux secondes il t'arrache ça facile." Lui répondit-il sans réfléchir, catégorique et parfaitement conscient des capacités musculaires de l'homme-loup. "Une fois, alors que je pêchais, et que bien sûre il était avec moi, je l'ai vu soulever un énorme rocher de la rivière et le jeter à au moins 5 mètres juste parce qu'il avait cru voir un poisson se tapir en dessous. Alors arracher ça, c'est rien pour lui." Renchérit-il.
_"Hé bien, je vais lui montrer ce qu'il faut faire dans ce cas." Conclut-elle. Elle joignit le geste à la parole et s'entreprit de lui expliquer ce qu'elle voulait de lui en tirant de toutes ses forces sur la chaîne. Elle prit ensuite les mains de Farid et la lui fit tenir. Il serra les poings autour de celle-ci. Elle recula un peu et l'encouragea à faire ce qu'elle venait de lui montrer.
_"Allez, vas-y, tire!" Lui commanda-t-elle.
Il fit ce que Zoé lui avait demandé et tomba à la renverse à au moins trois mètres des portes de la grange tant sa force l'avait éjecté en arrière. Est-il besoin de préciser que les deux poignées auxquelles la chaîne était attachée avait cédées? Non, ils les emmenaient avec lui dans ses roulades, tenant fermement la chaîne que lui avait donnée Zoé. Malgré la souffrance que ses souvenirs lui infligeaient, malgré sa tristesse et sa colère, elle se mit à éclater de rire, tant la chute en arrière de Farid était comique. Daryl l'accompagna bien volontiers dans son fou rire. Farid lui-même dut trouver la situation amusante puis qu'il ramena la chaîne à Zoé en lui offrant le même sourire que celui qu'il lui avait fait à la ruine. 
_"Il a cru que tu voulais la chaîne!" S’esclaffa Daryl qui ria de plus bel. Il évacuait aussi la pression et son rire était un peu nerveux. 
_"On est bien ici, sous le soleil, tu ne trouves pas?" Lui demanda Zoé qui s'était allongée dans l'herbe épaisse, la chaîne dans une main et les bras écartés. Farid ne bougeait pas à côté d'elle, accroupi comme à son habitude quand il attendait. 
_"Bah, je sais pas trop." Lui répondit Daryl qui commençait à ressentir la fatigue et voulait rentrer chez lui. Mais il n'aurait jamais osé l'avouer à Zoé, qui le devina sans difficulté.
_"Tu as raison." Dit-elle en se relevant. "Je vais aller vite pour qu'on puisse rentrer chez toi et se reposer. En plus ta mère nous a promis une belle assiette de cerf et de purée, je te dis pas comment ça sentait bon chez vous quand je suis repartie tout à l'heure. Je regarde à l'intérieur et on va au cimetière, tu veux bien?" Lui proposa-t-elle.
_"Comment t'as réussi à comprendre ça?" S'étonna-t-il.
_"Quoi?"
_"Que je suis fatigué et que j'aimerai bien rentrer."
_"L'observation, et l'intuition, je crois."
Elle ouvrit les battant et fut surprise de voir qu'une énorme machine agricole était garée à l'intérieur de la grange. Elle entra et longea l'engin lentement, en essayant de retrouver quelque chose qui ressemblait à ce qu'elle avait gardée en mémoire. Daryl suivait à distance et Farid était resté à l'entrée. 
_"J'ai vécu ici, tu sais, quand j'étais petite, avec mon père, avant qu'il ne se fasse pendre. Je m'étais inventée une vie avec un vieil âne et des souris qui étaient là. Mais mes souvenirs sont flous." Lui raconta-t-elle. "Je me rappelle avoir beaucoup pleuré ici après la mort de mon père, avant qu'il ne m'envoie à l'orphelinat." Continua-t-elle. 
_"Heu... Ah bon?" Bégaya Daryl qui ne savait absolument pas quoi dire. "Tu es revenue pour ça alors, voir cette grange et la tombe de ton père?" Trouva-t-il quand même comme question à poser pour rompre le silence soudain. 
_"Ça et tuer le juge, c'est lui qui a prononcé la peine de mort à l'époque." Précisa-t-elle.
_"Le juge Dinousillet! Il était déjà là?" S'étonna Daryl. "Mais il doit être drôlement vieux alors." Fit-il comme réflexion.
_"Oui, ce sale bâtard était déjà là..." Elle retint une nouvelle vague de larmes portée par une intense émotion. Elle se rappelait soudain le regard satisfait qu'il lui avait lancée alors, après avoir prononcé la sentence sur cette place maudite. Elle n'avait que huit ans et il l'humiliait quand même. "Il mérite de mourir. En plus, je suis certaine qu'il en a après Nouna." Elle n'avait pas vraiment fait attention à sa dernière phrase.
_"De quoi!?" S'exclama Daryl furieux.
_"Rien, on en reparlera, sortons d'ici et montres-moi le cimetière si tu veux bien." Le pria-t-elle.
_"D'accord, c'est tout près." L'informa-t-il en sortant et en récupérant la laisse de Farid. 
_"Attends, je vais essayer de renfoncer les poignées pour camouflé notre effraction." Elle le fit relativement facilement même si elle dut emprunter un des couteau de Daryl en guise de tourne-visse pour bien fignoler le tout. "Ça ira comme ça." Estima-t-elle enfin.
Ils ne mirent pas longtemps à atteindre le cimetière, celui-ci se trouvant à quelques centaines de mètres de la grange. D’où ils se trouvaient, ils ne pouvaient plus voir la forêt mais des étendues de champs de blé, parsemés de-ci de-là de champs de maïs et d'autres céréales sur leur gauche. Ils pouvaient aussi apercevoir l'entrée est du village et quelques toits. Sur leur droite ils pouvaient voir le mur s'étendre au loin, avec ses tours de guets et la voie ferrée qui servait à quitter ou à pénétrer dans la zone et qui servait surtout d'artère principale de communication entre les Area. C'était le seul moyen de transport rapide qui soit sûre. Tenter de traverser les déserts autrement était suicidaire. C'était évidemment plus simple quand les zones étaient mitoyennes, même si les contrôles restaient extrêmement sévères en ce qui concernait la circulation des populations.
Le cimetière était lui aussi entouré d'arbres et il était envahi de hautes herbes en tout genre, laissé à l'abandon, car remplacé par un système bien plus lucratif qui consistait à transporter tous les corps dans les hauts fourneaux du nord pour les incinérer. Sauf si on y mettait le prix pour qu'ils soient enterrés, comme l'avait fait Annette pour sa fille, mais le cimetière actuelle était plus près du village, bien à l'ouest, de l'autre côté. 
Zoé trouva enfin la pierre ou était inscrit le nom de son père, entre d'autres noms de criminels comme lui. Elle était devant une sorte de charnier, une fausse commune moderne.
_"Le nom de ton père c'est lequel?" Lui demanda Daryl.
_"Celui là." Répondit-elle avec un mouvement de tête. "Hector Cardelace, probablement le plus grand misanthrope que la Terre n'ait jamais porté." Le renseigna-t-elle.
_"Tu t'appelles Zoé Cardelace alors et pas Chloé Santois?" Déduit-il, mais n'ayant pas compris ce qu'elle voulait dire d'autre. 
_"T'es un gros malin toi. Un misanthrope, c'est quelqu'un qui méprise l'humanité, tu comprends là?" Lui expliqua-t-elle, ayant bien vu qu'il n'avait pas compris le terme. 
_"Moi je m'appelle Daryl Marshall, du nom de mon père. Ma mère elle, c'est Lestier son nom de famille, Émilie Lestier, c'est comme ça qu'elle s'appelle." Lui apprit-elle.
_"J'ai besoin d'être seule un moment, s'il te plait. Ramènes Farid dans la forêt et restes avec lui jusqu'à ce que les militaires soient partis, ensuite rentres chez toi. Je vous rejoindrais là-bas. Je ne te remercierais jamais assez de m'avoir conduite ici, vraiment merci." L'enjoignit-elle et le remerciant en le serrant dans ses bras.
Confus, la tête entre ses seins, il lui répondit, la bouche à moitié aplatie:
_"D'accord, on se retrouve chez moi."
Elle le libéra et, reprenant cette laisse de fortune, il partit en direction de la forêt avec Farid à sa suite. C'est seulement quand ils disparurent qu'elle se retourna sur la tombe de son père. Debout, devant cette pierre ou son nom était inscrit, les yeux emplis de larmes et la voix chevrotante mais déterminée, elle lui promit de le venger et de rétablir la justice en tuant cet infâme juge meurtrier.

_"Commandant! Matricule 248 au rapport, venez voir!" Hurla-t-il alors qu'il fouillait les abords de la rivière. Il venait de trouver la peau de bête d'Aszouna que Daryl avait jetée dans la rivière justement, espérant ainsi la faire disparaître. Tel ne fut pas le cas puisqu'elle s'échoua une centaine de mètre plus loin, déposée par le courant. Malgré son séjour dans l'eau, elle était encore couverte de sang. 
_"Ça ne peut que lui appartenir, beau travail matricule." Le félicita le commandant 56. "Il y a du sang, il est forcément blessé, l'autre escouade a du le repérer et lui tirer dessus. Fouillons les alentours. Espacement à trois mètres cette fois! Et gardez le silence sauf si vous trouvez quelque chose." Ordonna-t-il, persuadé d'avoir à faire à un homme.
Ils remontèrent la rivière en direction de la ruine, lentement et en silence. Il ne fit volontairement pas de point radio, car il espérait bien annoncer une capture. De la façon dont ils se déplaçaient, c'est le matricule 6759 qui vit le premier les troncs calcinés et les arbres au sol. C'est lui qui portait la lourde mitrailleuse.
_"Commandant! Matricule 6759 au rapport!" Hurla-t-il à son tour.
Quand le commandant arriva sur les lieux pour constater les dégâts, il se tint sans le savoir juste au dessus des restes de l'autre escouade, enterrée quelques heures auparavant. Le camouflage de Daryl et Zoé semblait fonctionner et finalement la découverte de la peau allait leur porter chance.
_"Je crois mieux comprendre ce qui s'est passé." Dit le commandant 56. "Ils ont du tirer sur le braconnier avec des munitions explosives, mais pourquoi? L'ordre n'avait peut-être pas encore été donné de l'attraper vivant." Poursuivit-il ses conclusions. "Ce qui est sûre, c'est qu'ils ont réussi à le blesser, quand on voit l'état de sa peau de bêtes et le sang dessus. Ils ont du le poursuivre ensuite au-delà de la rivière. Sans doute ont-ils atteint le poste de contrôle sud. Je vais faire un point radio avec le capitaine et lui expliquer la situation." Décida-t-il, les bottes à quelques mètres au dessus de la tête du commandant 72. Ce qu'il fit.
_"Les ordres sont de poursuivre les recherches et de rallier le poste contrôle. Espacement à trois mètres!" Ordonna-t-il en hurlant. 
Et l'escouade repartit sans même avoir découvert la ruine, ce qui, compte tenu de leurs convictions, ne les aurait pas éclairés davantage de toute façon. Ils allaient faire une rencontre bien inattendue...
(à suivre...)





Chapitre VII
MACABRE CRUAUTÉ
Il y avait trop de blessés graves pour pouvoir lever le camp sans les mettre en danger de mort. Segnus était bien obligé de se rendre à l'évidence, ils allaient devoir revoir leurs plans de départ. 
_"Nous manquons cruellement de moyens de transport adéquats." Se désespéra Migosh qui s'était chargé de regrouper tous les blessés sous la même grande tente pendant la nuit, transformée pour l'occasion en hôpital de désert. Il était le toubib attitré de la communauté et Véline était pour ainsi dire son bras droit. 
_"Combien y a-t-il de blessés exactement, combien peuvent marcher et combien sont dans un état critique?" Exigea de savoir Segnus d'un ton sec et ferme.
_"À quoi tu penses?" Lui demanda Véline, inquiète.
_"Tu le sais très bien, alors pourquoi tu poses la question." Lui rétorqua-t-il, clairement agacé.
_"Tu vas les tuer de sang froid!" S'écria-t-elle soudain, le retournant violemment pour qu'il la regarde dans les yeux. "Segnus, ce sont nos amis, nos sœurs, nos frères!" Lui rappela-t-elle.  
_"Ils vont mourir! Tu comprends, alors pourquoi rester et risquer des représailles? Dis-moi? C'est trop dangereux et tu le sais, aussi bien que moi!" S'emporta Segnus, n'acceptant pas l'accusation sous-entendue par son amie. "Je les connais tout autant que toi, alors si tu as une autre solution, je t'écoute." Ajouta-t-il plus calmement.
_"Nous avons jusqu'aux exécutions pour nous décider." Trancha Agnar tandis que Migosh revenait de sous la grande tente. "Je ne crois pas que ce soit le moment de prendre des décisions radicales mon ami." Lui soutint-il en posant la main sur son épaule.
_"Il y a 17 blessés, cinq seulement peuvent marcher d'eux même et cinq encore pourront mais avec de l'aide et à condition de faire des pauses régulières. Tous les autres sont dans un état trop graves pour être déplacés, même sur les chariots." Décrivit le toubib. "Comprends-moi bien Segnus, mon intention n'est pas de retarder notre départ, mais nous ne pouvons pas partir maintenant. C'est impossible pour nous en tout cas." Insista-t-il pour conclure son rapport de situation.
_"Qu'est-ce que tu décides?" S’immisça Véline qui détestait rester dans l'expectative. C'était sa nature, souvent impatiente quand il s'agissait de questions de survie, elle réagissait toujours sous le coup de l'émotion.
_"Je décide qu'Agnar a raison, nous allons attendre les exécutions et vérifier qu'Aszouna ne fait pas partie des prisonniers. Nous en profiterons pour nous occuper de nos morts. Tu as la journée pour faire en sorte que tout le monde puisse partir Migosh." Répondit Segnus sans laisser de place à la négociation. Il avait trop en tête le plan de départ et n'avait que trop conscience que l'autre camp ou se trouvaient leurs familles attendait leur signal pour rallier eux aussi la forêt sauvage.
_"Je ferais au mieux." Accepta Migosh qui avait bien senti que ce n'était pas le moment d'insister.
_"Ça te va Véline?" L'Apostropha Agnar qui connaissait bien son amie.
_"Ça me va..." Répondit-elle d'un ton morne et résigné. "Je veux faire partie de l'expédition qui va s'occuper des corps et je veux être là pour les exécutions." Exigea-t-elle, fidèle à elle-même.
_"C'est non pour les deux, tu restes aider le toubib." Lui ordonna Agnar sans ménagement. Il savait dans quel état il avait retrouver Civis et il n'était pas question pour lui que Véline le voit. 
_"De quoi as-tu peur, hein?" Le provoqua-t-elle. "J'ai le droit de le voir,je sais comment il est mort et pourquoi." Exigea-t-elle, le fustigeant du regard. 
_"Ne compliques pas les choses et obéit." Trancha Segnus avant que la conversation ne s'envenime, lui aussi connaissait bien ses deux amis. "Migosh emmènes-la avec toi s'il te plait." Et il emmena Agnar avec lui vers l'extérieur nord du campement avant qu'il puisse se défendre et, disons le clairement, s'engueuler avec son amie. "Nous avons pas mal de choses à organiser de notre côté." Lui dit-il pour finir de désamorcer la bombe.
_"J'ai le droit de savoir!... Agnar!..." Gronda Véline, retenue in extremis par Migosh qui tâcha de la calmer.
_"Je te rappelle que nous n'avons qu'une journée, alors viens m'aider, tu veux bien?" L'exhorta-t-il.
Ils finirent par repartir ensemble pour la grande tente, non sans difficultés, et reprirent leurs soins. Les moyens qu'ils avaient  à leur disposition étaient dérisoires devant l'ampleur de leurs besoins immédiats, à commencer par l'eau, mais ils ne manquaient pas de détermination. L'objectif était clair, il fallait rendre les blessés graves transportables et il manquait cruellement de civière et de temps. 
De leur côté, Segnus et Agnar établissaient les nouveaux plans et constituaient le groupe qui viendrait avec eux s'occuper des cadavres et celui qui irait informer l'autre camp, installé plus profondément dans le désert, prêt d'une oasis. Ni l'un, ni l'autre n'envisageaient de ne pas assister aux exécutions ou de ne pas être présents pour les funérailles de leurs camarades. Ils n'avaient aucun véhicule sur place et n'avaient emmené que peu de montures. En fait ils n'avaient emmené avec eux que sept dromadaires et quatre chevaux, lesquels servaient pour les deux chariots. Le groupe qui partirait prévenir la communauté ne fut donc constituer que de quatre cavaliers qui utiliseraient les dromadaires. Compte tenu de la distance qu'ils avaient à parcourir et le peu de temps qu'ils avaient, ils prirent la route sans attendre. 
_"Bien, il est temps que nous allions chercher les corps de nos frères d'armes." Estima Segnus. "Préparez un des deux chariots et rejoignez nous à la dune nord." Ordonna-t-il.  
_"Je fais quoi moi?" Demanda Agnar.
_"Toi tu vas venir  m'aider à vérifier l'armement avant qu'on y aille." Lui répondit-il.
Il leur fallut moins d'une heure pour être prêt et prendre la route du lieu des explosions, théâtre d'un massacre horrible pendant la nuit. L'horreur atteignit son comble quand ils arrivèrent enfin. 
Il n'y avait plus aucune trace d'une quelconque escarmouche. Les deux cratères de bombes, les stigmates des explosions moins fortes des tirs de fusils, les pas, les sillons creusés par les blessés rapatriés, les corps des victimes, le sable gorgé de sang, tout avait disparu, il ne restait plus rien. 
Il ne restait plus rien, rien, sauf vingt-neuf têtes plantées sur vingt-neuf pieux en bois. Sur six des pieux une lanterne avait été accrochée.
_"Comment ont-ils fait? Comment ont-ils fait pour qu'on ne se rende compte de rien? Comment ont-ils pu tout nettoyer sans qu'on les entende? Regardez! Ils ont même déplacé une des dunes d'une vingtaine de mètres!" S'exclama Agnar, complètement interdit devant un tel spectacle. 
_"Ils ont des engins silencieux, je les ai déjà vu opérer il y a une dizaine d'années, après qu'ils aient presque décimé toute ma communauté d'alors. C'était bien plus à l'est d'ici, nous nous étions installés prêt des montagnes. Ils étaient venus nous voler les nouveaux nés et nous avons eu tort de résister, leurs machines volantes nous ont envoyés une salve de missiles et s'en était terminé de notre résistance. Ensuite, ils sont venus tout effacer, ils ont emmené tous les corps et brûlé le camp avant de planter toutes les têtes sur des pieux, il y en avait plus d'une centaine." Leur expliqua Ardus, un vieux briscard que tout le monde appelait Parfeu à cause de son visage et son crâne rasé à moitié brûlé. Il lui manquait l'oreille du côté des brûlures et son œil était touché lui aussi, mais il restait un combattant d'exception et un tireur hors-paire. "Nous les avons laissées, toutes les têtes nous les avons laissées là et nous avons fuit comme des rats. Nous étions moins de dix..." Leur avoua-t-il enfin, la gorge serrée par l'émotion. Il n'avait encore jamais raconté cette histoire à personne, expliquant toujours ses cicatrices par un incendie de tente accidentel. "Ils ont emporté ma fille ce jour là, elle n'avait que six mois." Il baissa la tête et se tut.


_"Hé bien nous ne ferons pas de même." Réagit Segnus en lui tapant affectueusement le dos. "Nous allons tout emporter, les pieux aussi, nous en avons besoin pour le toubib. Ne perdons pas de temps, allons-y. Soyons rapides et discrets." Commanda-t-il à tous. 
_"Pourquoi les six lanternes, Parfeu?" Demanda Sivir, une farouche combattante elle aussi, et n'allez jamais lui dire qu'elle combat comme un homme. 
_"Ça c'est un avertissement pour leurs pertes, nous avons du tuer six de leurs hommes." Lui répondit-il d'un ton morose. "Il y aura des représailles, ça ne fait aucun doute." Ajouta-t-il, mais d'un ton de défiance cette fois. 
Il l'ignorait évidemment, mais ils n'avaient tué que trois matricules, enfin quatre si on compte qu'un avait succombé à ses blessures. Les deux autres blessés furent exécutés pour l'exemple, ce qui portait bien le total à six.
_"Vingt-neuf des notre pour six des leurs, que le désert les emporte!" Clama Agnar en direction du mur. On pouvait y voir l'énorme brèche qui justifiait toutes ces pertes. Mur contre lequel leurs camarades prisonniers allaient bientôt être pendus. Mais l'interrogatoire était pire encore. Les pauvres subirent les deux, vivant la pendaison comme une délivrance.
_"Ils nous ont forcément vus récupérer les têtes des notre." Dit Segnus en saisissant ses jumelles et scrutant le mur. Mais aucune activité suspecte n'était discernable. "Ils veulent que nous assistions à la pendaison de nos camarades, c'est pour ça qu'ils ne tentent rien à mon avis." Interpréta-t-il cette absence de réaction. 
_"Ils ont capturé ou tué toute l'équipe qui était chargé de poser la bombe, ça fait au maximum neuf des notre." Calcula Sivir en s'allongeant à côté d'Agnar et Segnus. 
_"Et ma sœur en faisait partie..." Ajouta Agnar.
_"C'est ce qu'on est venu vérifier, non?" Le coupa son ami. 
_"Je vais ramener le chariot au camp." Proposa Parfeu avant qu'Agnar n'ait eu le temps de répondre. "Les exécutions ne m'intéressent pas et je serais plus utile là-bas." Informa-t-il ses camarades.
_"Vas-y, le toubib sera content pour les pieux et, dans un sens, ça m'arrange de ne pas avoir à affronter Véline quand elle verra que nous ne rapportons que la tête de Civis." Avoua Segnus.
_"C'est presque mieux comme ça." Déclara Agnar. "Son corps était éparpillé et elle aurait encore plus mal réagi si on l'avait ramené en morceaux. Je me demande d'ailleurs pourquoi ces salopards de militaires ont emporté tous les corps." S'interrogea-t-il enfin, en prenant les jumelles des mains de Segnus. 
Parfeu disparut avec le chariot derrière la première dune tandis que le reste du groupe se camouflait sous le sable, tels des scorpions, pour attendre les exécutions sans être repérable. 
Ardus sifflait nonchalamment, peu enclin à la tristesse, le cœur endurci et la gueule cassée, mais il s'immobilisa soudainement. Une sueur froide lui parcourut l'échine. Il saisit un des deux chevaux, laissa le chariot sur place et fila en trombe vers le camp principal ou étaient les familles.
Quand il arriva, l'autre groupe chargé d'apporter les nouvelles directives l'avait précédé de peu, mais il était trop tard de toute façon, l'attaque des militaires avaient déjà eu lieu. Elle avait été aussi rapide qu'inattendue, mais contre toute attente, il y avait peu de morts. Ils avaient attaqué de nuit, au moment ou le camp était le plus vulnérable, par hélicoptères d'abord, avant de lancer un assaut terrestre. 
_"Ils ont volé six bébés et sont repartis aussi vite qu'ils étaient venus." L'informa le responsable de la défense du camp en leur absence. Il s'était précipité dans sa direction dès qu'il l'avait aperçu. "Ils ont tué les parents et tout ceux qui ont voulu s'interposer. Ça fait vingt-trois hommes, dix-huit femmes et neuf enfants tués au total. Parfeu... Pourquoi?!" Lui hurla-t-il en tombant à genoux.  
_"Ce sont leurs représailles, nous avons tué six des leurs pendant le combat. Relèves-toi, allez, ça ne sert à rien de t'en vouloir." L'enjoignit-il en l'aidant à se redresser, avant d'ajouter: "Je sais que c'est dur à entendre, mais estimes toi heureux d'être en vie et qu'ils n'aient pas décimé tout le camp."
_"Nous n'aurons personne à pleurer, ils nous ont volé notre unique camion et emmené tous les corps avec, c'était comme s'ils savaient à l'avance tout ce que nous avions." Continua d'expliquer Malvin, des larmes de rage dans les yeux.
_"Nos camarades ont du parler pendant leurs interrogatoires, ne leur en veut pas." Conclut Parfeu d'un ton froid, mais compréhensif malgré tout.
_"J'ignorais qu'ils avaient fait des prisonniers." Lui rendit-il.
_"Bon, faites ce que vous pouvez, je retourne prévenir Segnus et les autres, vous avez vingt-quatre heures pour vous préparer et partir pour la forêt." Lui intima Parfeu tout en remontant sur son cheval. "Et ne t'inquiètes pas, ils ne reviendront pas." Certifia-t-il pour clore la conversation.
_"Attends!... Ne le dis pas tout de suite à Migosh, mais sa femme et sa fille ont disparues. Elle... elle est morte en voulant les empêcher d'emmener leur enfant." Le prévint Malvin avant de taper le cul de l'animal. "Parts maintenant, nous savons ce que nous avons à faire. Nous gardons les dromadaires et ses cavaliers, c'est tout."
_"Entendu." Et Ardus s'élança dans le désert.
Comment allait-il pouvoir expliquer tout ça aux autres? Il l'ignorait encore. Comment allait-il pouvoir apprendre ces pertes terribles à ses amis? Il n'avait pas le temps de se poser ces questions. Il filait sous le soleil, soulevant une poussière grise foncée derrière lui et ne dérangeant aucun fennec. Lui, le vieux briscard que plus rien n'impressionnait, redécouvrait l'appréhension, ce vieux serpent du désert redécouvrait une sensibilité qu'il avait cru définitivement brûlée. 
Revenu à son point de départ, il constata que le chariot et la deuxième monture n'avaient pas bougé. Il s'était pourtant écoulées plusieurs heures. À la position du soleil, il estimait au moins trois. Mais les pendaisons n'avaient tout simplement pas encore eu lieu. Son groupe attendait toujours sous le sable, il en était convaincu. Il décida donc de rattaché son cheval au chariot et de reprendre la route du campement avancé. Il ne pressa cependant pas le pas.
_"J'en étais sûre! Ne te l'avais-je pas garanti mon ami! Je connais ta sœur aussi bien que toi, je savais qu'elle leur échapperait!" S'exclama soudain Segnus alors que quatre des leurs venaient d'être littéralement jetés au dessus du au mur et se balançaient encore, le ventre ouvert de haut en bas et les tripes pendantes. 
_"Comment pouvons-nous nous réjouir en de pareilles circonstances?" Lui rétorqua Agnar, alors qu'il était sûrement plus soulagé que son ami, mais que la colère envahissait peu à peu devant ce spectacle macabre. "Comment puis-je être heureux de voir quatre de nos frères mourir?" Se reprocha-t-il.
_"Parce qu'ils ne sont pas cinq." Lui répondit Segnus en posant sa main sur son épaule. "Parce qu'Aszouna est vivante et qu'ils ne meurent pas pour rien." Il ignorait tout du massacre perpétué en représailles, en plus de cette pendaison ignoble à laquelle ils assistaient. "Rentrons maintenant, ne restons pas à porté de leurs tirs!" Décréta-t-il à l'attention de tous. Ils se replièrent en silence et rentrèrent sans motivation. 
_"Si elle leur a échappé et qu'elle est dans la zone, je suis sûre qu'elle va essayer de rejoindre la forêt." Affirma Agnar. "Nous allons devoir faire au plus vite si nous voulons la sauver." Réfléchit-il tout haut, malgré lui.
_"Non, tu ne feras pas ce à quoi tu penses mon ami." L’interpella Segnus.
_"Et à quoi je pense gros malin?" L'interrogea-t-il sur un ton provocateur.
_"Tu ne partiras pas seul à sa rencontre, je te l'interdit." Lui répondit-il simplement, certain d'avoir compris ses plans.
_"D'accord, tu marques un point, mais tu ne m'empêcheras pas de partir dès l'aube prochaine..." Lui concéda Agnar.
Il s'arrêta soudainement de parler, surpris par le spectacle qui s'offrait à lui. Ils arrivaient aux abords du camp qui était en pleine effervescence, mais qui transpirait la tristesse et la morosité de partout. Véline et Parfeu les attendaient devant, le visage fermé, Véline clairement saisie par l'émotion. Il n'y avait aucune bonne manière de leur annoncer la macabre nouvelle, aussi Parfeu fut le plus direct et précis possible. Ils l'écoutèrent, abasourdis par ce qu'il leur rapportait, mais Segnus réagit avec aplomb:
_"Dans combien de temps penses-tu qu'ils pourront lever le camp?" Demanda-t-il, adoptant clairement une position de chef. Il était devenu froid et directif, dur et impitoyable. 
_"Segnus, ta femme et tes deux fils sont morts! Comment peux-tu réagir de la sorte?!" Lui cria Sivir en le saisissant par le bras. Il l'attrapa alors violemment par la gorge et la plaqua au sol sans ménagement. Il prit son arme dans le mouvement et lui colla le canon de son flingue sur le front avant qu'elle ait pu faire quoi que ce soit. Il la regarda droit dans les yeux, rangea son revolver et se releva, la laissant là, complètement déconcertée, presque consternée. 
_"Je leur ai donné vingt-quatre heure et l'autre groupe est resté là-bas, ils ont donc quatre dromadaires supplémentaires." L'informa Parfeu, indifférent à ce qui venait de se produire ou peut-être trop compréhensif.
_"Nous partiront donc à l'aube, comme tu le souhaitais mon ami." Dit-il à l'attention d'Agnar. Son regard était distant et inexpressif. "Je vais voir le toubib, vous, aidez les autres à lever le camp." Ordonna-t-il, livide, second... 
_"Segnus!..." L'appela Véline, mais Parfeu s'interposa tout de suite.
_"Laisses-le, il sait ce qu'il a à faire." Lui dit-il durement.
_"Mais il va les tuer, Agnar, intervient." Le somma-t-elle. Mais il ne bougea pas, résigné et partit aider un groupe qui chargeait les tentes sur un des chariots. Deux coups de feu venant de la tente médicale déchirèrent le vacarme ambiant et stoppèrent net l'ensemble du camp. Mais tous reprirent bien vite leurs activités, trop conscients de l'horreur qu'ils vivaient. 
_"Comment pouvez-vous?!" Les fustigea Sivir en se relevant à son tour.
_"C'est la guerre... N'est-ce pas?" Lui répondit Véline, retirant les mots de la bouche de Parfeu et le regardant droit dans les yeux d'un air de mépris. 
_"C'est ça. Alors maintenant au travail, le temps des lamentations n'est pas venu." Leur renvoya-t-il, relativement excédé.
Elles se dirigèrent toutes deux vers la tente médicale et lui alla s'occuper des chevaux. Elles découvraient, bien malgré elles, que la frontière entre une macabre cruauté et l'instinct de survie était ténue. Il n'y eut pas d'autres détonations.
Sous la tente, l'horreur était indescriptible, le sang, les morts, les cris et Segnus devenu fou, près à tuer Migosh qui le retenait par le bras armé pour l'empêcher de commettre d'autres crimes. Véline et Sivir intervinrent immédiatement pour maîtriser Segnus qui poussa un hurlement terrible avant de céder et de s'écrouler à genoux, succombant à sa souffrance et pleurant comme un enfant.
_"Ma famille..." Murmura-t-il au milieu de ses larmes. Véline s'agenouilla à ses côtés et le serra dans ses bras.
Le toubib n'était toujours pas au courant pour les siens, même s'il savait pour le massacre et continuait de s'opposer à l'urgence du moment en soutenant qu'il fallait attendre encore. 
_"Nous partons à l'aube toubib et tu as assez de civières à présent... Alors préparez-vous pour le départ." Ordonna Segnus en rangeant son arme et s'essuyant le visage avec l'autre main. Il se redressa avec l'aide de Véline, regarda le toubib d'un regard noir et insista: "À l'aube toubib. C'est clair." Et il quitta la tente pour rejoindre Parfeu. Il prit un cheval, le prépara et l'enfourcha.
_"Je part pour l'autre camp, je n'ai plus rien à faire ici, prévient les autres." Lui indiqua-t-il avant de s'élancer au galop dans l'obscurité naissante, un nuage de poussière derrière lui.
Argus l'observa sans dire un mot et retourna s'occuper des autres montures. Il ne lui dit jamais, mais Segnus lui fut toujours reconnaissant pour son silence d'alors.
_"Ou va-t-il?" Lui demanda Agnar qui arrivait en courant.
_"Il est parti pour l'autre camp, il m'a demandé de vous prévenir, bah voilà, c'est fait." Lui répondit-il d'un ton morne tout en continuant ses soins.
_"Je le comprend... Et puis, je le connais... comme ça, il m'oblige à rester ici pour superviser les opérations." Reconnut Agnar, prêt à assumer cette responsabilité. Il se dirigea tout naturellement vers la tente médicale.
_"Comment pouvions-nous prévoir?" Demandait Sivir en fabriquant de quoi transporter les blessés avec les pieux ramenés par Parfeu, alors qu'il pénétrait dans la tente.
_"Nous ne le pouvions pas." Lui répondit-il. "Occupons-nous des morts, Véline, vient m'aider, nous brûlerons aussi les têtes de nos camarades. Nous les rendrons à l'esprit du désert sans cérémonie et c'est peut-être mieux ainsi." Décida-t-il.
Il lança un regard réprobateur à Migosh avant de sortir avec Véline et le premier corps. Il lui manquait les deux jambes...
Quand vint le moment de brûler les restes des leurs, Véline saisit la tête de Civis et, avant de la jeter dans le feu, récita une courte prière, pour que son esprit ne voyage pas seul:   

"À l'esprit du désert nous te rendons,
Qu'il ouvre ton cœur et t'emporte au loin.
Que le vent devienne ton compagnon,
Et que ton esprit nous montre le chemin...

Oh! Esprit du désert, accueille tes fils,
Et donne leur le secret de l'existence.
Oh! Esprit du désert accueille tes fils,
Que leur mort soit une délivrance..." 
  
Quand ils eurent fini leur sombre mais inévitable tâche, Agnar la prit par les épaules, la regarda avec tendresse tout en essuyant ses larmes et l'embrassa sur les lèvres tendrement. À son tour elle le regarda en prenant son visage dans ses mains et lui rendit son baiser avec la même tendresse. Ils avaient tout simplement besoin de ressentir un peu d'amour et d'humanité, après toutes ces macabres cruautés qui les en avaient éloignés. 
À la nuit tombée, le camp n'existait plus et ils étaient près à partir. Seulement quelques feux trouaient l'obscurité et trahissaient leur présence, mais ils n'avaient remarqué aucun signe suspect venant du mur et des militaires. Le calme régnait et tous se reposaient un peu avant le grand départ, sauf Agnar qui vérifiait les deux chariots. Il pensait à sa sœur et espérait qu'elle allait bien, sans pouvoir s'imaginer une seule seconde qu'à quelques kilomètres de distance, elle était en train de se faire recoudre ses plaies dans le dos, lesquelles avaient été faites non pas par des militaires, mais un animain furieux qui protégeait les siens. 
Il leur faudrait une bonne journée, ou plus, pour rejoindre la forêt sauvage et retrouver les rescapés du "massacre des dunes", comme il fut nommé, les survivants du camp familial, aussi il se résolut à se reposer un peu. Il vérifia les chariots et l'équipement puis rejoignit Véline près d'un des feux. Elle dormait et avait l'air si innocente dans son sommeil qu'Agnar ne put s'empêcher de sourire. Il s'allongea prêt d'elle et sombra dans un sommeil bien plus agité que son amie. Pourquoi pas la paix et le partage? Eut-il comme pensée. Et il s'endormit sur cet espoir.
(à suivre...) 
     

_"Allez déposer la viande dans les congélateurs, et vous, mettez les sacs de farine ici." Ordonna Clémence aux trois ouvriers agricoles qui venaient la livrer sous une lourde escorte militaire et une lourde chaleur. Elle était épicière et tenait une des deux épiceries de la zone urbaine ou elle vivait avec Morgane. 
Elle avait également ses entrées dans le bureau du juge local en tant que conseillère judiciaire, titre quasiment inventé pour elle par pression politique de son père. Sa position avait été d'autant plus renforcée à la mort de son mari quelques années auparavant, qu'elle avait obtenu alors l'important contrat de livraison de la centrale électrique en nourriture. Cette obtention s'était faite par décision judiciaire en compensation du préjudice moral subit, ce qui n'avait laissé aucune place à la concurrence. Cela la plaçait tout naturellement numéro trois du gouvernement de l'Area grise 54, derrière le responsable militaire et le juge.
Elle avait un pouvoir considérable mais ne cherchait pas à l'exercer outre mesure sinon pour s'opposer à la peine de mort à chaque fois qu'elle le pouvait. Cela lui valait de jouir d'une bonne image auprès de la population civile et religieuse. 
Elle avait bien conscience qu'être fille de juge lui avait ouvert toutes les portes, même si elle avait du étudier dur, malgré tout, pour obtenir sa licence d'épicier, et elle tâchait de se montrer humble en toutes circonstances. Mais là, elle n'avait pas de temps à perdre, il fallait encore qu'elle livre la centrale et elle ne voulait pas arriver trop tard chez ses parents pour pouvoir profiter de Morgane. Elle avait, comme tous hauts responsables, été informées de l'attaque du mur nord par les braconniers et avait obtenu un laissez-passer exceptionnel pour rejoindre l'Area verte 44, bouclée jusqu'à la journée du troc ou tout devenait légal.
Tout sauf le meurtre, rendu illégal depuis la mort de Farid, son mari et père de Morgane, tué au cours d'une de ces journées. Elle avait réussi à faire en sorte que ce crime soit puni, mais pas par la peine de mort. En l’occurrence, elle avait obtenu, sous proposition de l'armée, que le bannissement soit la peine infligée. Elle s'était même étonnée, à l'époque, que son père soit si favorable à une telle mesure, lui qui ne jurait que par la pendaison en place publique. Mais bien des interrogations demeuraient en suspend autour de la mort de son unique amour.
Cette journée était devenue pour elle et sa fille un bien triste anniversaire et elle avait toujours fait en sorte d'être avec elle ce jour là. 
_"Allez! Dépêchez-vous! Nous avons encore des pains à cuir nous!" S'exclama-t-elle, relativement excédée mais surtout impatiente. "Vous ne pouvez pas les aider à décharger vous?" Lança-t-elle à l'attention de l'escorte militaire qui surveillait benoîtement la livraison des denrées. Ses deux commis étaient déjà occupés à la découpe de la cinquantaine de volailles que leur patronne avait commandée; réservée serait plus juste d'ailleurs et ne pouvaient donc pas aider. Les matricules ne bougèrent pas.
_"Nous ne sommes pas autorisés à abandonner nos postes mademoiselle, vous connaissez la procédure." Lui répondit calmement le commandant, visiblement habitué à ses sautes d'humeur, avec un sourire de circonstance. Clémence le regarda amusée et lui rendit son sourire.
_"Vous avez raison." Dit-elle. "Je suis toujours impatiente et cette attaque me rend nerveuse." reconnut-elle sans pour autant vraiment réussir à se calmer.
Elle ne pouvait pas le savoir, évidemment, mais parmi les trois ouvriers agricoles qui la livraient se trouvait Keith, le père de Daryl. C'est lui qui déchargeait le lait en tant que responsable de sa production à la ferme centrale. C'est Clémence qui se chargeait de fabriquer le beurre et la crème quand la production était suffisante, ce qui n'était pas le cas cette fois-ci. Il faut préciser que cette livraison, pourtant prévue, avait nécessité l'autorisation spéciale de son père et s'était préparée dans une relative urgence. Un bouclage de zone était très grave comme décision et ne permettait que peu d'abus de pouvoir. 
Dans ces cas là, l'armée, et ses dirigeants en particulier, prenait un malin plaisir à rappeler à la justice que c'était elle qui contrôlait tout  et maintenait l'équilibre au final. Il en allait de la survie de leur espèce, justifiaient-ils systématiquement. Comment, dès lors, leur opposer une fin de non recevoir? D'autant que la souplesse de leur dictature, intelligemment mesurée, tendait à rendre dérisoire tout argumentaire de l'opposition, laquelle était censurée et repoussée à l'extérieur des murs de toute façon. 
La plupart des opposants au régime terminaient dans les mines du nord ou étaient exécutés. Les plus chanceux d'entre eux étaient recrutés par la guilde des voleurs, quant aux autres, nul ne saurait le dire... Probablement dévorés par des hommes-loups, mais les zones inexplorées des villes frontières regorgeaient de mystères et d'histoires en tout genres, de légendes même.
Comme à son habitude, elle offrit une tranche de pain beurrée, un verre d'eau fraîche et une cuisse de poulet cuite au thym à chaque ouvrier. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit d'offrir quoi que ce soit aux matricules. Ils mangèrent tout trois de bon appétit puis le convoi repartit, cette fois en direction de l'autre épicerie de la zone. 
Elle ne bénéficierait, de son côté, pas d'escorte militaire pour sa livraison à la centrale, mais ce n'était pas la source de ses inquiétudes, la zone était bien trop sécurisée pour risquer quoi que ce soit. Elle voulait juste finir le plus vite possible pour voir sa fille et s'inquiétait simplement du temps que son travail allait prendre.
Depuis la mort de Farid, elle avait décidé de vivre au dessus de son épicerie et occupait avec Morgane les deux étages supérieurs. Elle faisait pousser ses épices sur le toit plat de la bâtisse, du thym, du persil, du romarin et même de la lavande, comme il lui avait appris. Il disait toujours que la lavande était le vrai parfum de l'amour. 
Elle avait la chance de posséder en plus une arrière cours dans laquelle un énorme laurier avait élu domicile, ce qui lui permettait d'aromatiser ses plats sans augmenter leurs prix. C'était comme si elle voulait réparer une inexorable injustice. Sa philosophie avait toujours été qu'on change mieux un système de l'intérieur et le système que son père imposait lui était insupportable. Avoir en permanence des militaires qui surveillent son magasin, en prétendant le défendre et qui l'escortent dans la majorité de ses déplacements et en particulier de ses livraisons, lui semblait être plus un privilège qu'une réelle mesure de protection. Elle se demandait souvent, sans pour autant en connaître la réponse, comment l'humanité avait pu en arriver là, à supporter une dictature militaire avilissante et comment le monde pouvait être avant les mégas éruptions? Elle se rappelait de cette question que son prof en étude comportementale leur posait souvent pendant ses études d'épiceries:
_"Demandez-vous toujours comment l'esprit supérieur de la planète peut avoir une intelligence à ce point étouffée par la faim? Vous comprendrez mieux alors pourquoi plus que la peur, la faim rend les hommes dangereux et contrôlables. La docilité humaine revêt bien des aspects, réfléchissez-y." Exhortait-il. Elle ne le sut jamais, mais cet homme était aussi conseiller spécial auprès des autorités en psychologie de masse. C'est à lui et quelques autres penseurs éclectiques que l'armée devait la conceptualisation du principe de soupape et la mise en place de la journée mensuelle du troc. 
La confiscation plutôt que la destruction de la connaissance était un des secrets de la longévité de cette dictature. La peur, la faim et la mort étaient ses trois piliers constitutifs. 
_"Est-ce que la survie de l'espèce humaine justifie tous les sacrifices, toutes les exactions? Ne vaudrait-il mieux pas que nous retournions tous à la terre?" Avait-elle interrogé, un jour qu'elle n'oublierait jamais, ce professeur.
_"Mourir de faim n'a jamais été un acte suicidaire et encore moins de masse, la faim est votre réponse mademoiselle." Lui avait-il alors répondue avec un certain mépris, souligné par un manque patent d'explication.
_"Et pourquoi pas l'amour?" Lui avait alors rétorqué un étudiant de la salle. C'est là qu'elle était tombée amoureuse de Farid. Il suivait ce module pour le plaisir, disait-il.
_"Si vous aviez suivi correctement mon cours, jeune homme, vous sauriez que toute société humaine se fonde autour de trois besoins fondamentaux, se nourrir, se chauffer et se reproduire. L'amour n'a rien à voir dans tout cela." S'était expliqué Monsieur Chlaster.
_"Je crois que c'est justement dans la reproduction que se situe l'amour, monsieur, nous ne pouvons pas l'ignorer, appelez cela comme vous voulez, de l'attachement ou de l'instinct hormonal, il n'en reste pas moins vrai que bien des hommes ou des femmes se sont sacrifiés par amour." Avait Polémiqué Farid. Elle partageait tellement son point de vue et encore maintenant, des années après, ses mots résonnaient dans son esprit. 
_"Vous avez raison, bien des sentiments complexes naissent de ces besoins, mais ils ne sont pas indispensables à la survie de l'espèce, vous en conviendrez. Et nous en revenons à ma question de départ." Avait conclu le prof.
Elle était tellement prise par ses réflexions et ses souvenirs qu'elle n'entendit pas son commis la prévenir que le chargement était terminé. Des larmes lui coulaient le long des joues et la tristesse envahissait son cœur. Elle sursauta quand elle prit enfin conscience de la présence de ses employés qui la regardaient légèrement inquiets.
_"Est-ce que tout va bien Madame?" S'enquerra un des deux commis. 
_"Oui, tout va bien." Mentit-elle. "Est-ce que vous avez fini?"
_"Oui madame, tout est prêt." L'informa-t-il.
_"Bien, alors allons-y. Lucien, tu restes nettoyer l'épicerie, je voudrais fermer tôt." Exigea-t-elle. "Ils s'occuperons de décharger pour une fois." Revendiqua-t-elle.
_"Ce sera propre à votre retour." L'assura Lucien. 
Le véhicule de livraison était une sorte de blindé à ciel ouvert armée d'une mitrailleuse lourde, permettant de contenir plus de deux tonnes de cargaison, ce qui n'était jamais arrivé, et trois militaires, ce qui arrivait en revanche fréquemment. C'était le camion standard fourni par le gouvernement. Ils quittèrent bientôt l'avenue principale et disparurent en direction de la centrale.


Zoé ne défricha pas la sépulture de son père et s'assit simplement devant la pierre ou était gravé son nom. Ses souvenirs envahissaient ses pensées et elle se remémorait ce jour ou il avait attaqué l'épicier. Elle avait tellement faim et froid. Elle grelottait dans ses bras, ils étaient dans la grange... Elle avait huit ans.
_"Papa?" 
_"Oui ma chérie?"
_"Est-ce qu'on va mourir?"
_"Bien-sûre que non. Je te le promet Zoé, ne t'inquiètes pas."
_"Mais j'ai tellement faim et froid, papa, je veux retourner au chaud et manger, même si les gens sont méchants là-bas."
_"Tu sais très bien que c'est hors de question, je ne serais jamais esclave de leur système. Je vais faire un feu, mais ne te plaints pas pour la fumée." La prévint son père.
_"Oui, promis." Lui promit-elle.
_"Oui qui?" Demanda-t-il avec le sourire.
_"Oui papa." Lui répondit-elle d'un ton espiègle et innocent.
_"Je t'aime ma puce."
_"Moi aussi je t'aime papa. Mais j'ai trop faim..."
_"Une fois que tu seras réchauffée, nous irons chercher à manger chez le charlatant, d'accord?" Lui promit-il en replaçant ses cheveux. Ce fut alors le dernier câlin qu'elle fit avec son père.
Elle se rappelait nettement le regard empli de tendresse et de désespoir qu'il avait et sa façon de la rassurer. Mais l'épicier refusa de les servir ce jour là, prétendant que le bon alimentaire que lui présentait Hector n'était pas valide. Ce jour là, elle vit son père en colère pour la première fois. Sa colère et sa violence quand il tira dans le genoux de l'immonde bâtard. Elle avait alors pu manger deux petits fromages de chèvre et boire un peu d'eau avec un morceau de pain, volés. L'épicier hurlait derrière son comptoir, écroulé et se tenant la jambe ensanglantée. Les matricules accouraient de l'extérieur. 
_"Je vais me faire arrêter ma puce et ils vont me tuer." Lui expliqua son père tandis que les militaires tentaient d'ouvrir la porte. "Il faudra que tu sois forte et courageuse. Tu sais que je t'aime plus que ma vie et que je t'aimerai même par delà la mort. Tu dois vivre. Promets-moi que tu feras attention." L'obligea-t-il en pleurant.
Elle le revoyait encore se faire emmener sans ménagement par les matricules, pour les cellules de la maison de la justice. Puis vint l'ersatz de procès et l'ignoble pendaison. Elle avait attendu son placement en orphelinat dans une grange enfumée en compagnie d'un âne et d'un couple de souris imaginaires. 
_"J'ai tenu ma promesse papa." Affirma Zoé, revenue dans le présent, les yeux fixés sur le nom de son père et les larmes dégoulinant de son visage. "Maintenant, je vais nous venger et rétablir la justice. Je te le promet..."
Elle resta un moment silencieuse, regarda une dernière fois le nom de son père et quitta les lieux sans se retourner. Tout son passé d'orpheline s'appropria alors ses dernières résistances et elle s'écroula de chagrin, comme une enfant inconsolable. Toutes ses forces semblaient l'avoir abandonnée, seulement sa solitude lui susurrait encore des mots de réconfort dans son abîme. Les seules paroles auxquelles elle n'a jamais accordées d'importance étaient celles de son père et elles résonnaient dans son esprit comme des tambours funèbres.
_"Pourquoi? Papa, pourquoi?!" Gronda-t-elle. "Quel est le sens de nos vies?" Aucune réponse ne vint... Elle n'en attendait pas.  
Elle se releva et marcha nonchalamment le long du chemin qu'elle avait emprunté à l'allé, sauf qu'elle prit la direction du village et de la maison d'Émilie à la place de celle de la forêt. Elle espérait que tout s'était bien passé pour Daryl et Farid, mais l'absence de nouvelle alarme la rassurait. L'après-midi touchait à sa fin et elle commençait à ressentir la fatigue de la nuit qu'elle venait de vivre, la pression retombant. On pouvait apercevoir au loin un orage s'abattre sur le désert, d'immenses nuages noirs envahissant le ciel et fondant sur terre en une lourde pluie, donnant l'impression qu'un voile sombre était tiré pour masquer l'horizon. Il n'arrivera pas sur nous pensa Zoé qui entrait enfin dans le village.
_"Zoé, ma puce, ce que tu dois développer par dessous tout, c'est ton sens de l'improvisation. Dis-toi toujours que rien n'arrive comme on l'aurait voulu, mais il vaut mieux se donner les moyens de réussir. Rappelles-toi mes paroles, je sais que tu es intelligente, mais surtout, n'oublies jamais que je t'aime. Tu es ma fille." Lui avait dit un jour son père. Ces mots, il les lui avait prononcés dans la grange, peu de temps avant son arrestation. 
Elle n'était pas dupe des mystères des méandres de l'esprit et elle savait pourquoi ces moment remontaient à la surface de ses souvenirs. Elle ne saurait dire combien de fois elle se les était rappelés durant sa courte existence. D'autant qu'aujourd'hui était un jour particulier, car c'était le quinzième anniversaires du désastre de sa vie et elle en avait parfaitement conscience. Mais il n'était pas question pour elle qu'elle se laisse submerger par ses émotions, elle avait une promesse à tenir. Jamais elle ne se plierait à un pouvoir en place, jamais sans bonnes raisons en tout cas et il n'en existe aucune. 
C'est chassant ces pensées qu'elle arriva devant la porte d’Émilie et frappa. Elle fut accueillie avec joie mais celle-ci fut de courte durée, car l'absence de Daryl inquiéta aussitôt sa mère et elle par la même occasion. Qu'est-ce qui pouvait l'avoir retardé à ce point? Ce ne pouvait être que Farid, mais pourquoi?
_"Ou est Daryl?" Faillirent-elles demander en même temps. Zoé expliqua alors les raisons de leur séparation, ce qu'Émilie comprit avec beaucoup plus de compréhension qu'elle ne s'y attendait.
_"Je suppose qu'il arrivera par les toits, comme à son habitude, quand il l'aura décidé... Je le connais, il ne prendra pas de risque inconsidéré." Se rassura sa mère.
Elle l'invita à s’asseoir, elle avait besoin de parler de toute façon. Finalement, l'éloignement de Daryl tombait bien. Elle lui raconta alors l'histoire la plus douloureuse qu'elle n'ait jamais eu à conter à personne. Nouna était là, assise, et préparait un troisième rôti de cerf pour la journée du troc. Elle était particulièrement concentrée et se débrouillait très bien. Elle avait le visage resplendissant.
_"Vous avez parlé rapidement de ce que vous avait appris l'autre matricule tout à l'heure...?" Introduit-elle son récit.
_"Oui en effet, pourquoi?" répondit Zoé clairement inquiète.
_"Il vous a dit la vérité, ils prennent ou achètent les nouveaux nés. Daryl a une grande sœur et il ne le sait pas." Avoua-t-elle au bord des larmes et le discours relativement décousu. "Nous l'avons vendue aux militaires presqu'à sa naissance. J'avais seize ans quand je suis tombée enceinte, après avoir été violée par une connaissance de mon père et j'étais perdue. Tu sais bien comment le viol est considéré par la justice." Son ton était devenue plus aiguë et marquait clairement l'incompréhension de l'innocent bafoué. "Mes parents m'avaient chassée à cause de l'enfant que je portai. À leurs yeux j'étais devenue impure et mon père n'a jamais voulu admettre qu'un de ses collègues de travail à l'usine textile ait pu me violer, j'étais la coupable, tu vois? C'est à ce moment là que j'ai rencontré Keith et que nous avons décidé de vendre l'enfant qui naîtrait, pour nous sortir de la merde. À l'époque, je n'y voyais que des avantages, mais je n'ai jamais oublié ma petite fille qui doit être à peine plus âgée que Nouna maintenant." Confia-t-elle en tenant le bras de sa protégée. Elle ne put se retenir plus longtemps et se mit à pleurer, le corps tout entier saisit de soubresauts.
_"Lilie? Va?" Lui demanda tout de suite Nouna en essuyant les larmes de ses joues.
_"Oui ma belle, ça va, ne t'inquiètes pas..." Elle se ressaisit et reprit son souffle. "Mais bonne terre!" S'exclama-t-elle. "J'oublie toutes mes obligations! Est-ce que tu veux un café?" Proposa-t-elle alors à Zoé.
_"Avec plaisir, merci. Tu sais, tu n'as pas à te sentir coupable, ce que vous avez obtenu en vendant ta fille, c'est Daryl qui en profite aujourd'hui et tu ne dois pas le regretter. Par contre, ta souffrance ne te quittera jamais. Tes remords, en revanche, oui, ils le peuvent si tu le décides." Affirma Zoé, sûre de ce qu'elle avançait.
_"Tu as sûrement raison et je dois reconnaître que ta sincérité fait du bien. Merci pour ta compréhension et merci de ne pas m'avoir jugée, mais je m'en doutais, c'est pour ça que je t'ai parlée de ma vie. Tu es quelqu'un de bien Zoé." L'admonesta Émilie.
Zoé, gênée aux entournures, qui n'aimait pas recevoir de compliments, changea de sujet l'air de rien et lui avoua à son tour ce qu'elle avait compris devant la tombe de son père:
_"Je me suis toujours sentie coupable pour la mort de mon père jusqu'à ce que je comprenne que c'était sa volonté, qu'il avait décidé de mourir pour m'offrir une meilleur vie et que je n'étais pas responsable. Et je viens seulement de le comprendre, alors tu vois, il n'est jamais trop tard."
Elles conversèrent quelques temps autour d'une bonne tasse, se racontant leurs passés réciproques, Émilie ses galères et son arrivée dans cette zone, Zoé l'orphelinat et ses études de médecines. Mais elle n'évoqua ni le juge, ni son intention de vengeance. 
Émilie s'afférait à la cuisine en même temps qu'elle bavardait et donna un quatrième rôti à préparer à Nouna, ravie d'aider. Elle avait écouté avec attention les conversations, même si elle n'en avait pas compris la teneur mais en avait néanmoins saisi la charge émotionnelle qui y était liée, et prit enfin la parole. Elle attendait silencieuse depuis bien trop longtemps à son goût, c'était à son tour de raconter son histoire. Elle partit alors dans son récit avec un débit de parole impressionnant. 
_"Elle doit parler de sa vie dans le désert." Expliqua Émilie, qui avait pratiqué Nouna une bonne partie de la journée, à Zoé éberluée. "Je lui ai déjà demandée de parler moins vite, mais c'est impossible." Ajouta-t-elle, amusée par la réaction de sa confidente.
_"Je dois avouer que c'est impressionnant..." Reconnut Zoé.
En effet, Nouna racontait bien sa vie dans le désert et toutes les souffrances qu'ils devaient endurer. Elle parlait sans interruption et il fallut l'arrivée bruyante de Daryl par le grenier pour réussir à la stopper dans son élan.
_"Vous ne croirez jamais ce qui s'est passé!" S'exclama Daryl, à peine descendu, en posant un sac rempli de côtes de cerf et d'une matraque.
(à suivre...)



Chapitre VIII
Daryl reprit à peine son souffle avant de s'exclamer de nouveau:
_"Vous ne me croirez jamais quand je vais vous raconter ce qui s'est passé!"
_"Da!" S'exclama immédiatement, à son tour et encore plus fort Nouna qui voulut se lever mais révisa tout de suite sa décision, les douleurs dans son dos lui rappelant son état. "Da!" Dit-elle finalement en tendant les bras. 
Daryl s'exécuta, s'agenouilla devant elle et avant qu'elle l'étouffe littéralement, la retenue et lui prit le poignet. Il sortit alors de sa poche un bracelet en or, orné d'un cupidon, dont tout deux ignorait la signification et lui accrocha en disant:
_"Tiens, c'est pour toi, parce que tu es belle." Il baissa le regard alors qu'elle le contemplait de ses yeux bleus azurs avant de les diriger sur le bijou. Jamais elle n'en avait porté, jamais on ne lui en avait offert, jamais même elle n'aurait imaginer que de tels objets existent. Elle le serra alors dans ses bras, comme elle l'avait déjà prévu, et le remercia avec ses mots de braconnière. Elle prit ensuite son visage entre ses mains et l'embrassa langoureusement sur les lèvres. Daryl fut d'abord surpris, les yeux écarquillés, mais, du haut de ses treize ans, aussi virilement que possible, lui rendit son baiser, définitivement amoureux. Pour elle, il avait envoyé cinq hommes à l’abattoir, pour elle, il avait dompté un homme-loup de plus de deux mètres.
Zoé regardait la scène avec tendresse, trouvant charmante cette histoire d'amour naissante. Farid aura permis la rencontre et la réunion de bien des personnes se faisait-elle comme réflexion. 
_"Hé bien mes tourtereaux!" Les interrompit Émilie. "Vous n'auriez pas oublié qu'on était là?" S'amusa-t-elle. Daryl se redressa aussitôt, gêné mais souriant. Même Nouna fut légèrement confuse, ce qui trahissait clairement ses sentiments pour son sauveur et fervent chevalier.
_"Ce bracelet est vraiment très beau et il te va très bien." Reconnut Zoé en complimentant Nouna.
_"Je l'ai trouvé autour du bras... Enfin tu sais, dans la cave." L'informa Daryl en s'asseyant à côté de Nouna, à la place de sa mère, et lui prenant la main pour montrer le bijoux. Nouna se laissa faire avec plaisir. 
_"Quelle cave?" Interrogea Émilie qui ignorait la découverte de son fils. "Mais vous devez avoir faim, je vais vous servir vos assiettes." Se reprit-elle.
Les odeurs de nourriture qui envahissaient la cuisine étaient tellement délicieuses que Daryl et Zoé ne se firent pas prier pour approuver cette décision. Ils accueillirent d'ailleurs avec tout le plaisir et la reconnaissance qu'il se doit leur repas.
_"Alors, expliques?" Demanda Zoé la bouche presque pleine.
_"Oui vas-y, racontes-nous, à commencer par cette fameuse cave." Renchérit Émilie, toujours affairée autour de ses gamelles et paraissant avoir oublié son chagrin, l'espace d'un instant. Même Nouna semblait attendre les explications. 
Sa mère finit par s'asseoir, tant toute cette histoire avait l'air incroyable et écouta attentivement. Leurs vies à tous étaient en jeux après tout.
_"Après que je t'ai laissée au vieux cimetière et que je suis reparti avec Farid, le blindé était toujours devant la forêt. On a d'abord attendu cachés, mais il ne bougeait pas. Du coup, on l'a re-contourné en longeant le mur et on est retourné à la ruine. C'est après que j'ai compris que c'était pas le même blindé, parce que celui là avait une tourelle avec un long canon. L'autre véhicule était parti je sais pas ou..." Il avait la bouche trop pleine pour continuer. Il se leva et amena des verres d'eau.
_"Bonne terre! J'ai oublié de vous servir de l'eau!" S'exclama alors Émilie, embêtée. Elle se leva elle aussi et apporta une cruche pleine. Mais Zoé avait encore du café et cela ne la dérangeait pas de le boire tout en mangeant.
_"Ils ont envoyé une autre escouade, n'est-ce pas?" Déduisit Zoé. 
_"Exactement." Lui confirma Daryl. "Quand on est arrivée pas loin de la ruine on les a entendus. Farid et moi on est monté dans un arbre et on a attendu qu'ils s'éloignent. C'est bien, il faisait exactement ce que je voulais et surtout, il faisait encore moins de bruit que moi. Il aurait pu tous les massacrer si je l'avais laissé attaquer, mais c'est là que ça devient incroyable..." Il avala et but un peu d'eau pour reprendre son souffle. "Maman c'est délicieux, je me régale." La complimenta-t-il, changeant complètement de sujet.
_"C'est vrai, il a raison, je me régale aussi." Renchérit Zoé.
_"Oui, oui, merci... Continues." Dit simplement Émilie.   
_"Lilie? veux... ger..." S’immisça alors Nouna timidement.
_"Oh! Bien-sûre ma belle, je vais te préparer une assiette. Daryl alors?!" S'impatienta-t-elle.
_"Et bien en fait, ils étaient en train de consoler Morgane qui pleurait assise sur un des restes de murs de la ruine." Révéla-t-il.
_"Quoi!?" S'écria Zoé qui manqua de s'étrangler.
_"Oui, t'as bien compris, ils parlaient avec Morgane pour la consoler. Ils s'excusaient même de lui avoir fait peur, t'imagines! Ils lui léchaient carrément le cul." Renchérit Daryl.
_"Qui est Morgane?" S'enquerra Émilie.
_"C'est la petite fille du juge." La renseigna Zoé.
_"Et bien je crois que ceci explique cela." Estima la mère de Daryl.
_"Tu m'enlèves les mots de la bouche. Vas-y, continues... Daryl? T'es là?" Lui demanda Zoé. Il regardait Nouna manger et était perdu dans ses pensées.
_"Heu... oui, désolé." S'excusa-t-il. "Bah on attendu un bon moment ou il a fallu que je retienne Farid de commettre un massacre et les matricules ont fini par partir. On a attendu encore de ne plus les entendre et on est descendu voir Morgane. Quand elle nous a vu, elle a sauté dans les bras de Farid en pleurant. En fait elle croyait que les militaires l'avait tué, c'était drôle parce que Farid ne savait pas quoi faire..." Il continua son récit.
_"J'ai cru qu'ils t'avaient tué!" Pleura Morgane dans les bras de son animain. "Ou est-ce que vous étiez?" Demanda-t-elle, reprenant son aplomb et s'asseyant sur le ventre de Farid, allongé sur le dos, les quatre fers en l'air et parfaitement immobile.
_"Bah on a accompagné Z... Chloé au vieux cimetière pour pas que les matricules le trouvent, ils fouillaient la forêt à la recherche de leurs camarades on a pensé." L'éclaira Daryl en mentant carrément sur leurs véritables intentions. 
_"Vous avez eu raison." Répondit Morgane simplement, rassurée, en caressant la crinière de Farid. "Mais maintenant, il faut le cacher, je suis sûre qu'ils vont revenir. Est-ce que Chloé va nous rejoindre?" Demanda-t-elle innocemment mais parfaitement consciente de la situation.
_"Non... En fait on a prévu de se retrouver chez moi dès que j'aurais caché Farid." Lui expliqua-t-il alors, un peu embarrassé. 
Daryl interrompit sa narration et, détachant son regard de Nouna, se tourna vers Zoé pour lui expliquer ce qu'il fit, tout en finissant son assiette:
_"C'est là que je lui ai montré la cave et tout ça... Elle est vachement maline et courageuse en fait..." Narrait-il. 
_"Ça je ne te le fais pas dire." L'interrompit Zoé.
_"Elle a même pas eu peur quand je lui ai montré les morts dans la pièce du fond!" Reprit-il. "Et c'est là que j'ai trouvé le bracelet." Précisa-t-il encore avant de poursuivre: "Après avoir visité et un peu discuté... on a décidé de cacher Farid dans la cave et on l'a attaché à un des poteaux... Le problème, c'est que dès qu'on est sorti, il s'est mis à hurler. Il a brisé sa laisse et a commencé à gratter la trappe pour la soulever, il est pas con... Du coup, on l'a laissé sortir et il est allé se blottir contre Morgane en gémissant... C'est là qu'elle a décidé de l'emmener chez elle, enfin chez ses grands-parents..." Poursuivit-il.
_"Chez le juge!" S'exclama alors Émilie qui avait bien suivi l'histoire.
_"Exactement." Acquiesça son fils. "J'ai pas insisté, j'ai pris mes affaires et je l'ai accompagnée avec Farid jusqu'à chez elle..." Continua-t-il...
_"Attendez-moi là, je vais voir." Exigea Morgane quand ils atteignirent les grilles de la demeure des Dinousillet. Elle ne tarda pas à revenir. "C'est bon, ma grand mère est dans le fond du jardin et Nénette fait de la cuisine, venez!" Leur ordonna-t-elle.
_"On l'a suivi jusqu'à devant la maison et elle a grimpé au mur par le lierre pour atteindre sa chambre. Ensuite elle a appelé Farid. En un bon il a réussi à grimper et il est entré dans sa chambre. Après, je sais pas, je suis reparti et je suis rentré tout de suite. Je crois qu'il y a encore des militaires dans la forêt." Conclut-il.
_"Donc ce que tu dis, c'est que là, Farid est avec Morgane chez le juge." Résuma Zoé qui voulait être sûre d'avoir bien compris, tant elle n'en revenait pas de ce qu'elle venait d'entendre.
_"Je t'avais dit que vous ne me croiriez pas." Lui rappela Daryl la bouche pleine.
_"Mais qu'est-ce qu'elle faisait là Morgane?" Demanda-t-elle, toujours aussi éberluée.
_"Bah, elle s'ennuyait, je crois et elle s'inquiétait pour Farid, avec sa blessure à la jambe et tout ça. C'est pour ça qu'elle est venue à la ruine et qu'elle est tombée sur les matricules. Elle leur à fait croire qu'elle pleurait à cause d'eux, c'était drôlement bien joué." Lui expliqua-t-il.
_"Je dois reconnaître que ça ne manquait pas d'audace et d'aplomb de sa part. Dans un sens, ce n'était pas plus mal qu'elle soit là d'ailleurs, comme ça vous avez pu cacher Farid." Réfléchit-elle.
_"C'est de la folie oui." Rétorqua Émilie.
_"On avait pas d'autre solution, avec tous les militaires partout, ça se serait mal terminé, j'en suis sûre. T'as pas vu ce qu'il a fait aux autres, je t'assure maman." Affirma-t-il.
_"Il a raison, malheureusement et puis, quelle meilleure cachette que là ou on ne soupçonnera jamais qu'il puisse être?" Renchérit Zoé. "Il obéira à Morgane, ça ne fait aucun doute. Et de toute façon, j'avais prévu de passer la voir ce soir, pour savoir comment elle allait, ce sera l'occasion de vérifier que tout va bien." Confia Zoé, un nouveau plan terrible à l'esprit.
_"Espérons le." Dit Émilie.
_"Je suis sûre que ce cochon de juge en a après Nouna et que tout ça n'a rien à voir avec l'absence des autres matricules. Quand je suis passée près d'eux tout à l'heure, il ne parlait que de retrouver un braconnier et il ne peut s'agir que de Nouna. Quand ils sont venus fouiller votre maison, c'est déjà elle qu'ils cherchaient, ils savaient très bien qu'il n'y avait aucun danger. Autrement, ils ne se seraient pas montrés si désinvoltes, enfin je pense." Estima Zoé, en lançant un regard empli de tendresse à Aszouna qui lui répondit par un sourire, les joues toutes rondes.
_"Je vais aller voir si l'autre couillon va bien et ensuite je changerais les pansements de Nouna." Décida-t-elle en se levant pour débarrasser son assiette.
_"Laisses, je t'en prie, je vais le faire." L'adjura Émilie, mais il était déjà trop tard, Zoé avait fini de débarrasser.
_"Tu nous as déjà préparés un excellent repas, je peux bien débarrasser mes couverts." La remercia-t-elle.
Elle alla alors dans la pièce du fond ou dormait toujours Drane d'un sommeil fiévreux. Elle put néanmoins constater avec plaisir que sa température avait baissé et qu'il ne semblait pas y avoir de complication au niveau des fractures. Elle ré-humidifia les serviettes et re-sortit sans faire de bruit.
_"Comment va-t-il?" Se renseigna la maîtresse de maison.
_"Plutôt bien, compte tenu des circonstances. Il dort toujours et sa température a baissé. Quand il se réveillera, il ne faudra pas lui donner trop à manger ni à boire, sinon il risque de tout dégueuler. OK?" Ordonna le médecin. 
_"Bien compris." La rassura Émilie. "Si tu crois que je vais le laisser salir ma maison, tu es dans l'erreur absolue." Rétorqua-t-elle enfin.
_"Si Nouna a terminé, je vais m'occuper d'elle. Tu peux me montrer ou est ta salle d'eau s'il te plait." Changea complètement de sujet Zoé, qui voyait le temps passer et la polémique enfler.
_"Suis-moi, c'est à l'étage. Nouna? Ma belle, viens aussi." L'enjoignit Émilie en l'aidant à se lever.
Nouna, qui n'avait pas saisi les raisons de cette agitation soudaine, suivit le mouvement et monta à l'étage aidée d'Émilie.
_"Da?" Demanda-t-elle en lui tendant la main.
_"Je vais t'attendre ici." Lui répondit Daryl tout en débarrassant la table et commençant la vaisselle. Des trois assiettes servies, il ne restait rien. 
C'est seulement arrivée dans la salle d'eau, quand Zoé voulut lui retirer son haut, qu'Aszouna comprit qu'il s'agissait de s'occuper de ses plaies dans le dos. Elle se laissa faire docilement et tâcha de ne pas montrer sa souffrance quand Zoé lui retira le bandage et les pansements légèrement collés.
_"Demandes à Daryl qu'il me fasse chauffer de l'eau et apportes moi ta bouteille de... Bamba, je crois, s'il te plait." Réclama-t-elle. _"De boumda." S'amusa Émilie tout en sortant de la pièce. "Je reviens dès que l'eau chaude est prête." Promit-elle. Et elle descendit.
_"Pas besoin qu'elle soit bouillante!" Lui précisa Zoé. "Bon on va pouvoir faire un peu connaissance toutes les deux, je ne me suis pas encore présentée, je m'appelle Zoé, mais je crois que tu connais déjà mon prénom."
_"Oui.. Zé... Dos..." Répondit Nouna, un peu inquiète.
_"Oui, c'est moi qui m'occupe de ton dos. Est-ce que tu as mal?" Lui demanda-t-elle sans être sûre d'avoir été comprise.
_"Non... Un petit..." Répondit Nouna extrêmement concentrée.
_"Je vois, je vais te décoller les pansements avec l'eau chaude et ensuite je désinfecterais tes sutures, d'accord?" Lui expliqua-t-elle pour la rassurer. 
_"Zé?"
_"Oui?"
Et Nouna partit dans une de ses litanies dont elle seule avait le secret. Elle essayait simplement d'expliquer à Zoé qu'elle devait retourner dans la forêt pour retrouver les siens le plus vite possible. Zoé la regardait un peu ennuyée de ne pas comprendre ce que voulait lui dire sa patiente, et lui souriait d'un sourire interrogatif. 
_"Je crois qu'elle t'explique qu'elle veut retourner dans la forêt." Lui traduisit Émilie qui arrivait avec la bassine d'eau chaude et la bouteille. "Quand elle répète ler... rêt comme ça, ça veut dire aller dans la forêt."
_"Oui... ler... rêt!" Répéta Nouna.
_"J'ai bien peur que ce soit impossible pour le moment, je suis désolée, tu n'es pas en état et la forêt est infestée de matricules qui sont à ta recherche." Se navra Zoé. Nouna ne comprit pas mais comprit quand même.
Zoé commença par décoller, comme elle l'avait dit, délicatement les pansements recouvrant les sutures. Nouna ne lâcha que quelques gémissements. En revanche, la désinfection au boumda lui arracha des cris de douleur. Mais il fallait en passer par là si elle voulait guérir et pouvoir rejoindre le mur dans la forêt, prêt de la rivière. Elle se montra particulièrement courageuse et ne laissa couler que peu de larmes.
_"Les sutures sont belles, c'est bien, elles n'ont presque pas saigné. Il faudrait l'aider à faire sa toilette et laisser respirer les plaies avant de remettre le bandage. Tu sauras t'en occuper?" Se renseigna Zoé.
_"Bien-sûre, j'en serais ravie, au contraire, elle est la fille que je n'ai jamais eue." Répondit Émilie.
_"Bon, je vous laisse alors, je vais aller voir Morgane avant de prendre un repos bien mérité. Daryl devrait en faire autant, il a beaucoup donné." C'est encore le médecin qui prenait le dessus. "Et fais attention, elle n'est pas ta fille, tu risques de souffrir quand elle partira."
_"Je le sais bien." Lui rétorqua Émilie, agacée.
_"Désolée si je t'ai froissée, mais je dis ça pour toi." Lui rétorqua Zoé, calmement.
_"Non, c'est moi qui m'excuse, tu as raison, je n'aurais pas du réagir comme ça. Tu peux y aller, je gère." La tranquillisa Émilie. 
Quand Zoé partit enfin pour récupérer son vélo avant de rejoindre Morgane, Daryl dormait les bras croisés sur la table et le visage posé dessus. Il avait l'air tellement serein qu'elle n'osa pas le réveiller. Elle déposa une cigarette sur la table et referma la porte derrière elle. Il faisait déjà presque nuit et les rues étaient désertes. Elle ne s'était pas trompée, l'orage ne leur était pas tombé dessus, mais la chaleur était humide et étouffante. Elle commençait à ressentir de plus en plus la fatigue, mais elle voulait absolument voir Morgane avant de se coucher. Quand elle arriva devant la maison des Dinousillet, les grilles étaient ouvertes et la voiture de Clémence était garée. Tout semblait très calme...
(à suivre...)


_"Ou en sont les recherches colonels?" S'enquerra le juge Dinousillet, relativement excédé de ne pas être tenu au courant plus régulièrement de leur avancée. "Ne me dites pas que vous n'avez rien trouvé, je ne vous ai pas convoqué pour que vous n'ayez rien à m'apprendre." Anticipa-t-il. 
_"Hé bien, monsieur le juge, je ne peux que vous faire un rapport incomplet, c'est la raison pour laquelle j'ai pensée qu'il valait mieux attendre pour vous tenir informé." S'expliqua le colonel 17. Il n'était pas question qu'il s'explique sur le repos qu'il avait octroyé à ses matricules, aussi il endosserait seul les reproches.
_"On ne vous demande pas de penser, mais d'obéir colonel 17! Vos supérieurs de la zone grise 5, comme le général Malcolm, seraient ravis d'apprendre qu'un de leur subordonné de confiance commence à réfléchir au lieu d’exécuter les ordres. Vous ne croyez pas?" Menaça le magistrat, dernière autorité de l'Area.
La zone grise 5 était une des bases principales des militaires car possédant un aéroport et étant une des villes les mieux conservées du naufrage nucléaire qui plongea un peu plus l'humanité dans le gouffre ou elle se retrouva après les éruptions. Cette zone ne se trouvait qu'à une centaine de kilomètres de là et pouvait donc déployer des forces aéroportées en quelques minutes. Si le juge décidait de congédier son colonel de secteur, il n'en fallait pas moins pour que les militaires décident de venir occupé la zone et peu importe si c'était la journée du troc. Tout deux le savaient et tout deux voulaient l'éviter, d'autant que le juge voulait utiliser cette journée à son avantage.
_"Ma première escouade a repêché une peau de bête de la rivière qui ne pouvait qu'appartenir à la braconnière, mais elle était pleine de sang..." Rapporta le colonel.
_"De sang!" Hurla le juge. "J'avais pourtant expressément exigé qu'elle ne soit pas blessée!" Rappela-t-il exacerbé. 
_"Et nous avons respecté ces ordres, monsieur, il ne s'agit pas de nous. Compte tenu de l'état de la peau, nous avons conclu à une attaque d'animal sauvage, mais nous n'avons trouvé aucun corps, ni aucune trace probante de combat, sinon des troncs calcinés. Le commandant 56 a alors et ensuite suivi les instructions de son capitaine et ils ont rallié le poste avancé du mur sud, comme prévu, mais sans succès. Le commandant 72 et ses hommes restent introuvables, tout autant que la fugitive, monsieur." Continua le colonel.
_"Et vous n'avez pas cru bon m'avertir de tout cela?" Déclina le juge froidement. 
_"C'est exact monsieur. J'en assume l'entière responsabilité." S'excusa le colonel, la tête baissée et regardant le sol.
_"Vous n'avez pas besoin de vous confondre en excuses, colonel, mais soyez certain que votre tête finira au bout d'une pic si nous ne retrouvons pas cette jeune-fille." Lui promit le maître incontesté des lieux. Le général Risean lui avait laissé les pleins pouvoirs il y a quinze ans, à la suite de l'arrestation et de l'exécution du criminel Hector Cardelace, recherché dans treize Area, et il entendait bien tous les utiliser aujourd'hui. La zone de campagne qu'il supervisait fournissait tellement de nourriture et connaissait une telle expansion que son autorité était incontestable et ses menaces jamais en l'air. "Déployez le blindé avec le canon et une autre escouade qui fouillera la forêt. Que le commandant 56 reste en position au poste avancé du mur sud et établisse une surveillance globale à deux kilomètres. Débrouillez-vous pour qu'un savage se tienne en alerte." Décida le juge. "Vous détacherez également un bataillon du mur nord en renfort et je vous veux personnellement dans le tank ainsi qu'un rapport circonstancié toutes les demies-heures." Ordonna-t-il enfin.
_"À vos ordres Maître Dinousillet." Obéit le gradé qui s'exécuta. "Il est toute-fois de mon devoir de vous informer que le temps d'armer le savage et de le faire décoller prendra au moins une heure." Signifia-t-il en prenant congé. 
Le savage était un hélicoptère de combat armé d'une mitrailleuse centrale, capable de transporter 18 missiles à têtes chercheuses et une bombe incendiaire.
_"J'espère que nous n'aurons pas à l'utiliser, colonel 17, cela voudrait dire la fin de votre commandement et j'en serais navré." L'assura le juge. "J'allais oublié!" L'arrêta-t-il avant qu'il parte. "Vous ne ferez bien-sûre pas sonnez les alarmes du couvre-feu, comme le veut la journée du troc, mais j'entend que le bataillon de renfort fouille de nouveau le village cette nuit, par surprise, nous aurons peut-être de meilleurs résultats." supputa et décida-t-il.
_"Tout sera organisé selon vos plans monsieur." Lui garantit l'officier. Il referma enfin la porte.
La journée était déjà bien avancée quand le juge fut informé par sa secrétaire que sa petite fille était en ce moment même interrogée par l'escouade dans la forêt:
_"Le colonel sollicite une entrevue monsieur, c'est à propos de votre petite fille, elle a été trouvée par l'escouade dans la forêt." L'informa donc son employée.
_"Bien-sûre, mettez moi en communication." demanda-t-il d'un ton clairement déçu. "Laissez-nous maintenant." Réclama-t-il d'un geste repoussant de la main et d'un ton supérieur et méprisant cette fois. "Alors colonel, vous êtes impressionné par une enfant?" Ironisa-t-il.
_"C'est qu'il s'agit de votre petite fille monsieur, je préférai vous prévenir. Elle semble savoir quelque chose, d'après le commandant 102, son discours n'était pas clair. Elle leur a d'abord dit avoir eu peur qu'ils se fassent tuer et s'est enfermée ensuite dans le silence quand il lui a demandé pourquoi. Elle s'est alors mise à pleurer et leur a demandé de partir en hurlant qu'ils lui faisaient peur. Ce changement d'attitude est suspect monsieur. S'il ne s'agissait de votre petite-fille, nous l'aurions déjà emmenée à l'interrogatoire. L'escouade et elle se trouvent actuellement au niveau d'une ruine, à une centaine de mètre de la rivière ou nous avons repêché le vêtement de la braconnière. Voilà la situation..." Lui débriefa le colonel 17, répondant aux exigences et ne masquant qu'à peine un ton provocateur et satisfait. "Quels sont vos ordres, monsieur?" Demanda-t-il finalement.
_"Vous allez présenter immédiatement vos excuses et laisser ma petite-fille tranquille, vous entendez! Je vous en intime l'ordre et ne m'obligez pas à me répéter!" S'emporta alors le juge, ne contenant pas sa colère. "Comment pouvez-vous soupçonner Morgane de quoi que ce soit, elle a l'habitude de se promener dans cette partie de la forêt..." Il s'arrêta soudain et reprit son calme de façade. "Je vois..." Dit-il alors. "Laissez la repartir et rassurez la surtout, je m'en occuperai personnellement. Félicitez le commandant 102 et demandez lui de reprendre les recherches vers la rivière et rejoignez le poste de contrôle. Vous ferez une incursion dans la partie sauvage avec les deux blindés et vos matricules dans la nuit." Décida-t-il. 
_"J'allais vous le proposer monsieur." Acquiesça le colonel. "Dois-je tenir informer le général Risean?"
_"Non, je m'en charge, contentez-vous d'obéir aux ordres colonel." Trancha le juge. "Fin de communication."
_"Fin de communication." Et le colonel transmit les ordres à son commandant. 
_"Mademoiselle Lawrence, s'il vous plait." L'appela maître Dinousillet via un interphone sur son bureau.
_"Oui, monsieur?" S'enquerra-t-elle immédiatement.
_"Veuillez ouvrir la salle de Visio-conférence s'il vous plait et demander un entretien privé avec le général Risean. Prévenez-moi quand ce sera fait, merci." Sollicita-t-il.
_"Bien monsieur." Obéit-elle, dévouée et stupide.
Le juge commençait à s'impatienter quand sa secrétaire le prévint enfin que la communication était établie avec le général. Il se rendit alors dans la salle de Visio-conférence ou l'attendait effectivement l'officier dirigeant Risean derrière un gigantesque écran.
_"La situation vous échapperait-elle maître Dinousillet?" L'interpella immédiatement le général. 
_"Non monsieur, j'ai demandé un entretien car je sollicite le déploiement de la brigade canine. J'ai bien peur qu'une de mes escouades ait disparue. D'autre part, je voulais vous informer que je déployai de mon côté deux blindés et des forces dans la partie sauvage de la forêt cette nuit. Je soupçonne une attaque des braconniers dans ce secteur. J'organise aussi une fouille surprise du village avec tout un bataillon pour retrouver le fugitif." Développa le magistrat.
_"Vous voulez dire la fugitive, n'est-ce pas?" Le reprit le général.
_"En effet, oui. Comment êtes-vous au courant de ce détail?" L'interrogea crânement le juge. 
_"Il y a bien des choses que je sais et que vous ignorez, ne sous-estimez pas notre force, monsieur le juge. Croyez-vous pouvoir agir en toute impunité dans votre zone sans que j'en ai connaissance?" Lui rétorqua sèchement le superviseur des neuf Area de la région.
Depuis les éruptions et les guerres nucléaires, dites "guerres de la faim", et la prise du pouvoir par les militaires sur le restant de la population civile, appelé les survivants, l'armée contrôlait vingt régions contenant chacune entre neuf et onze zones ou Area. Cela portait donc à vingt le nombre de généraux superviseurs, ce qui représentait le pouvoir central, ultimes décideurs. Une vingt-et-unième régions était en cours d'acquisition, mais le secret était bien gardé car il faudrait peuplé cette région de force et l'armée n'aimait pas, ni divulguer ses intentions, ni risquer une révolte prématurée, car révolte il y aurait de toute façon. Les autorités militaires avaient appris à appréhender les réactions d'oppositions de masse depuis longtemps et en particulier depuis la révolte menée par Hector Cardelace. Leur force était d'apprendre de leurs erreurs et d'essayer de répondre aux revendications du peuple, une fois la révolution mâtée dans le sang bien-sûre.
Quoi qu'il en soit, le général Risean était un des vingt décideurs, et on ne lui tenait pas tête sans une bonne raison et le juge n'en avait aucune.      
_"Non, bien-sûre que non." S'inclina le petit maître d'Area verte, productive certes, mais ne comptant que moins de deux milles civils en période creuse et ne représentant donc qu'une pauvre résistance potentielle.
_"À la bonne heure. Bien, sachez donc que vous n'aurez pas le savage et encore moins l'autorisation de déplacer tout un bataillon du mur nord vers le village pour une fouille aléatoire qui n'a déjà rien donnée. En revanche, vous êtes autorisé à poursuivre les fouilles dans la forêt et j'autorise l'envoie de la brigade canine. Elle n'arrivera cependant que le lendemain de la journée du troc qu'il n'est pas question de déranger! vous m'avez bien compris?!" Vérifia le superviseur central sur un ton menaçant et directif. "Vous êtes sinon, également autorisé à déployer vos forces, comme vous l'envisagiez, de l'autre côté du mur cette nuit. Je veux un rapport de situation immédiat." Le fustigea pour finir le général.
_"Merci pour ces précisions." Répondit le juge humblement. 
_"Parfait, rentrez chez vous alors, une discussion s'impose avec votre petite-fille, je crois et vous pouvez diriger les opérations de cette nuit depuis votre pièce secrète. Vous n'aurez pas de difficulté à commander le colonel 17 depuis celle-ci, n'est-ce pas?." L'enjoignit-il calmement, pour bien insister sur le fait que rien ne lui était inconnu.
_"Je ferais selon vos désirs mon général." Lui garantit le juge. Cette phrase, il n'imaginait pas une seule seconde qu'il aurait à la re-prononcer un jour... Cela faisait quinze ans qu'il ne s'était pas abaissé de la sorte, mais seule la fugitive lui importait, c'était comme une obsession.
_"Fin de communication dans ce cas." Dit simplement le militaire, représentant de la force.
_"Fin de communication." S'écrasa le bonhomme sec et frustré, représentant de la justice.
La politique n'était qu'un artifice, un chiffon qu'on agite devant les yeux idiots et manipulés d'une population asservie et docile. À la fin, la dictature gagnait toujours...
_"S'il vous plait, il y a quelqu'un? Ou suis-je?" Appela le matricule 2319 ou plutôt le déserteur Drane, perdu dans une pièce sombre et ne ressentant que la douleur. C'était comme si tout son corps n'était qu'une plaie ouverte. Il se tint les côtes pour essayer de contenir une quinte de toux qui lui fit cracher du sang. "Quelle merde..." Dit-il en regardant son glaire rougi dans la paume de sa main. La mémoire lui revenait peu à peu. "S'il vous plait!" Tâcha-t-il de crier le plus fort possible, à la limite de se qu'il pouvait supporter.
_"Allez-vous vous taire! Par tous les volcans, tout le monde dort..." Lui répondit une voix féminine derrière la porte, qui s'ouvrit, laissant pénétrer un faible traie de lumière. C'était Émilie qui venait lui demander de la fermer, une bougie à la main. "Qu'est-ce qu'il vous arrive?" L'interrogea-t-elle en éclairant la chambre. 
_"Ou suis-je?" Se renseigna-t-il.
_"Chez moi bonne terre!" S'exclama sans le vouloir la maîtresse de maison. "Vous ne vous ne vous rappelez pas? De ce que j'ai compris vous êtes un rescapé de l'attaque d'un animain et c'est une amie qui vous a sauvé et ramené ici. Nous sommes à l'aube de la journées du troc, dans l'Area verte 44. Tenez, buvez." L'exhorta-t-elle calmement, après s'être agenouillée et lui avoir servi un verre d'eau, en lui maintenant la tête droite de l'autre main et s'aidant du genoux. "Vous n'arrêtiez pas de dire je vous aime quand vous êtes arrivés de la forêt. Ça vous revient maintenant?!" Le questionna-t-elle, un peu inquiète de l'amnésie soudaine du troufion.
_"Si, je me rappelle maintenant, je vous dois la vie." Répondit Drane entre deux gorgées. 
_"Et bien voilà qui est mieux... Vous devez avoir faim?" S'enquerra-t-elle alors.
_"Je suis affamé madame, mais vous voyez... J'aurais besoin, enfin, vous voyez quoi." Implora-t-il en regardant en direction de son entre-jambe.
_"Oh, je comprend, retenez-vous, j'arrive." Et Émilie se précipita dans le sous-sol ou dormait Nouna pour prendre le seau et remonta les marches quatre à quatre. De retour dans la pièce, elle aida Drane à baisser le pantalon de Keith, que Daryl avait emprunté pour le rhabiller et l'aida à se tenir en équilibre au dessus du seau, non sans provoquer des douleurs incommensurables. Constatant alors son désespoir et comprenant la supplication dans son regard, elle attrapa sa verge et dirigea son pénis en direction de l'urinoir.
_"Pardon madame." Et Drane se soulagea, par tous les orifices.
_"Je vais aller chercher de quoi faire votre toilette." Répondit-elle simplement en emmenant le seau pour le vider à l'endroit ou elle laissait se décomposer les déchets organiques afin de fabriquer son engrais et son terreau. Récupérer vos mieux que jeter se disait-elle toujours, absolument pas dérangée par l'odeur. 
Drane attendait et se tenait légèrement sur le côté, les fesses à l'air et le pantalon au niveau des chevilles, la merde au cul. Il ne se sentait pourtant pas gêné, il n'avait pas le choix. Mais les douleurs commençaient à devenir insupportables. Il résista pourtant. Émilie vint enfin avec une bassine d'eau tiède et des serviettes. Elle s'appliqua à le nettoyer consciencieusement. 
Il eut beau résister de toutes ses forces, quand elle lui nettoya le sexe, il ne put retenir une érection terrible. Émilie, absolument pas surprise ni embarrassée, déposa les serviettes dans la bassine et, attrapant les testicules du matricule d'une main, commença à lui lécher le gland avec tendresse, le décalottant de l'autre main. L'excitation du déserteur était telle qu'il était au bord de l'explosion, mais il voulait faire durer ce plaisir qu'il n'avait jamais connu et se mit alors à gémir de résistances... Il se retrouva bien vite allongé de nouveau sur le dos, à la merci de toutes les volontés de sa soignante qui continuait de lui absorber la verge goulûment. 
Cela faisait tellement longtemps que Keith était absent du foyer familial qu'Émilie avait tous les sens en ébullitions et les événements récents les avaient encore plus exacerbés. Vérifiant que la verge du soldat était toujours bien dressée, elle retira sa culotte et, s'installant au dessus de son amant d'une nuit, elle s'empala sur lui. Elle le chevaucha jusqu'à l'orgasme, ce qui eut pour effet de le faire jouir immédiatement. Les pressions de son vagin autour de son sexe ne lui ayant pas permis de contenir la plus forte éjaculation qu'il n'ait jamais vécu. À aucun moment elle ne l'embrassa, alors qu'il grognait de plaisir. Elle se releva sans dire un mot, se nettoya, le nettoya et quitta la pièce avec la bassine et les serviettes. Elle ne tarda pas à revenir avec une assiette chaude de purée accompagnée de rôti de cerf qui sentait délicieusement bon. 
_"Je suis heureuse de constater que vos blessures ne vous ont pas empêché d'être un homme." Lui déclara-t-elle en le servant, un large sourire sur le visage, amusée par son embarras.
_"Madame..."
_"Ne dites rien, mangez et reposez-vous. Je vous laisse la bougie. Bien-sûre, tout cela reste entre nous?" 
_"Bien-sûre madame." Répondit le matricule, les couilles vides, mais la bouche déjà pleine de déclarations d'amour. Il la remplit bien vite de cette si succulente nourriture. 
_"Bonne nuit." Dit-elle en refermant la porte et ne lui laissant pas le temps de répondre quoi que ce soit. Il se demandait même si ce qu'il venait de vivre était réel. Seuls les suintements de son pénis et cette belle assiette lui confirmaient que tout cela n'avait pas été un rêve... 
Il eut bien du mal à retrouver le sommeil et c'est à ce moment précis qu'il décida de dévoiler à ses sauveurs ou se trouvaient les stocks d'armes et de munitions du secteur sud. Mais il ignorait que le poste avancé était déjà occupé par deux escouades et deux blindés, avec un colonel, son colonel.
Il fut réveillé quelques heures plus tard par Daryl qui lui braquait un de leur fusil sous le menton.
_"T'as fait quoi avec ma mère cette nuit, sale bâtard?" Furent les premiers mots qu'il entendit.
Le matricule se pissa dessus de trouille, ce qui eut pour effet de désamorcer la colère de Daryl, la transformant en moquerie hystérique. "Pauvre merde! Tu te pisses dessus!" Hurla-t-il alors, fou et dangereux, toujours près à vider son chargeur dans la tête du fils de pute qui avait osé toucher sa mère. 
_"Comment?..." 
_"Ta gueule! C'est elle qui me l'a avoué, quand je lui ai ramené la peau du cerf! Elle n'en pouvait plus de remords!" Scanda-t-il en l'étouffant un peu plus avec le canon de son arme. "Comment comptes-tu te racheter maintenant, Mmmh!? Enculé!" 
_"Je peux vous être utile, je sais ou se trouvent tous les stocks d'armes et de munitions du village et de la zone sud, à commencer par la forêt." Débuta-t-il.
_"Déjà trouvés, autre chose?" Lui renvoya plein de haine Daryl.
-"Je sais ou se trouvent toutes les caméras secrètes de la forêt." Renchérit Drane, paralysé par la peur. Il savait de quoi était capable son interlocuteur, d'autant qu'il avait tout de suite repéré que le cran de sûreté était levé. 
_"Déjà détruites, autre chose?" Exigea le fils de Keith et d'Émilie. Il allait faire feu quand le matricule lui déclara soudain:
_"Nous savons ou les braconniers ont prévu de s'installer, de l'autre côté du mur sud, dans la partie sauvage de la forêt..."
_"Quoi!" S'exclama en l'interrompant Daryl, pris au dépourvu. Mais le matricule 2319 s'évanouit aussitôt qu'il sentit que sa vie n'était plus en danger... Au milieu de sa pisse. Daryl décida de lui laisser la vie sauve, pour l'instant, n'indiquant pas son incontinence, et quitta la pièce sans refermer la porte. Émilie l'attendait larmoyante dans la cuisine, tellement désolée et s'en voulant de n'avoir pu s'empêcher de dire la vérité et surtout d'avoir succombé à la tentation. Cette vérité culpabilisante qui fait tellement et toujours souffrir qu'on ne peut la garder secrète bien longtemps, à moins d'être dépourvu de conscience. 
Ces vérités décomposent les proches proportionnellement à l'amour qu'ils ressentent et Daryl était fou de rage. Mais putain, pourtant, il comprenait. Pourquoi? Seraient-ce ses désirs pour Aszouna qui le rendaient compréhensif? Il ne saurait le dire, mais il n'en voulait pas à sa mère, il la devinait. 
_"Pour cette fois je te pardonne." Lui dit-il, en montrant la peau de cerf en cours de tannage du bout du fusil qu'il tenait, toujours près à tirer. "Dépêches-toi, nous avons un stand à tenir." Ajouta-t-il froidement. "Je retourne dans la forêt, j'ai encore des côtes à te ramener." L'informa-t-il enfin, en laissant le fusil sur la table et disparaissant à l'étage.
_"Je t'aime mon fils!" Lui cria sa mère sans recevoir la moindre réponse. Nouna dormait profondément au sous-sol et ce connard de matricule surexcité était évanoui. Elle n'avait jamais autant eu besoin que quelqu'un vienne la réconforter et elle se demandait ou pouvait bien être Zoé. Elle se remit au tannage de la peau... Sans motivation et laissant couler ses remords le long de ses joues. Pourtant, elle ne pouvait pas renier le plaisir qu'elle avait eu en couchant avec cet inconnu, ce qui avait du augmenter son plaisir mais devait sans doute augmenter son sentiment de culpabilité. 
Néanmoins, le fait que tout, sauf le meurtre, devenait légal la nuit et le jour de la journée du troc, elle n'avait rien à craindre du point de vue de la justice et Daryl non plus d'ailleurs. Mais que pouvait bien faire son amie?...
(à suivre...)




Chapitre IX

Zoé pénétra dans la cours, inquiète, et se dirigea vers la porte d'entrée du corps de ferme du juge. C'est Clémence qui vint lui ouvrir quand elle frappa contre l'imposant battant.
_"Chloé!" S'exclama-t-elle surprise. "Nous ne t'attendions pas." Son ton trahissait une fébrilité latente et Zoé l'avait perçue tout de suite. Elle referma la porte derrière elle. 
_"J'avais dit à Morgane qu'on ne se verrait pas aujourd'hui, mais je suis venue quand même voir comment elle allait, lui dire bonjour quoi... Tout va bien?" S'enquerra Zoé, certaine que quelque chose se tramait. C'est comme si elle avait un détecteur à embrouilles intégré, doublé d'un sixième sens très aiguisé. C'est la raison pour laquelle quand elle avait récupéré ses affaires chez Émilie, elle avait gardé le flingue dans son sac.
_"Oui tout va bien." Mentit-elle très mal, encore une fois. "C'est que, Morgane n'est pas... disponible pour l'instant, tu devrais repasser plus tard. En plus, la bonne est partie et mon père devrait arriver bientôt..."
_"Clémence, dis-moi ce qui se passe." Exigea Zoé, la coupant avec autorité.
_"Je ne devrais même pas te parler, c'est grave. Viens, suis moi." Elles allèrent dans le potager en bordure de la cours et Clémence continua: "Je ne te connais pas depuis longtemps, mais je sent que je peux te faire confiance alors voilà, ça concerne une escouade qui a disparu cette nuit et un braconnier en fuite. Il y a un capitaine et deux commandants en ce moment qui ont l'intention de passer Morgane à l'interrogatoire. Apparemment, elle a croisé une autre escouade dans la forêt cet après-midi et ils sont sûres qu'elle sait quelque chose. Quoi? Je ne sais pas, mais ils ont les autorisations d'un général, le général Malcolm, c'est un groupe spécialisé dans la question, je sais comment ils opèrent, ils sont capables de tout. Même mon père n'a pas le pouvoir de les en empêcher." Lui exposa-t-elle tremblante, au bord des larmes, mais ce contenant. 
_"Attends, j'ai du mal à saisir, ou est Morgane en ce moment?" Demanda Zoé, légèrement surprise, compte tenu de ce qu'elle savait.
_"Elle est avec eux, je lui ai demandé de les suivre sans faire d'histoire, ils sont en train de l'emmener dans la pièce secrète de mon père... Chloé, ils vont la torturer, fais quelque chose je t'en supplie!" Supplia soudain Clémence en s'écroulant.
_"Mais son homme-loup? Enfin je veux dire... il n'y a rien d'autre?" S'étonna Zoé.
_"Non pourquoi? De quoi parles-tu?" S'étonna à son tour Clémence. 
_"De rien. Bien, je vois, ou est la grosse vache en ce moment et dans combien de temps rentre le juge?" Questionna-t-elle d'un ton clairement décidé.
_"Dans le salon a pleurer toutes les larmes de son corps et il devrait être là dans moins d'une heure." Répondit Clémence incrédule et surprise par le changement d'attitude de Chloé.
Zoé sortit alors son arme de son sac et braqua Clémence sans ménagement. Il fallait qu'elle est l'air le plus crédible possible, son plan était sanglant. 
_"Tu vas me conduire à la chambre de Morgane tout de suite si tu veux pas que je t'explose ta jolie petite tête, compris connasse?" Lui ordonna-t-elle en lui enfonçant le canon de son arme dans la bouche. Clémence hocha de la tête, terrorisée. 
Elles pénétrèrent dans la maison en silence et se dirigèrent dans le salon. Quand la grosse Dinousillet les aperçut, Zoé braquant un flingue contre la tempe de sa fille et se tenant derrière, elle se leva aussitôt, ralentie par ses énormes fesses. Quand elle redressa enfin le visage, ce ne fut que pour recevoir un violent coup de crosse de revolver pleine mâchoire, ce qui l’assomma immédiatement et lui ouvrit la joue presque en deux. Le sang gicla de son visage alors qu'elle s'écroulait de toute sa masse inerte sur le sol, le souillant de sang et de pisse. 
_"Maman!..." N'eut que le temps de s'exclamer Clémence en voulant se précipiter vers elle.
_"Toi ta gueule! Tu entends, fermes là, je vais sauver ta fille, alors ta... Gueule... C'est clair?" La retint violemment Zoé. Clémence refit un signe de tête approbatif. 
Son hurlement avait réveillé Farid qui dormait, tout bonnement, dans la chambre de Morgane qui n'avait pas ménagé ses efforts pour l'endormir. Il n'avait pas été alerté par l'intrusion discrète des militaires parce que Morgane n'avait pas voulu faire de bruit intempestif qui aurait pu l'alarmer. Dans un sens elle leur avait sauvé la vie, ce qui n'allait pas être le cas de Zoé. Entendant ses grognements provenir de l'étage, elle l'appela sans crainte:
_"Farid! Viens tout de suite!" Tonna-t-elle. 
La porte de la chambre de Morgane vola en éclat et d'un bon ou deux, l'énorme animain vint se poster au pied de Zoé, près au combat. Il n'avait évidemment pas emprunté les escaliers, mais tout simplement sauté depuis l'étage qui communiquait avec le salon par une sorte de balcon. Clémence était paralysée de peur et de surprise, comprenant peu à peu le plan de sa ravisseuse. Mais pourquoi appelait-elle cette hideuse créature du nom de son défunt mari? Les réponses viendraient plus tard. 
_"Diriges-nous vers cette fameuse pièce maintenant! Farid!" Commanda avec assurance Zoé. 
_"Pitié... Je vous y conduit, suivez-moi, c'est au sous-sol." Pria Clémence quand l'animain l'attrapa en lui arrachant à moitié ses vêtements.
_"On te suit." Dit Zoé en lui plaçant le canon du flingue derrière la tête. Ils se rendirent ainsi tout trois au sous-sol, le plus discrètement possible. 
_"Voilà c'est derrière cette porte." L'informa Clémence une fois arrivée.
_"Maintenant, attends, regardes et surtout n'en perd pas une miette. Dès que Farid va sentir que Morgane est en danger, il va attaquer. Je veux voir ça." Lui imposa-t-elle. 
Il suffit d'un cri de peur de Morgane, quand elle vit l'aiguille des militaires, pour que la lourde porte de métal cède et que l'homme-loup s'engouffre dans cette pièce, dite secrète, avec la rage d'une armée. L'attaque fut instantanée et brutale. Farid arracha la tête du premier matricule à sa portée, le capitaine, et dans un hurlement de furie égorgea le second d'un violent coup de griffe, ce qui le décapita presque. C'est seulement quand il mordit le troisième militaire à la clavicule que Morgane réagit et l'arrêta, presque immédiatement, d'un simple ordre.
_"Impressionnant, n'est-ce pas?" Demanda Zoé en secouant Clémence et la regardant ensuite dans les yeux. "Tu ne croyais pas que ta fille est un tel secret, un tel pouvoir! Regardes et sois fière, sois comblée. C'est le nom de son père qu'elle lui a donné et elle l'a apprivoisé seule, enfin presque... C'est un lien indéfectible qui les unit. Tu vois, il mourrait pour elle sans réfléchir, sans penser à sa vie. C'est incroyable, hein?" Elle lui donna un coup d'épaule amical, avant de reprendre son attitude autoritaire.
_"Bonjour Morgane." S'annonça-t-elle. "Je suis avec ta mère, ne t'inquiètes pas, je vais t'expliquer." 
_"Chloé!" S'exclama Morgane avant de se reprendre. "Qu'est-ce que tu fais à ma mère! Farid!" S'exclama-t-elle. La bête était prête à bondir au moindres geste. Zoé laissa Clémence dans le couloir et entra dans la pièce.  
_"Attends! Je te détache, et je t'explique dans le salon, on a pas beaucoup de temps, alors fais moi confiance. D'accord?" Se protégea-t-elle instinctivement. 
_"D'accord." Répondit la gamine rassurée, se jetant dans ses bras une fois libérée. "Merci Chloé." Lui dit-elle en la serrant de toutes ses forces. 
Elle avait déjà vu ce dont son animain était capable et là, c'était pour la sauver, aussi elle n'exprima aucune espèce d'émotion quand elle enjamba le commandant agonisant et son capitaine coupé en deux. Elle sortit de la pièce avec Farid et courut vers sa mère pour l'embrasser.
_"Allez, viens maman, on remonte." L'enjoignit-elle, ensuite.
_"Vas devant, j'arrive." Balbutia sa mère encore sous le choc et incapable de se lever. Elle observait Chloé, des soucoupes à la place des yeux. 
_"Par contre, on a pas le temps de faire des prisonniers, encore moins blessé à la mort, désolée." Dit Zoé, restée dans la pièce secrète, en tirant froidement une balle dans la tête du troisième soldat et révélant ainsi la partie la plus sombre de sa personnalité. C'était l'heure de sa vengeance et elle allait en profiter à fond.
Seule Clémence poussa un hurlement de stupeur quand Zoé tira. Farid et Morgane remontaient déjà vers le salon, sans se soucier du sort du dernier bourreau. La pièce était rouge, théâtre d'un vrai massacre. Du sang giclait encore du corps étêté du capitaine tandis que le matricule égorgée agonisait en s'étouffant dans son propre sang. La cervelle du troisième matricule se répandait sur le sol. Du sang maculait tous les écrans éteints, recouvrant presque un mur entier et les claviers du bureau, ainsi que les appareils de communication, téléphones et micros. L'horreur était totale, mais Zoé n'en avait cure. Elle sortit à son tour de la pièce et s'adressa à Clémence, toujours comme paralysée au sol:
_"Allez viens, tu vas encore me servir d'otage." L'empoigna-t-elle sans ménagement.
Clémence se releva et la suivit sans opposer de résistance. Arrivée dans le salon, elle s'étonna que Morgane n'ait pas réagi en voyant sa grand-mère étalée au sol, comme une grosse merde dans son sang, et qu'elle soit assise innocemment sur le canapé, Farid à ses pieds, toujours le bandage autour de la cuisse.
_"T'as vu, le bandage a bien tenu, comme je te l'avais promis?" Lui fit remarquer Zoé avec légèreté. "Vas t'asseoir à côté de ta fille, on va attendre le juge maintenant." Ordonna-t-elle à Clémence.
_"Merci Chloé de m'avoir sauvée. Ils étaient vraiment méchants ses soldats. T'as vu, on a bien fait d'amener Farid ici." La remercia Morgane. "Mais arrêtes d'être méchante avec ma maman." Lui ordonna-t-elle clairement.
_"Oh ma chérie." S'attendrit sa mère en la prenant dans ses bras. "Je suis tellement désolée. Mais d’où vient ce monstre?" 
_"C'est un homme-loup qu'elle a sauvé dans la forêt." Lui expliqua Zoé sans laisser répondre Morgane. "Elle l'a amené ici pour éviter que d'autres matricules ne se fassent tuer, avec un ami qui connait aussi l'animain." Continua-t-elle. 
_"C'est ça." Confirma Morgane qui profitait du câlin avec sa mère, bien blottie dans ses bras, le visage contre ses seins. "Pourquoi on attend papy?" 
_"Parce que je vais le tuer." Répondit très calmement et simplement Zoé en jetant un œil par l’immense baie vitrée donnant sur la cours. "Il va falloir aussi commencer à réfléchir à ce qu'on va faire des trois cadavres en bas." Rappela-t-elle en regardant Clémence. "Il va falloir être courageuse sur ce coup là. Et dis-toi que si je n'étais pas intervenue, le résultat aurait été encore plus sanglant, crois moi. Farid n'aurait jamais laissé quiconque faire du mal à Morgane, il aurait entendu ses cris de peur et il aurait attaqué, toi y compris." Insista-t-elle, le flingue toujours à la main.
_"Ça c'est vrai, elle a raison, on a eu de la chance." Confirma Morgane, toujours bien au chaud. "Mais je ne pouvais rien te dire maman, tu aurais eu trop peur." Ajouta-t-elle en lui lançant un regard désolé et suppliant du bas de sa poitrine. 
_"Tout cela nous met dans une situation bien délicate ma fille, mais ce n'est rien, je ne t'en veux pas de ne m'avoir rien dit." La rassura sa mère en l'embrassant sur le front. "Je comprend tout maintenant. Et surtout pourquoi tu allais toujours te promener dans cette maudite forêt." Elle aussi appréciait l'instant, serrant un peu plus sa fille contre elle. Elle en aurait presque oublié le massacre au sous-sol et la présence de Farid à ses pieds.
_"Je lui ai donné le nom de papa parce qu'il est courageux comme lui." Expliqua la gamine. "T'aurais du le voir quand je lui ai retiré le morceau de bois de son pied, il a presque pas crié. Remarque, il était presque mort. Mais c'est pas grave, je l'ai sauvé et maintenant il fait tout ce que je lui demande." S'amusa-t-elle, satisfaite.
_"Il n'est pas dangereux alors." S'enquerra Clémence. "Je veux dire pour nous." Précisa-t-elle. 
_"Non, pas du tout, c'est comme un nounours. T'inquiètes pas." La rassura sa fille.
Clémence avait le même visage que celui de Zoé la première fois qu'elle avait vu l'animain et Morgane ne put s'empêcher de le faire remarquer en souriant. Mais il n'y eut pas d'effusion de rire. 
_"Pourquoi as-tu l'intention de tuer mon père?" Questionna, à son tour, Clémence, revenant à la réalité du moment et pragmatique.
_"Tu comprendras tout quand il arrivera." Ne lui offrit comme seule réponse Chloé. 
Un silence pesant s'installa alors, sinon les ronflements de la grosse dondon, qui s'était endormie finalement. Une énorme flatulence s'échappa alors du cul de cette gigantesque baleine. Elles échangèrent toutes les trois un regard, et, cette fois, tout le monde se mit à rire de bon cœur, Farid y compris, même s'il ne savait pas pourquoi. 
Enfin, la voiture du juge franchit les grilles et s'immobilisa dans la cours. Un véhicule militaire la suivait, mais il ne s'agissait que d'un blindé léger. Une escouade, c'est à dire cinq troufions et leur chef, en sortit et prit position devant les grilles à l'extérieur. Le juge se dirigea vers l'entrée de sa maison d'un pas tranquille, n'ayant pas été informé de l'intervention du groupe d'interrogatoire, ne se doutant pas de ce qui l'attendait et ne songeant qu'à superviser les opérations de la nuit. Il s'étonna simplement que la bonne ne vienne pas lui ouvrir comme d'habitude mais ce dit que la présence de sa fille en était l'explication. C'est d'ailleurs Clémence qui vint l’accueillir.
_"Rentres papa, nous t'attendions." Lui dit-elle simplement avant de refermer la porte derrière lui. Il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit ni de faire le moindre geste...
_"Ne te retournes pas enculé." Lui ordonna une voix féminine en lui braquant un flingue sur la nuque. "Avances doucement et va t'asseoir sur ton fauteuil dans le salon... Monsieur le juge." Zoé le poussa de son arme pour le faire avancer plus vite. Clémence alla se rasseoir près de sa fille sur le canapé, enjambant sa mère sans s'en soucier. La mastodonte ronflait toujours. Farid, maintenu silencieux par sa maîtresse jusque là, se redressa de toute sa hauteur dès qu'il aperçut le magistrat. Son instinct lui indiquait qu'il s'agissait d'une mauvaise personne dangereuse et il l'attaqua par réflexe, l'attrapant par ses vêtements et le projetant comme un fétu de paille contre le mur le plus proche. Le juge retomba au sol, inerte. Farid l'aurait dévoré sur place si Morgane ne l'avait pas stopper tout de suite dans son élan. Il obéit, non sans grogner en direction de sa proie, et vint s'accroupir à côté de sa maîtresse, prêt à bondir.  
_"Par tous les volcans! Quelle force!" S'exclama Clémence complètement prise au dépourvu. 
_"Merci de l'avoir arrêté." Dit simplement Zoé, absolument pas surprise par la réaction de l'homme-loup. "Clémence, viens m'aider à installer ton père sur son fauteuil. Il n'est pas encore mort."
_"Chloé... Es-tu sûre qu'il faille en arriver là?" Lui demanda-t-elle tout en soulevant son père par les bras. Zoé ne lui répondit que par un regard noir qui disait tout. Clémence n'insista pas.
_"Morgane, ma puce?" Lui demanda Zoé.
_"Oui Chloé?"
_"Tu peux me ramener de l'eau s'il te plait, un verre devrait suffire."
_"Tout de suite." 
Morgane se leva pour aller dans la cuisine et Farid la suivit aussitôt.
_"Merci ma puce."
Quand elle revint avec le verre d'eau, Zoé le prit et le jeta immédiatement au visage du juge assommé, même brisé par Farid, ce qui n'eut aucun effet, le magistrat restant toujours complètement inerte, écrasé sur lui même comme un tas de merde.
_"Bien, nous allons utiliser une méthode plus radicale." Décida Zoé, toujours très calme et autoritaire.
Elle prit alors un coussin épais et le plaça au dessus du genoux droit du juge. C'était le même côté qu'avait visé son père dans l'épicerie quand il avait tiré sur l'épicier.
_"Morgane, regardes par la baie vitrée et surveilles les militaires s'il te plait." Requerra-t-elle. 
_"Restes assise Morgane." Lui ordonna sa mère d'un ton ferme et... inédit. "Tu peux me le demander Chloé, je vais tenir le coup, ça va mieux. Que Morgane surveille son animain, ce sera plus utile je pense." Soumit Clémence qui craignait le pire maintenant, tout en se postant près de la fenêtre. "Je te préviendrais s'il y a le moindre mouvement suspect venant de la cours, allons-y pour les révélations et les dévoilements, moi aussi j'aurais quelques questions à lui poser. Vas-y." L'encouragea-t-elle, le regard déterminé, révélant elle aussi une face cachée de sa personnalité.
_"Tu m'impressionnes là." Lui avoua Zoé en la regardant droit dans les yeux, découvrant une alliée inattendue.
_"Il est trop tard pour reculer de toute façon." Lui rendit-elle. 
_"Alors que les masques tombent!" Déclara Zoé. 
Elle appuya son flingue sur le coussin et tira, explosant ainsi le genoux du salopard et le réveillant du même coup, ce qui était l'objectif, sans que la blessure soit mortelle. Le juge poussa un hurlement effroyable.
_"Tu m'as bousillé le genoux, salope!" Grogna-t-il ensuite, en s'agrippant la jambe, d'un ton cinglant et encore supérieur. Il saignait aussi de la tête.
_"Rien dans la cours, pas de mouvements suspects." Informa Clémence, clairement indifférente quant à l'état de son père.
_"On va pouvoir parler alors." Dit Zoé. Elle lui appuya son pied sur le torse afin de le redresser et lui arracha un cri de douleur ce faisant. "Je vois, côtes fêlées, ou cassées même peut-être." S'amusa-t-elle sans lâcher sa pression. "La salope vous emmerde monsieur le juge Dinousillet." Le fustigea-t-elle finalement.
_"Par tous les volcans de la planète, mais qui êtes-vous?" Adjura le juge dans un soupir, le visage ridé par la douleur, regardant enfin sa tortionnaire dans les yeux. Elle le dévisagea.
Elle avait tellement attendu cet instant, elle en avait tellement rêvé, que l'émotion la saisit soudain. Rien ne s'était passé comme elle l'avait prévu et le danger guettait aux grilles, mais c'était égal, elle tenait sa vengeance. 
_"Alors? Sa majesté la justice ne se rappelle déjà plus de la jeune fille qu'elle a voulu baiser? Racontez donc à votre fille et à Morgane ce que vous aviez l'intention de faire avec moi l'après-midi ou je l'ai rencontrée justement." Le somma-t-elle d'un ton provocateur et satisfait. 
_"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, mademoiselle..." Fabula le président de cours plus par orgueil que par espoir de s'en tirer. 
_"Tu ment papy!" Cria Morgane, surprenant tout le monde. "Tu sais très bien que Chloé est venue manger ici ce soir là, je t'ai vu lui regarder les fesses. Et tu l'avais déjà vue à la messe, je t'ai vu aussi. En plus tu as voulu faire croire à maman que tu ne savais pas ou j'étais. Tu es un menteur! Farid! Manges le!" Hurla-t-elle, ne supportant pas ce mensonge de trop.
L'homme-loup, n'en demandant pas tant, se rua sur sa proie, bousculant Zoé et la renversant sur le côté. Il s'apprêtait à l'ouvrir en deux quand Zoé et Morgane l'arrêtèrent, encore une fois et presqu'en même temps, dans son élan. Le juge pleurait et suppliait, promettant de dire la vérité, alors que Farid le surplombait de toute son imposante masse, le fauteuil renversé en arrière, et le tenait à la gorge en le regardant dans les yeux d'un regard noir et furieux, un regard meurtrier. Farid avait définitivement perçu la méchanceté de ce personnage néfaste. Il lui hurla alors au visage, un cri de combat, un cri de prévention, un cri de rage et retourna s'accroupir auprès de Morgane. Clémence n'en revenait pas de ce qu'elle voyait mais restait vigilante à son poste et continuait de guetter la cours. 
Zoé récupéra son arme et se releva en riant de bon cœur.
_"Cette force qu'il a, c'est incroyable. Elle m'impressionnera toujours." S'esclaffa-t-elle. "Bon, relevons ce pleurnichard." Dit-elle à l'attention de Clémence.
_"Je vous connais, c'est vrai, depuis la messe, je l'avoue, je voulais vous baiser. J'ai envoyé Morgane dans la forêt ce jour là pour être tranquille et pouvoir vous baiser, vous prendre violemment, ça vous va?." Reconnut tout de suite le juge, soupirant de douleur et de peur, alors que Zoé et Clémence venaient à peine de le réinstaller.
_"Tu es un porc papa et je le savais depuis longtemps, comment ai-je pu me voiler la face autant de temps? Comment ai-je pu faire semblant de ne pas voir ce que tu faisais?" Lui cracha sa fille au visage. "Je sais que tu as violer des jeunes filles à peine plus âgées que Morgane. J'étais jeune alors, je faisais mes études, rappelles-toi. Je les entendais pleurer dans la nuit, je les entendais hurler quand tu les abusais et je savais pourquoi, comme maman et je n'ai jamais rien dit. Tu me dégouttes papa!" Fulmina-t-elle en le giflant violemment. "Ton pouvoir va s'éteindre aujourd'hui... monsieur le juge." Lui promit-elle enfin.
_"Je vois que nous ne sommes pas au bout de nos surprises votre splendide puanteur. Vous me répugnez de plus en plus." Affirma Zoé, abasourdie par ce qu'elle venait d'entendre. "Et vous osez pleurer comme un innocent qu'on envoie à la pendaison?! Mon père n'a pas pleuré lui, quand vous l'avez envoyé à l'échafaud." Dévoila-t-elle en cherchant à attiser la curiosité du magistrat. "Sachez, monsieur le juge, que c'est moi qui vous tuerait." Lui garantit-elle. "Et ce n'est pas négociable Clémence." Précisa-telle à son amie.
_"Je sais." Lui répondit Clémence. "Il y a juste une dernière question que je veux poser à mon père avant, si tu veux bien." Réclama-t-elle. 
_"Poses." L'encouragea Zoé.
_"Papa. Regardes moi... Salaud. Est-ce que tu as quelque chose à voir avec le meurtre de mon mari?" Le questionna-t-elle alors.
Son père fit mine de ne pas l'avoir entendu, feignant l'évanouissement, mais elle le secoua de toutes ses forces, provoquant une douleur insoutenable.
_"Oui..." Gémit-il. "Oui... Pauvre idiote, j'ai ordonné son exécution... Et je l'ai fait pour ton bien..." 
_"Quoi!?" Hurla Morgane qui avait tout compris. "Papa est mort à cause de toi!..."
_"Tu as bien compris ma chérie." L'arrêta sa mère avant qu'elle ne demande encore à son animain de finir le travail. "Fais ce que tu as à faire Chloé, il n'est plus rien pour moi." Exigea-t-elle d'un ton sombre, lugubre même, avant de retourner faire le guet.
_"Je ne m'appelle pas Chloé." Confia-t-elle enfin.
_"Ah bon? Mais c'est quoi ton nom alors?" Demanda Morgane naïvement.
_"Ne meurt pas tout de suite enfoiré, je veux que tu saches qui va te tuer, ou du moins pourquoi tu vas mourir. Regardes-moi!" Cria alors Zoé, en guise de réponse à la gamine. 
Le juge, agonisant, redressa la tête et la regarda comme elle l'exigeait, d'un œil suppliant et servile. Tout son orgueil avait disparu et c'est ce qu'elle attendait. Elle se dévêtit alors  devant lui entièrement, dévoilant toute la beauté de son corps si désirable, et plaça son sexe sous les yeux du magistrat mourant. Elle lui urina dessus et se présenta enfin.

_"Je suis Zoé Hector Cardelace monsieur le bourreau. Vous ne pouvez pas avoir oublier ce nom, n'est-ce pas?" Vérifia-t-elle en s'essuyant sur le visage du juge et le tenant par les derniers cheveux qui lui restaient. Force fut de constater qu'il portait une moumoute, ce qui ne manqua pas de faire sourire tout le monde, même si Morgane et Clémence restaient parfaitement incrédules devant l'attitude de Zoé. Mais la superbe de sa silhouette éblouissait l'instant et ni l'une ni l'autre n'aurait osé l'interrompre. Ces minutes lui appartenaient, elle les avait tant attendues.


 

_"Je suis Zoé Hector Cardelace." Répéta-t-elle en voyant que le juge reconnaissait ce nom et lui reluquait l'entre cuisse. "Vous n'êtes pas si mourant que ça finalement. Pas mal, n'est-ce pas?" Subodora-t-elle en se retournant et lui présentant ses fesses. Elle se courba juste assez pour que son anus étoilé se laisse deviner. "N'en perdez surtout pas une miette, immonde bâtard, c'est mon cadeau d'adieu." Lui offrit-elle, victorieuse.
_"Tu es la fille du révolutionnaire Hector Cardelace!" S'exclama Clémence, remise de sa surprise.  
_"Absolument." Répondit Zoé en se retournant de nouveau et braquant son flingue sur le front de sa sommité Dinousillet. "Avez-vous une dernière chose à dire avant de mourir? C'est le moment." L'invita-t-elle.
_"Vous ne vous en sortirez pas comme ça, ils vous tueront, je suis le seul à pouvoir vous sauver... Mademoiselle Cardelace." Dit-il avec une arrogance déplacée, les yeux toujours rivés sur son corps. 
_"C'est faux!" S'interposa Clémence. "Tu es fini papa, ou devrai-je dire monsieur le juge. Je te méprise." Déclara-t-elle, brisant ainsi le dernier espoir de son père.
_"Ma fille?" S'étonna le juge. "Pitié." Supplia-t-il, comprenant que tout était terminé pour lui.
_"Je ne suis plus ta fille." Répondit sèchement Clémence.   
_"À la bonne heure." Apprécia Zoé. Elle prit son temps avant de poursuivre: "J'avais prévu de vous pendre, comme vous avez fait pendre mon père, monsieur le distributeur de sentences, comme il vous aurait appelé." Lui avoua-t-elle en se penchant vers lui et lui présentant une poitrine magnifique. "Mais il m'a appris que le plus important dans la vie c'était de savoir improviser et je crois que je préfère voir Farid vous éviscérer et vous entendre mourir dans des râles de douleurs." Conclut-elle d'une légère caresse sur le nez du meurtrier de son père. "Tu peux lâcher Farid Morgane." L'invita-t-elle.
_"Non, pitié, pitié..." Pleurait-il maintenant. Mais il était trop tard.
Zoé s'était écartée, cette fois, et commençait à se rhabiller, certaine de l'issue. Morgane était déjà debout. Comme dans la forêt, devant le matricule 2319, elle se plaça devant son grand-père prit la main de l'homme-loup et leva le bras. Farid était en position et attendait, fébrile.
_"Pitié Morgane, ma petite fille." Voulut l'amadouer son grand-père, ne réussissant qu'à exacerber sa propre fille qui  lui intima l'ordre de se taire.
_"Tu vas mourir maintenant." Dit froidement Morgane, et elle abaissa son bras. Elle courut ensuite se blottir dans les bras de sa mère pour ne pas voir ce qu'allait faire son homme-loup, car elle savait. Elle se boucha même les oreilles pour ne pas entendre. Sa mère la serra, horrifiée. 
Est-il nécessaire de décrire le carnage qui s'ensuivit? Ce fut délectable. Tous les boyaux du juge volèrent dans tous les sens tandis que Farid lui vidait le ventre au milieu de ses hurlements. Il le dévora vivant, arrachant ses membres et sa mâchoire et attrapant son cœur par l'intérieur de sa carcasse dans un cri de victoire. Il vint l'offrir à Morgane en signe de soumission, mais Clémence le repoussa d'un violent coup de pied, réflexe.
_"Laisses ma fille tranquille!" Lui hurla-t-elle. Il ne recula pas d'un centimètre et continua de tendre le cœur vers Morgane, comme si Clémence n'existait pas. Il encaissa un second coup de pied au visage sans bouger ni broncher, sinon un grognement d'incompréhension. 
_"Vas le donner à Chloé! Je veux dire à Zoé!" Lui commanda sa maîtresse sans même le regarder. "Vas t'en!" Cria-t-elle encore, lui décochant elle aussi un coup de pied, toujours blottie dans les bras de sa mère. Ce qu'il fit. Zoé recueillit alors le cœur du juge encore chaud, les larmes aux yeux. Sa vengeance était totale. Clémence pleurait, non pas de chagrin, mais d'horreur devant un tel spectacle. Son père n'était plus qu'un amas de morceaux de corps dégoulinant de sang et sa mère un tas de graisse ronflant au sol en pétant. L'heure du nettoyage avait sonnée...
(à suivre...)
Pour vous servir...




PETIT MOT DE FIN:
Bon, mes petits bouquetins farcis, force est de constater qu'une fois corrigée, c'est indéniablement mieux. Enfin je crois. Mais qui l'a lu? Ou qui le lira? Personne probablement... Mais je vais quand même continuer d'écrire l'histoire de Zoé, parce qu'elle me l'a demandé et que je ne peux rien lui refuser. Elle le sait cette guenon et elle en profite. Bien, il est temps pour moi de retourner à mes chroniques sous les enfers, au fond de ma crypte. Chers sœurs et frères non-lecteurs, je vous salue...
FQF

1 commentaire:

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